mercredi 28 août 2013

Voyage vers le Maître de la Puissance - Ibn'Arabi

Allâh le Nom de DIEU
Au Nom de DIEU Très Bon, Très Miséricordieux

Le voyage vers le Maître de la Puissance, qui est fort connu en arabe sous le titre Risalat ul-anwar fima yumnah sahib al-khalwa min al-asrar (" Traité sur les lumières dans les secrets accordés à celui qui entreprend la retraite"), de Muhyiddin Ibn ul-Arabi (1165-1240), fut originellement publié à Konya, en Turquie. Il existe actuellement quelques soixante-dix copies du manuscrit dans les bibliothèques de par le monde, sous ce titre ou des variantes telles que " Le livre du voyage vers la réalité" et " Le livre de la retraite". Il y a eu deux éditions publiées en arabe: celle du Caire, en 1914, et celle d'Hyderabad, en 1948. Ceci est la première publication de l'ouvrage en anglais.
Il n'existe aucune édition critique du Voyage vers le Maître de la Puissance. J'ai consulté aussi bien les éditions imprimées du texte que la copie partielle du manuscrit, datant du XVIIéme siècle, et appartenant à la collection Garrett de l'université de Princeton.  Toutefois, la traduction suit pour une bonne part une troisième version imprimée qui accompagne le commentaire.

A propos de ce commentaire, al-Isar 'an risatlat-ul-anwar fima yatajalla li ahl il-dhikr min al-asrar (" Dévoilement du "Traité sur les secrets révélés au peuple du Dhikr") d'Abdul Karim Jili (1365-1408), on dispose de bien peu d'informations. Il n'est pas  daté; les sources bibliographiques ne font référence qu'à deux manuscrits. Il existe aussi sous le titre de Sharh ul-khalwat il-mutlag (" Explication de la retraite absolue"). La seule version que j'aie pu me procurer fut publiée an arabe à Damas en 1929. Les fragments publiés ici représentent également la première traduction anglaise du commentaire.

Le Voyage vers le Maître de la Puissance, d'Ibn'Arabi, fut écrit, ainsi que le montre le texte, en réponse aux questions d'un ami dont le nom n'est pas mentionné et qui était lui-même un saint  et un maître soufi. Bien qu'il fût l'auteur de nombreux volumes, Ibn'Arabi affirmait n'avoir rien écrit autrement qu'en obéissant à un commandement Divin. Dans cette lettre, il traite des conditions, des expériences, et des résultats de l'annihilation en DIEU.



Voyage vers le Maître de la Puissance est une discussion du khalwa, la retraite spirituelle, pratique soufie avancée et dangereuse qui vise à atteindre la présence de DIEU par un renoncement total au monde. Le khalwa n'est en aucune façon une technique applicable par tous. Ibn'Arabi déclare explicitement qu'en raison des tromperies qu crée l'imagination, on ne peut l'entreprendre que sur ordre d'un cheikh, ou de quelqu'un qui a acquis la maîtrise de lui-même.
Il indique en outre que poursuivre les expériences du khalwa sans être parfaitement accompli en ce qui concerne les devoirs et la pratique de l'Islam est une invitation à la destruction personnelle. Enfin, chaque étape de l’ascension qu'il décrit est une tentation, et y succomber n'apporterait que calamité et égarement. Seul celui dont le désir de DIEU est irrésistible et qui ne se soucie de rien d'autre est sauf en de telles circonstances.
Mont Hira à la Mecque

La pratique du khalwa fut initiée dans l'Islam par le Prophète Mohammed (que la Paix et la Bénédiction d'Allâh soient sur lui), qui avait coutume de se retirer dans une grotte du mont Hira pour se livrer à la contemplation. L'ascension spirituelle qui gravit tous les degrés de l'existence menant à la présence de DIEU, telle que la décrit Ibn'Arabi, possède également un précédent prophétique. Dans son grand voyage nocturne et son ascension, Mohammed se trouva transporté - en un instant qui valait 70 000 années - de la Mecque à Jérusalem et de Jérusalem à travers les cieux, à la Présence du DIEU Aimé, puis en revint.

Selon une tradition, Abu-Jahl, l'un des plus grands ennemis et persécuteurs du Prophète, entendit relater cet épisode et alla voir Mohammed. Le Prophète le reçut.

"Lève un pied du sol", dit Abu-Jahl.
Le Prophète obéit.
"Maintenant lève l'autre, reprit-il.
- Je ne peux pas, répondit le Prophète.
- Comment peux-tu, toi qui est incapable de lever les deux pieds du sol, affirmer que tu es allé au septième ciel la nuit dernière ?

- Ah, mais je n'ai pas dit que j'y suis allé, répondit le Prophète. J'ai dit que j'y ai été transporté."

Ainsi que le fait remarquer Abdul-Karim Jili dans son commentaire, le don de cette ascension, accordé sans préparation aux Prophètes, doit être mérité par les saints.
Son prix est la perfection des arts intérieurs et extérieurs de l'Islam, c'est à dire la soumission à DIEU. Sans la connaissance acquise grâce à la Loi sacrée et la bataille intérieure avec l’ego, il ne peut y avoir aucune contemplation, car comme l'écrit Ibn'Arabi :

" La révélation correspond à l'étendue et la forme de la connaissance. La connaissance de Lui, qui découle de Lui, que tu acquiers au moment de ta lutte et de ton entraînement, tu la réaliseras dans la contemplation. Mais ce que tu contempleras de Lui aura la forme de la connaissance que tu auras acquise auparavant. Tu n'avances en rien sinon par ton transfert de la connaissance ('ilm) à la vision (ayn); et la forme est une."

