mercredi 14 août 2013

L'IMÂMA ABÛ BAKR (3ème partie)- Mûhyidîn Ibn ARABI

... L'indication traditionnelle (dalil) claire et évidente en faveur de l'Imâma d'Abû Bakr est la parole de DIEU : " Dis à ceux des bédouins laissés en arrière : Vous serez appelés contre un peuple d'une redoutable vaillance. Vous les combattrez ou bien ils se convertissent à l'Islam. Si vous obéissez, DIEU vous donnera une belle rétribution, alors que si vous tournez le dos, comme vous avez tourné le dos antérieurement, Il vous infligera un châtiment douloureux (1)." La lettre du texte du Coran exige formellement que celui qui les appellerait au combat serait quelqu'un d'autre que l'Envoyé de DIEU, d'après Son autre parole : " Dis: Vous ne partirez plus jamais avec moi en campagne et vous ne combattrez plus aucun ennemi avec moi... (2) Après la révélation de ce verset, ceux qui étaient "restés en arrière" (al-mukhallafûna) attendaient qu'on les appelât contre "le peuple d'une redoutable vaillance" pour laver de leurs âmes le péché de leur première abstention, et leur attente était pour quelqu'un qui viendrait les appeler après le Prophète, tout espoir d'une campagne avec l'Envoyé de DIEU leur étant fermé par ce que le Coran avait révélé à leur sujet. Ce qui le confirme c'est la particule de "remise à plus tard" (sîn al-isti'nâf) de Sa parole : sa-tud'awna - vous serez appelés; et cette particule ne concerne que le futur et rien d'autre. Aussi, lorsque Abû Bakr les a appelés pour combattre les arabes qui avaient apostasié (Ahl al-ridda), ils lui ont répondu avec empressement en se précipitant dans la bataille, et c'est là où ils firent preuve d'un grand courage (bâla'al-'azhîm) (3). Selon certains exégètes, "le peuple d'une redoutable vaillance" serait les Yéménites, or, parmi les Califes, seul Abû Bakr les a combattus, Sachez donc cela !



Les esprits clairs et les intelligences pénétrantes ne sauraient ignorer que le titre de "successeur" (exactement: "le titre de la succession" : laqab al-khilâfa) n'est attribué qu'à quelqu'un dont l'influence a été grande, dont l'autorité a été efficace et dont la parole   a été obéie, comme celle de celui dont il est le "successeur" (khalîfa : calife), qu'il a remplacé, et dont il est le représentant (nâ'ib). Dès qu'il n'est pas ainsi, il ne convient pas qu'il soit "successeur", ni qu'il porte le titre de "successeur".
Or ne voyez-vous pas que, lorsque Abû Bakr a succédé à l'Envoyé de DIEU pour diriger la prière, il l'a remplacé exactement, se tenant à la même place que lui, sans que personne ne s'interpose ni fasse obstacle, accomplissant la prière de la même façon que l'Envoyé l'accomplissait et la dirigeait devant ses Compagnons ? Il méritait donc qu'on l'appelait "successeur" à la prière" (khalifa ' alâ-l-çalât) à cause de son aptitude à cette fonction. Ce nom lui était resté et les gens le lui donnaient en s'adressant à lui, alors même que l'Envoyé de DIEU était encore en vie, pendant toute la durée qu'il dirigea la prière jusqu'à la mort de l'Envoyé de DIEU. Et le Jour de la Saqîfa quand il était là, discutant avec les Ançar et les convainquant d'une façon décisive par la nécessité que l'Imâma appartînt aux Quraïshites et non à eux, ni à tous les autres membres de la Communauté, c'est en ces termes qu'ils lui répondirent : " O successeur de l'Envoyé de DIEU pour nous diriger dans la prière ! choisis pour nous avec ta justesse de jugement celui qui convient pour ce commandement, pour que nous lui fassions acte d’allégeance !"
Il avait alors indiqué le choix entre l'un des deux hommes : Abû Ubayda et Umar, qui refusèrent cette charge. Mais ils avaient remarqué que les Ançar l'appelaient "successeur de l'Envoyé de DIEU"; alors ils lui confièrent le commandement et le reconnurent pour chef, et tous deux le désignèrent aussitôt par le titre de "successeur de l'Envoyé de DIEU" (khalîfat Rasûl Allâh) (4).