Voyage vers le Maître de la Puissance, en l'espace d'une lettre brève et extrêmement condensée, touche à de nombreux thèmes qui ne trouvent leur complet développement que dans les autres œuvres d'Ibn'Arabi. Abdul-Karim Jili le fait clairement remarquer dans son commentaire, et éclaire d'autres déclarations aussi obscures par sa connaissance, sa familiarité profondes avec l'oeuvre d'Ibn Arabi. Les commentaires qu'il a produits de certains des passages les plus difficiles ont été ajoutés sous forme de notes.



De nombreuses  histoires où Ibn'Arabi intervient  nous ont été transmises. Plusieurs d'entre  elles sont relatées dans l'introduction. On sait bien moins de choses, en revanche, d'Abdul-Karim Jili. Cet homme fort respecté, qui mourut entre 1408 et 1417, était aussi un cheikh, descendant du grand saint Abdul-Qadir Jilani. Il est le principal systématiseur et l'un des plus grands interprètes de l'oeuvre d'Ibn'Arabi. Son livre, al-Insan al-kamil (" L'homme parfait"), qui explique les enseignements d'Ibn'Arabi quant à la structure de la réalité et de la perfection humaine, est considéré comme un chef-d'oeuvre de la littérature soufie.

On a dit que l'objet du soufisme était la production de saints. Dans l'Islam, on appelle les saints awliya, les amis de DIEU. Le Coran décrit leur état : " les amis d'Allâh - aucune peur ne tombe sur eux, et ils ne s'affligent pas." (10 : 62). Les awliya sont ceux en lesquels il ne subsiste aucune trace de fausse existence. DIEU les garde dans une soumission parfaite, si bien que leurs actions sont Ses actions. Un hadith qudsi dit : " Rien ne m'est plus agréable, parmi les moyens qu'a mon serviteur de se rapprocher de moi, que le culte auquel je l'ai soumis; et mon serviteur ne cesse de s'approcher de moi avec des dévotions volontaires accrues jusqu'à ce que je l'aime; et quand je l'aime je deviens l'ouïe avec laquelle il entend et l’œil avec lequel il voit et la main avec laquelle il prend et le pied avec lequel il marche." Grâce aux saints, dont la vie porte témoignage d'un tel état, l'humanité pourrait comprendre l'oeuvre pour laquelle elle a été créée, et reconnaître que l'être humain véritable est le représentant de DIEU. Par une promesse Divine, le monde n'en sera pas dépourvu jusqu'à la fin des temps.

J'aimerai mentionner l'assistance que m'ont apportée le professeur Roy Parviz Mottahedeh de l'université de Princeton et M. Simon Bryquer de New York pour la révision du manuscrit.

Gloire soit rendue à Allâh pour la générosité du al-Hajj Cheikh Muzafferuddin Ozak Efendi al-Jerrahi al-Halveti d'Istamboul, dont les paroles offrent une introduction édifiante au texte d'Ibn'Arabi, et pour le soutien inestimable du al-Hajj Cheikh Tosun Bekir Bayrak Efendi al-Jerrahi al-Haveti de New-York.

J'aimerai dédier cette traduction à mon père et à ma mère.

Toute erreur contenue dans ce livre serait mienne; mais à Lui seul revient l'éloge.
Puisse le lecteur trouver cette lecture profitable.

Préface de Rabia Terri Harris.
à suivre... (l'introduction)

mercredi 21 août 2013

L'IMÂMA ABÛ BAKR (4ème partie et fin) - IBN'ARABI

Allâh le Nom de DIEU
... Si sa supériorité, son autorité, son rang spirituel (littéralement: "son rang du point de vue de la religion"), la considération de l'Envoyé de DIEU à son égard, n'avaient pas été bien ancrés dans l'esprit des Compagnons, ils ne se seraient pas empressés à lui faire acte d'allégeance sans avoir eu besoin de réfléchir et ils n'auraient pas été unanimes sur la parfaite sincérité de son attention et sur les qualités (que nous venons de mentionner) entre beaucoup d'autres semblables, telles que : sa science des  secrets de la Prophétie (nubuwwa) et la Mission (risâla) de Mohammed et du Livre qui apporte la Lumière, le degré de l'état spirituel de " Servitude" qui lui était indissolublement attaché et au sommet duquel il se tenait, sommet qui est "l'ombre de la Prophétie". Il y a aussi, rappelons-le, le fait que l'Envoyé de DIEU  l'avait nommé son remplaçant pour diriger la Communauté à la prière, et cela à juste titre. Il avait dit à son sujet : " Une assemblée au de laquelle se trouve Abû Bakr ne doit pas placer à sa tête pour diriger la prière quelqu'un d'autre que lui." Et il avait confirmé cela par une autre de ses paroles : " Quiconque place à la tête d'une assemblée un homme, alors qu'il sait qu'il y a au milieu d'elle quelqu'un de meilleur, commet une injustice et une iniquité." Egalement lorsqu'il a dit au Pèlerinage d'Adieu ; " Musulmans ! prenez comme imâm le meilleur d'entre vous, car il est votre intercesseur (shafî), considérez donc qui vous choisirez comme intercesseur !" Ce qu'il y a derrière toutes ces paroles suffit à indiquer la faveur que représente sa désignation pour la direction de la prière ! C'est à lui que le Prophète donna l'ordre de diriger la prière, malgré les interventions de l'une de ses femmes, qui l'avaient fait s'emporter et s'écrier : " Vous êtes comme les "petites femmes" de Joseph (1) ! DIEU et Son Envoyé refusent sauf à Abû Bakr." Ensuite il dit : " Versez de l'eau pour m'asperger, afin que je puisse sortir et faire connaître au peuple celui que je leur recommande." On lui versa donc de l'eau et il sortit, appuyé sur Ali et al-Fadl ibn al-Abbâs, en se traînant (littéralement: " ses pieds rayaient la terre") sous l'effet de la faiblesse. Lorsque les Musulmans, qui étaient en train de prier, le virent s'avancer vers la mosquée, ils s'écrièrent : " Gloire à DIEU !". Cela attira l'attention d'Abû Bakr qui aperçut alors l'Envoyé de DIEU. Celui-ci s'assit à sa droite, et Abû Bakr termina la prière en la dirigeant pour lui et le peuple. Quand la prière eut été achevée, le Prophète tourna son visage vers les fidèles, et sa recommandation fut la suivante : " Musulmans ! nul Prophète ne meurt sans avoir mis à sa place le meilleur de sa communauté qui devient ainsi son imâm et celui de sa communauté (littéralement : "qui le dirige en se plaçant devant lui".)
Mais quand il sortit pour désigner au peuple celui qu'il leur recommandait, cette désignation n'était pas autre que celle de son remplacement pour la prière par Abû Bakr, et il n' y avait dans ses paroles rien d'autre que ce qu'il a dit. S'il a agi ainsi uniquement de son propre avis, de sa propre décision et de son propre jugement, c'est déjà une chose d'une importance considérable, et si c'est sous l'effet d'une inspiration venue de DIEU, qui lui en aurait donné l'ordre, c'est encore bien plus extraordinaire, voire même s'il n'est pas établi que c'était une inspiration Divine, car il a fait savoir que la coutume des Prophètes qui l'ont précédé était de ne pas mourir sans avoir mis à leur place le meilleur de leur communauté qui devenait ainsi leur imâm, or tous les Prophètes ne disent rien concernant les questions religieuses sans une inspiration venant de DIEU et une instruction Divine.





C'est là un degré extraordinaire dans la précellence, pour lequel personne ne peut rivaliser avec Abû Bakr et que personne ne peut lui disputer ! C'est aussi le dernier acte accompli par l'Envoyé de DIEU, son ultime commandement en matière de religion et son testament. C'est là-dessus que se sont basé les Compagnons, pour donner la préférence à Abû Bakr et l'élire à la direction de la Communauté, puisque le dernier acte accompli par l'Envoyé de DIEU avait été de le préférer à eux et de le choisir pour diriger la prière. Ils ne pouvaient pas passer outre à la décision de l'Envoyé de DIEU ni de préférer (à Abû Bakr) quelqu'un d'autre, en aucune façon et pour aucune raison. Et ils proclamèrent : " La prière est la base de la religion, et celui que le Prophète a agréé pour notre religion, nous l'agréons pour nos affaires temporelles (dunyâ)."

Celui qui prétend, après cet exposé et ces éclaircissements sous une forme abrégée, qu'un autre qu'Abû Bakr était plus digne que lui d'être préposé (taqdima) à l'Imâma, porte dans son for intérieur un jugement défavorable sur l'acte de l'Envoyé de DIEU et sur son ultime recommandation (ahd), il conteste sa décision et sa prescription, et se permet de tourner en dérision l'opinion des Compagnons et de discréditer (littéralement: "affaiblir" : ihân) leur jugement (ijtihâd), quand il s'est agi de lui prêter serment d'allégeance et de le suivre fidèlement.
DIEU a placé trop haut leurs mérites pour qu'ils aient pu, en matière de religion, se laisser aller à des opinions subjectives et passionnelles (hawâ), et Il a mis trop haut leur dignité pour qu'ils aient été de connivence dans des machinations, alors que ce sont des hommes dont la gloire et les louanges ont été proclamées (dans le Coran et la Tradition), "la meilleure Communauté apparue pour les Hommes" (Coran, III, 110), qui ont agi sainement et unanimement quand ils ont mis à leur tête Abû Bakr, en le choisissant librement et non pas sous l'effet de la contrainte. Nous savons que les premiers Musulmans (Ahl al-sâbiqa), Muhâjirûn aussi bien que Ançar, ne l'ont placé à leur tête qu'à cause de sa supériorité sur eux en mérites et parce qu'ils étaient convaincus qu'il était plus digne qu'eux de commander. Je témoigne formellement que l'homme égaré est celui qui se sépare d'eux, qui attaque leurs opinions et prétend qu'un autre était plus digne que lui d'être préposé à l'Imâma.
Méditez donc ce que je vous ai rapporté et expliqué concernant sa précellence, et prenez-le comme base !