Abû Bakr fut donc le premier de cette Communauté à être appelé ainsi. Et il porta ce titre du vivant de l'Envoyé de DIEU et après sa mort. La première succession est la succession à la prière, la seconde est la succession à la tête de la Communauté et le Commandement (al-Imâra). Le nom de khalifa n'avait été donné auparavant qu'à un Prophète, comme Adam et David (5), et Abû Bakr est donc le troisième. C'est lui aussi qui, dans cette Communauté, fut le premier à être appelé " Le Juste" 'al-çiddîq), et ce nom n'avait été donné avant lui qu'à un Prophète, comme Idrîss, Abraham, et Joseph (6), et Abû Bakr est donc le quatrième. Il est aussi le plus ancien des premiers convertis à l'Islam (littéralement : " le plus devançant des devançants (dans la course) à l'Islam" : asbaqu-s-sâbiqîna ilâ-l-Islami) à la Foi, et à la croyance en l'Envoyé. L'Envoyé de DIEU l'avait appelé "Juste" (littéralement : " Véridique": çiddîq (7)) au moment où, l'ayant appelé à se convertir à l'Islam, Abû Bakr avait eu la foi en lui et avait cru en lui immédiatement. Le Prophète a dit en effet : " Il n'est personne de ceux que j'ai appelés à DIEU qui n'ait bronché (kabwa) - c'est à dire: marqué une hésitation (waqfa) - excepté Abû Bakr; je lui ai dit : j'ai été envoyé; et il m'a répondu : tu as dit la vérité (çadaqta). En vérité, chaque prophète a des justes, et le plus digne de lui, le plus proche de lui et qui a le plus ses faveurs, c'est celui qui a été empressé à croire en lui, et ensuite les autres (par ordre d'ancienneté). En vérité, chaque prophète a son mérite (dans la hiérarchie des prophètes), qu'obtient ensuite celui qui a été le plus empressé à croire en lui. En vérité, le mérite que je possède, c'est Abû Bakr qui l'a obtenu. C'est à son sujet et au sujet de l'Envoyé de DIEU qu'a été révélé le verset : " Et celui qui est venu avec la Vérité (çidq)" - c'est à dire l'Envoyé de DIEU -, "et celui qui l'a déclaré véridique" - c'est à dire Abû Bakr -, "ceux-là sont les pieux (8)".




Et il a été appelé "très véridique" à cause de la fréquence de ses témoignages de véridicité à l'égard de l'Envoyé de DIEU pour tout ce qu'il lui disait (9).  En tant que céleste (littéralement : " préexistant" : sâbiq), ce nom (de çiddîq) qui lui a été donné est une faveur immense. En tant qu'il vient de l'Envoyé de DIEU, c'est, de sa part, indiquer son mérite et sa grandeur. En tant qu'il lui a été donné par la Communauté qui, unanimement, l'appelait ainsi, c'est uniquement la preuve de la très grande considération dont il était l'objet et du très haut rang où on le plaçait.

S'il en est ainsi, quel rang pourrait être proche du sien ou s'en approcher ? " C'est là la Grande faveur (10)". Il a été le premier à croire en l'Envoyé de DIEU et à témoigner de sa véracité. Il est resté attaché  à le servir en tout lieu et en toute circonstance, dans ses voyages, dans ses séjours, dans sa retraite/khalwa (au mont Hira) et dans son émigration (hijra : hégire). C'est à son sujet que fut révélé le verset : " L'un des deux (littéralement: le second des deux) quand ils étaient dans la grotte", où DIEU apaisa son esprit par la bouche de Son Envoyé en lui disant : " Ne t'attriste pas !  DIEU est avec nous !" (11) Et DIEU fit descendre sur lui la Paix (al-Sakîna) et la quiétude (al-Tuma'nîna) (12). Le Prophète lui demanda : " Que penses-tu, Abû Bakr, de deux dont DIEU est le troisième (13) ? Il lui avait dit aussi :" Eh bien ! je t'annonce la bonne nouvelle de la Satisfaction de DIEU la plus grande pour toi." Abû Bakr s'exclama : " Assurément ? (bâla), ô Envoyé de DIEU !" et il lui répondit : " DIEU se révélera (yatajallâ) aux hommes d'une façon universelle et Il se révèlera à toi d'une façon particulière."