Que la paix la plus complète soit sur celui qui s'est amélioré, qui est devenu bon, et à qui il a été donné de comprendre ce qu'on lui dit !

source: La profession de Foi (Ibn'Arabi)







  1. Ou encore çawâhib Yûsuf selon les traditions rapportées par Bukhâri : I, 169, 172 à 174, 182-183. Les femmes auxquelles Ibn'Arabi ne fait qu'une allusion étaient Aïcha et Hafça, celle-ci poussée par Aïcha. Elle craignait qu'Abû Bakr, trop sensible et trop ému, ne puisse remplacer le Prophète. Quant à la comparaison avec les "petites femmes" ou les "compagnes" de Joseph, sans doute s'explique-t-elle en référence à la sourate de Joseph, XI, 23-33, par l'insistance de jolies femmes pour détourner un homme de ce qu'il a décidé.

mercredi 14 août 2013

L'IMÂMA ABÛ BAKR (3ème partie)- Mûhyidîn Ibn ARABI

... L'indication traditionnelle (dalil) claire et évidente en faveur de l'Imâma d'Abû Bakr est la parole de DIEU : " Dis à ceux des bédouins laissés en arrière : Vous serez appelés contre un peuple d'une redoutable vaillance. Vous les combattrez ou bien ils se convertissent à l'Islam. Si vous obéissez, DIEU vous donnera une belle rétribution, alors que si vous tournez le dos, comme vous avez tourné le dos antérieurement, Il vous infligera un châtiment douloureux (1)." La lettre du texte du Coran exige formellement que celui qui les appellerait au combat serait quelqu'un d'autre que l'Envoyé de DIEU, d'après Son autre parole : " Dis: Vous ne partirez plus jamais avec moi en campagne et vous ne combattrez plus aucun ennemi avec moi... (2) Après la révélation de ce verset, ceux qui étaient "restés en arrière" (al-mukhallafûna) attendaient qu'on les appelât contre "le peuple d'une redoutable vaillance" pour laver de leurs âmes le péché de leur première abstention, et leur attente était pour quelqu'un qui viendrait les appeler après le Prophète, tout espoir d'une campagne avec l'Envoyé de DIEU leur étant fermé par ce que le Coran avait révélé à leur sujet. Ce qui le confirme c'est la particule de "remise à plus tard" (sîn al-isti'nâf) de Sa parole : sa-tud'awna - vous serez appelés; et cette particule ne concerne que le futur et rien d'autre. Aussi, lorsque Abû Bakr les a appelés pour combattre les arabes qui avaient apostasié (Ahl al-ridda), ils lui ont répondu avec empressement en se précipitant dans la bataille, et c'est là où ils firent preuve d'un grand courage (bâla'al-'azhîm) (3). Selon certains exégètes, "le peuple d'une redoutable vaillance" serait les Yéménites, or, parmi les Califes, seul Abû Bakr les a combattus, Sachez donc cela !



Les esprits clairs et les intelligences pénétrantes ne sauraient ignorer que le titre de "successeur" (exactement: "le titre de la succession" : laqab al-khilâfa) n'est attribué qu'à quelqu'un dont l'influence a été grande, dont l'autorité a été efficace et dont la parole   a été obéie, comme celle de celui dont il est le "successeur" (khalîfa : calife), qu'il a remplacé, et dont il est le représentant (nâ'ib). Dès qu'il n'est pas ainsi, il ne convient pas qu'il soit "successeur", ni qu'il porte le titre de "successeur".
Or ne voyez-vous pas que, lorsque Abû Bakr a succédé à l'Envoyé de DIEU pour diriger la prière, il l'a remplacé exactement, se tenant à la même place que lui, sans que personne ne s'interpose ni fasse obstacle, accomplissant la prière de la même façon que l'Envoyé l'accomplissait et la dirigeait devant ses Compagnons ? Il méritait donc qu'on l'appelait "successeur" à la prière" (khalifa ' alâ-l-çalât) à cause de son aptitude à cette fonction. Ce nom lui était resté et les gens le lui donnaient en s'adressant à lui, alors même que l'Envoyé de DIEU était encore en vie, pendant toute la durée qu'il dirigea la prière jusqu'à la mort de l'Envoyé de DIEU. Et le Jour de la Saqîfa quand il était là, discutant avec les Ançar et les convainquant d'une façon décisive par la nécessité que l'Imâma appartînt aux Quraïshites et non à eux, ni à tous les autres membres de la Communauté, c'est en ces termes qu'ils lui répondirent : " O successeur de l'Envoyé de DIEU pour nous diriger dans la prière ! choisis pour nous avec ta justesse de jugement celui qui convient pour ce commandement, pour que nous lui fassions acte d’allégeance !"
Il avait alors indiqué le choix entre l'un des deux hommes : Abû Ubayda et Umar, qui refusèrent cette charge. Mais ils avaient remarqué que les Ançar l'appelaient "successeur de l'Envoyé de DIEU"; alors ils lui confièrent le commandement et le reconnurent pour chef, et tous deux le désignèrent aussitôt par le titre de "successeur de l'Envoyé de DIEU" (khalîfat Rasûl Allâh) (4).



Abû Bakr fut donc le premier de cette Communauté à être appelé ainsi. Et il porta ce titre du vivant de l'Envoyé de DIEU et après sa mort. La première succession est la succession à la prière, la seconde est la succession à la tête de la Communauté et le Commandement (al-Imâra). Le nom de khalifa n'avait été donné auparavant qu'à un Prophète, comme Adam et David (5), et Abû Bakr est donc le troisième. C'est lui aussi qui, dans cette Communauté, fut le premier à être appelé " Le Juste" 'al-çiddîq), et ce nom n'avait été donné avant lui qu'à un Prophète, comme Idrîss, Abraham, et Joseph (6), et Abû Bakr est donc le quatrième. Il est aussi le plus ancien des premiers convertis à l'Islam (littéralement : " le plus devançant des devançants (dans la course) à l'Islam" : asbaqu-s-sâbiqîna ilâ-l-Islami) à la Foi, et à la croyance en l'Envoyé. L'Envoyé de DIEU l'avait appelé "Juste" (littéralement : " Véridique": çiddîq (7)) au moment où, l'ayant appelé à se convertir à l'Islam, Abû Bakr avait eu la foi en lui et avait cru en lui immédiatement. Le Prophète a dit en effet : " Il n'est personne de ceux que j'ai appelés à DIEU qui n'ait bronché (kabwa) - c'est à dire: marqué une hésitation (waqfa) - excepté Abû Bakr; je lui ai dit : j'ai été envoyé; et il m'a répondu : tu as dit la vérité (çadaqta). En vérité, chaque prophète a des justes, et le plus digne de lui, le plus proche de lui et qui a le plus ses faveurs, c'est celui qui a été empressé à croire en lui, et ensuite les autres (par ordre d'ancienneté). En vérité, chaque prophète a son mérite (dans la hiérarchie des prophètes), qu'obtient ensuite celui qui a été le plus empressé à croire en lui. En vérité, le mérite que je possède, c'est Abû Bakr qui l'a obtenu. C'est à son sujet et au sujet de l'Envoyé de DIEU qu'a été révélé le verset : " Et celui qui est venu avec la Vérité (çidq)" - c'est à dire l'Envoyé de DIEU -, "et celui qui l'a déclaré véridique" - c'est à dire Abû Bakr -, "ceux-là sont les pieux (8)".




Et il a été appelé "très véridique" à cause de la fréquence de ses témoignages de véridicité à l'égard de l'Envoyé de DIEU pour tout ce qu'il lui disait (9).  En tant que céleste (littéralement : " préexistant" : sâbiq), ce nom (de çiddîq) qui lui a été donné est une faveur immense. En tant qu'il vient de l'Envoyé de DIEU, c'est, de sa part, indiquer son mérite et sa grandeur. En tant qu'il lui a été donné par la Communauté qui, unanimement, l'appelait ainsi, c'est uniquement la preuve de la très grande considération dont il était l'objet et du très haut rang où on le plaçait.

S'il en est ainsi, quel rang pourrait être proche du sien ou s'en approcher ? " C'est là la Grande faveur (10)". Il a été le premier à croire en l'Envoyé de DIEU et à témoigner de sa véracité. Il est resté attaché  à le servir en tout lieu et en toute circonstance, dans ses voyages, dans ses séjours, dans sa retraite/khalwa (au mont Hira) et dans son émigration (hijra : hégire). C'est à son sujet que fut révélé le verset : " L'un des deux (littéralement: le second des deux) quand ils étaient dans la grotte", où DIEU apaisa son esprit par la bouche de Son Envoyé en lui disant : " Ne t'attriste pas !  DIEU est avec nous !" (11) Et DIEU fit descendre sur lui la Paix (al-Sakîna) et la quiétude (al-Tuma'nîna) (12). Le Prophète lui demanda : " Que penses-tu, Abû Bakr, de deux dont DIEU est le troisième (13) ? Il lui avait dit aussi :" Eh bien ! je t'annonce la bonne nouvelle de la Satisfaction de DIEU la plus grande pour toi." Abû Bakr s'exclama : " Assurément ? (bâla), ô Envoyé de DIEU !" et il lui répondit : " DIEU se révélera (yatajallâ) aux hommes d'une façon universelle et Il se révèlera à toi d'une façon particulière."

Le Prophète prit la parole au cours du Pèlerinage d'Adieu et il mentionna les Compagnons en ces termes : " Musulmans ! Abû Bakr est le meilleur des hommes pour moi, dans ses relations avec moi et comme compagnon, et il ne m'a jamais fait de mal. Sachez cela  de lui !" C'est donc par Abû Bakr qu'il a commencé. Ensuite il dit : " En vérité ! je suis satisfait de Umar ibn al-Khatâb, de Uthmân ibn Affân, de Ali ibn Abî Tâlib, de Talha ibn Abd Allâh, d'al-Zubayr ibn al-Awâmm, le fils de ma tante paternelle, de Sa'd ibn Abî Waqqâç de Sa'id ibn Zayd, de Abd al-Rahmân ibn Awf, et de Abû Ubayda ibn al-Jarrâh.(14).
Et Abû Bakr avait un grand avantage (daraja) sur les autres, c'est que les plus illustres des premiers Musulmans s'étaient convertis à l'Islam par son intermédiaire, comme Umar, Talha, al-Zubayr et Abd al-Rahmân Ibn Awf. Il avait notamment rencontré Umar ibn al-Khattâb et lui avait reproché de tarder à se convertir; il lui avait démontré l'authenticité de la qualité de Prophète de Mohammed et de sa qualité d'Envoyé Divin, et il lui avait montré la vérité, si bien que Umar s'était soumis et s'était rendu auprès du Prophète.
Du temps même de l'Envoyé de DIEU, les Compagnons avaient des égards particuliers pour les premiers Musulmans, pour le plus méritant d'entre eux (al-afdal) et pour les autres (selon leurs mérites), à cause de l'abondance des louanges de DIEU et de Son Envoyé à leur endroit et de la protection que leur présence assurait à la Religion de DIEU (Dîn Allâh).