Le Prophète prit la parole au cours du Pèlerinage d'Adieu et il mentionna les Compagnons en ces termes : " Musulmans ! Abû Bakr est le meilleur des hommes pour moi, dans ses relations avec moi et comme compagnon, et il ne m'a jamais fait de mal. Sachez cela  de lui !" C'est donc par Abû Bakr qu'il a commencé. Ensuite il dit : " En vérité ! je suis satisfait de Umar ibn al-Khatâb, de Uthmân ibn Affân, de Ali ibn Abî Tâlib, de Talha ibn Abd Allâh, d'al-Zubayr ibn al-Awâmm, le fils de ma tante paternelle, de Sa'd ibn Abî Waqqâç de Sa'id ibn Zayd, de Abd al-Rahmân ibn Awf, et de Abû Ubayda ibn al-Jarrâh.(14).
Et Abû Bakr avait un grand avantage (daraja) sur les autres, c'est que les plus illustres des premiers Musulmans s'étaient convertis à l'Islam par son intermédiaire, comme Umar, Talha, al-Zubayr et Abd al-Rahmân Ibn Awf. Il avait notamment rencontré Umar ibn al-Khattâb et lui avait reproché de tarder à se convertir; il lui avait démontré l'authenticité de la qualité de Prophète de Mohammed et de sa qualité d'Envoyé Divin, et il lui avait montré la vérité, si bien que Umar s'était soumis et s'était rendu auprès du Prophète.
Du temps même de l'Envoyé de DIEU, les Compagnons avaient des égards particuliers pour les premiers Musulmans, pour le plus méritant d'entre eux (al-afdal) et pour les autres (selon leurs mérites), à cause de l'abondance des louanges de DIEU et de Son Envoyé à leur endroit et de la protection que leur présence assurait à la Religion de DIEU (Dîn Allâh).

Par les indications et les preuves évidentes que nous avons exposées, d'une manière résumée et brièvement, il est clair pour vous qu'Abû Bakr a la précellence sur les plus éminents des Compagnons, qu'il est le meilleur d'entre eux d'une façon absolue, et qu'il est, après les Prophètes et les Envoyés Divins, le meilleur des premiers et des derniers (de toute l'histoire de l'humanité).
à suivre...


source: La Profession de Foi (IBN'ARABI)











  1. Coran, XLVIII, 16.
  2. Coran, IX, 83.
  3. Il faut l'entendre dans le sens d'un combat mené avec héroïsme, comme épreuve de la foi. L'expression balâ'un 'azhîm est coranique et y a précisément le sens de "grande épreuve"
  4. Voir Tabarî, Ta'rîkh, I, 1842.
  5.  Coran, II, 30 : " Quand ton Seigneur dit aux Anges: Je vais placer sur la terre, un représentant (khalifatan." Et XXXVIII, 26 : " O David ! Nous t'avons fait représentant sur la  terre."
  6. Voir successivement: pour Idrîss (assimilé à Enoch ou à Elie), Coran, XIX, 56; Abraham, XIX, 41; pour Joseph, XII, 46. La seule femme a laquelle le Coran donne le titre de çiddîqa est Marie: V, 75.
  7. La racine commune à çiddîq ("juste") et à taçdîq ("croyance") exprime l'idée de véridicité. D'où littéralement : çiddîq - "véridique" et taçdîq - "témoignage de véridicité".
  8. Coran, XXXIX, 33.
  9. L'adjectif çiddîq (de la forme fi''îl) appartient en effet à la catégorie des intensifs exprimant généralement l'idée de fréquence (kathra), que le français rend par le superlatif absolu.
  10. Expression Coranique; XXXV, 32; XLII, 22.
  11. Coran, IX, 40, qui fait allusion à un épisode de l'émigration du Prophète, réfugié dans une grotte en compagnie d'Abû Bakr, pour échapper à la poursuite des Mecquois.
  12. " La descente de la Sakîna" est indiquée à cinq reprises dans le Coran, par trois fois dans la sourate XLVIII, aux versets 4, 18, 26; deux fois dans la sourate IX : 26, 40, où il est fait mention des "légions célestes" comme dans XLVIII, 4. La Sakîna a été identifié à la Shekinah hébraïque, d'où habituellement sa traduction par "Présence Divine". 
  13. Voir Bukhâri , v.4.
  14. La "satisfaction" (ridâ) du Prophète ou de DIEU signifie toujours la promesse du Paradis. C'est pourquoi les dix Compagnons cités par le Prophète au cours du Pèlerinage d'Adieu sont souvent désignés comme "les dix qui auront reçu la bonne nouvelle du Paradis assuré". 

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