Par les indications et les preuves évidentes que nous avons exposées, d'une manière résumée et brièvement, il est clair pour vous qu'Abû Bakr a la précellence sur les plus éminents des Compagnons, qu'il est le meilleur d'entre eux d'une façon absolue, et qu'il est, après les Prophètes et les Envoyés Divins, le meilleur des premiers et des derniers (de toute l'histoire de l'humanité).
à suivre...


source: La Profession de Foi (IBN'ARABI)











  1. Coran, XLVIII, 16.
  2. Coran, IX, 83.
  3. Il faut l'entendre dans le sens d'un combat mené avec héroïsme, comme épreuve de la foi. L'expression balâ'un 'azhîm est coranique et y a précisément le sens de "grande épreuve"
  4. Voir Tabarî, Ta'rîkh, I, 1842.
  5.  Coran, II, 30 : " Quand ton Seigneur dit aux Anges: Je vais placer sur la terre, un représentant (khalifatan." Et XXXVIII, 26 : " O David ! Nous t'avons fait représentant sur la  terre."
  6. Voir successivement: pour Idrîss (assimilé à Enoch ou à Elie), Coran, XIX, 56; Abraham, XIX, 41; pour Joseph, XII, 46. La seule femme a laquelle le Coran donne le titre de çiddîqa est Marie: V, 75.
  7. La racine commune à çiddîq ("juste") et à taçdîq ("croyance") exprime l'idée de véridicité. D'où littéralement : çiddîq - "véridique" et taçdîq - "témoignage de véridicité".
  8. Coran, XXXIX, 33.
  9. L'adjectif çiddîq (de la forme fi''îl) appartient en effet à la catégorie des intensifs exprimant généralement l'idée de fréquence (kathra), que le français rend par le superlatif absolu.
  10. Expression Coranique; XXXV, 32; XLII, 22.
  11. Coran, IX, 40, qui fait allusion à un épisode de l'émigration du Prophète, réfugié dans une grotte en compagnie d'Abû Bakr, pour échapper à la poursuite des Mecquois.
  12. " La descente de la Sakîna" est indiquée à cinq reprises dans le Coran, par trois fois dans la sourate XLVIII, aux versets 4, 18, 26; deux fois dans la sourate IX : 26, 40, où il est fait mention des "légions célestes" comme dans XLVIII, 4. La Sakîna a été identifié à la Shekinah hébraïque, d'où habituellement sa traduction par "Présence Divine". 
  13. Voir Bukhâri , v.4.
  14. La "satisfaction" (ridâ) du Prophète ou de DIEU signifie toujours la promesse du Paradis. C'est pourquoi les dix Compagnons cités par le Prophète au cours du Pèlerinage d'Adieu sont souvent désignés comme "les dix qui auront reçu la bonne nouvelle du Paradis assuré". 

mercredi 7 août 2013

L’ Imâma, Abû Bakr (2ème partie) - Ibn'Arbi

... Il est donc bien établi, par ce que nous avons montré, qu'il n'a pas fait de désignation par un texte explicite, bien qu'il eût pu le faire. Cependant il a accompli certains actes et il a prononcé certaines paroles qui ne sont pas loin d'être une désignation, s'il n'en sont point une, et par lesquels il a attiré l'attention sur celui qui était digne de cette fonction de commandement. Il s'agit du fait qu'il avait préposé Abû Bakr à la direction de la prière et qu'il l'avait placé devant la qibla ("l'orientation rituelle vers la Mecque"), ainsi que des paroles : " DIEU et Son Envoyé refusent,  sauf à Abû Bakr." Il y a également le fait qu'il lui donnait la préférence sur tous les compagnons pour lui servir de témoin dans ses alliances, ses engagements, sa correspondance et ses traités. Il y a aussi le fait que sa place était à la droite du prophète, et qu'elle restait vide, que personne d'autre ne l'occupait, quand il était absent. Il restait seul avec lui dans les délibérations.



Souvent le prophète disait : " Je rends hommage à l'avis d' Abû Bakr dans tout ce qu'il me soumet." Quand il consultait les Compagnons sur une affaire en son absence et qu'ils le conseillaient, il leur répondait : " Pas avant qu'Abû Bakr ne soit là et que j'aie entendu son avis; s'il me conseille cela, je l'écouterai." Il y a aussi le fait qu'il se rendait quotidiennement chez lui, sans manquer un jour, ou presque, tout le temps qu'il était resté à la Mecque, jusqu'au moment de son émigration à Médine. Le fait également qu'il n'y avait qu'Abû Bakr auprès du prophète, sans les autres compagnons, dans des circonstances graves, qu'il était seul avec lui dans le dais le jour de la bataille de Badr et au cours d'autres expéditions, ce qui fit dire aux Arabes, au moment où la bataille faisait rage : " Tu tiens beaucoup à ton compagnon !" Le prophète avait répondu : " DIEU m'a ordonné de le prendre comme ministre et conseiller, comme intime et compagnon, et si j'avais à choisir un ami (khalil) c'est lui que je choisirais, mais il est mon frère (akh) en religion et il reste avec moi, et il est mon confident attaché (1)." Il faut citer également ce qu'il répondit à une femme venue le trouver pour lui demander un don : " Reviens me voir à un autre moment ! - Et si je ne te trouve pas ! lui dit-elle - Si tu ne me trouves pas, tu trouveras Abû Bakr." Il avait acheté à un bédouin des jeunes chamelles en paiement différé, et le bédouin lui avait demandé : " Et si je ne te trouve pas, au cas où tu serais mort, qui me réglera mon dû ? - Le prophète lui avait répondu : Celui-ci !" en frappant de la main sur la cuisse d'Abû Bakr. Entre autres faits du même genre, que nous mentionnerons, si DIEU le veut, à propos de l'excellence de l'Imâma d'Abû Bakr. Tous ces éléments tiennent lieu de texte explicite; même s'ils n'en constituent pas un véritablement, du moins ont-ils éclairé ceux  qui étaient partisans de son élection et qui se sont appuyés sur eux pour lui donner la préférence et faire l'unanimité sur sa personne.



Selon une tradition, le prophète ne serait pas mort sans avoir attiré l'attention sur (ceux qui devaient être) ses quatre premiers successeurs et sur leur ordre de succession. Il aurait commencé par nommer Abû Bakr, puis Umar en second, Uthmân en troisième, puis Ali en quatrième. C'est ainsi qu'il aurait dit : " Si vous confiez cette charge à Abû Bakr, vous trouverez en lui un homme physiquement faible mais fort dans la religion de DIEU.
Si vous la confiez à Umar, vous trouverez en lui un homme fort, physiquement et dans la religion de DIEU. Si vous la confiez à Uthmân, vous trouverez en lui un homme compatissant et miséricordieux. Et si vous la confiez à Ali, vous trouverez en lui un "guide bien guidé" (hâdî mahdî)." (2)

Si quelqu'un fait l'objection suivante à ce hadith : " Si cette tradition est authentique, Umar devait être nécessairement plus digne de l'Imâma qu'Abû Bakr, puisque l'Envoyé a fait savoir que Umar avait à la fois la force physique et la force dans sa religion, alors qu'Abû Bakr était faible physiquement. Et celui qui possède ensemble les deux forces est plus digne que celui qui n'en possède qu'une. De même pour le compatissant miséricordieux et le "guide bien guidé", on lui répondra que cette remarque n'est pas un bon argument, car la force dans la religion de DIEU totalise toutes ces qualités. De même, si est exacte cette tradition qui dit que l'Envoyé de DIEU a mentionné Abû Bakr en premier, sa prééminence en découle nécessairement, parce que, de la part de l'Envoyé de DIEU, le mentionner en premier, c'était ainsi faire savoir quel était le rang de chacun, et attirer l'attention sur leur choix de préférence aux autres, en montrant clairement leur supériorité sur tous les autres Compagnons et leur prééminence sur tous ceux qui croyaient en lui. Ainsi est bien établie leur supériorité et bien reconnu qu'ils étaient les meilleurs de ses  Compagnons, et que leur hiérarchie dans le mérite correspondait au rang qu'ils devaient occuper (dans la succession du Prophète à la tête de la Communauté).



Sachez que la précellence de celui qui a le plus de mérite dans cette Communauté ne résulte que du fait des qualités et non du lignage ou de la parenté. N'entendez-vous pas Sa parole : " Ceux qui ont eu la foi et qui ont accompli les œuvres pies, ceux-là sont les meilleurs de l'humanité" (3), et : " Le plus noble d'entre vous, aux yeux de DIEU, est le plus pieux" (4), et : " Les proches (awliyâ) de DIEU sont uniquement les pieux" (5).

Ces versets, et d'autres semblables, vous montrent que la précellence de celui qui a le plus de mérite ne résulte que du fait des qualités et non du lignage ou de la parenté, car la foi est une qualité pour le croyant et les œuvres pies sont les qualités de ceux qui l'accomplissent. La différence entre les hommes de mérite (al-fudalâ) correspond à la différence de leurs qualités méritoires. Celui qui a davantage de qualités, grâce à son observance (des devoirs religieux) et au nombre de ses actions pieuses et bonnes, est grandement considéré, sa valeur et son rang sont élevés, et il est supérieur aux autres. Il y a des degrés (darajât) entre les êtres de mérite, entre les Anges, les Prophètes et ceux qui sont au-dessous d'eux. DIEU a dit : " Le Messie ne trouve certes pas indigne d'être un serviteur de DIEU, non plus que les Anges rapprochés (de Lui) (6), et : " Ceux qui portent le Trône et ceux qui sont autour de Lui" (7), et : " DIEU choisit, parmi les Anges, des Envoyés, et parmi les hommes (8)." Les Anges "rapprochés", les Porteurs du Trône, et ceux qui sont "choisis", sont supérieurs aux autres. DIEU a dit aussi des Prophètes : " Ces Envoyés, Nous en avons préféré les uns aux autres. Parmi eux, il en est à qui DIEU a parlé, et Il en a élevé d'autres en degrés (9)." Parmi les Prophètes, ceux qui sont Envoyés (mursalûn) sont supérieurs à ceux qui ne le sont pas, et parmi les Envoyés, ceux à qui DIEU a parlé (al-mukallamûn) sont supérieurs aux autres. Et au sujet des Compagnons de notre Prophète, qui sont les "meilleurs des nations" (afdalu-l-umam) après les prophètes, DIEU a dit : " Ils ne sont point égaux aux autres ceux d'entre vous qui auront dépensé (dans le chemin de DIEU) avant la Victoire et qui auront combattu. Ceux-là sont d'un degré plus considérable que ceux qui auront dépensé et combattu après (la Victoire) (10)". Il nous a ainsi fait savoir que celui qui a dépensé et combattu avant la Victoire est d'un degré plus considérable que celui qui a dépensé et combattu après celle-ci. Le fait de dépenser dans le chemin de DIEU et d'avoir combattu sont donc deux qualités distinctives attribuées à celui qui dépense et qui combat. On avait demandé au Prophète : " Quels sont les "proches de DIEU" (awliyâ Allâh) et les "proches" de Son Envoyé  !(11)" et il avait répondu : " Les Pieux (al-muttaqûn)". La piété (taqiyya) est donc elle aussi une qualité distinctive attribuée au croyant pieux.  Il est ainsi bien  établi, par ce que nous avons expliqué et montré, que la précellence de celui qui a le plus de mérite ne résulte que du fait des qualités et de rien d'autre, et qu'il y a une hiérarchie des êtres de mérite, entre les Anges, les Prophètes et ceux qui sont au-dessous d'eux. Considérez cela attentivement !

Et maintenant que le principe de l'objet de la discussion a été reconnu, par cet exposé résumé et qu'a débordé le flot de ces renforts au secours de la victoire malgré ses limites imposées, revenons à notre propos !

Nous dirons donc ceci : après la mort de l'Envoyé de DIEU, les musulmans eux-même n'envisageaient personne qui fût considéré comme digne d'assurer sa succession à la tête de la Communauté, parmi tous les Compagnons les plus éminents et dans sa pure  lignée, à l'exception de trois personnes : Abû Bakr, Ali et al-Abbas. Et c'est au sujet de ces trois hommes que les musulmans étaient en désaccord. La thèse des Alides Imânites, des Bakriyya et des  Abbâssiyya, qui prétend que le prophète avait  désigné par un texte explicite l'un de ces trois hommes, est fausse. L'argumentation décisive qui la réfute est la suivante. On répondra d'abord aux Bakriyya : que le fait qu'Abû Bakr ait indiqué quelqu'un d'autre que lui-même le Jour de la Saqîfa montre bien qu'il n'avait pas été désigné par le Prophète, car autrement il ne lui aurait pas été possible d'indiquer quelqu'un d'autre (12), sinon il aurait été en opposition avec la volonté du Prophète, et son mérite est bien trop haut et son rang bien trop illustre pour qu'on lui attribue pareille chose, lui qui était le  confident du Prophète et son homme de confiance dans toutes les affaires importantes et les décisions qu'il prenait, et qui avait été son remplaçant (khalîfa) pour diriger la prière de la Communauté ! On répondra ensuite à la fois aux Alides et aux Abbâssiyya : que le fait que Ali et al-Abbâs aient reconnu fidèlement Abû Bakr montre bien qu'il n'y avait eu aucun texte désignant explicitement l'un d'eux, car autrement il n'aurait absolument pas pu s'enlever à lui-même la direction de la Communauté et prêté serment d'allégeance à quelqu'un d'autre, sinon il aurait été alors en opposition avec l'Envoyé de DIEU, montrant qu'il s'écartait des limites que lui avait tracées le Prophète en lui donnant ses ordres, en lui confiant cette charge et en le désignant. Et même si cela devait entraîner sa perte, il lui était impossible de se dégager de cette charge et de l'abandonner, comme ce fut le cas de Uthmân qui ne pouvait abdiquer (littéralement : "se destituer lui-même", car l'Envoyé lui avait dit : " O Uthmân ! DIEU te revêtira d'une tunique; si quelqu'un te presse de l'enlever ou te la conteste, ne l'enlève pas ! (13)"
Et Uthmân resta fermement fidèle à l'ordre de l'Envoyé de DIEU, jusqu'à se faire tuer pour lui - que DIEU soit satisfait de lui !



Quand nous voyons deux hommes (al-Abbâs et Ali) faire acte d'obédience à un troisième (Abû Bakr),  et cela sans que ce dernier ait brandi le sabre sur eux, ni leur ait distribué de l'argent, ni gagné leur cœur par quelque don que ce fût, nous concluons nécessairement à sa supériorité en mérite vis-à-vis d'eux, bien établie à leurs yeux et unique raison de leur allégeance, convaincus  qu'il était plus digne qu'eux de la charge qu'on lui avait confiée et de la confiance qu'on avait mise en ses capacités.

Des traditions, dont la garantie est solide par plus d'un côté, ont rapporté que l'acte d'obédience de Ali et al-Abbâs à Abû Bakr avait déjà été fait alors que l'Envoyé de DIEU n'était pas encore enseveli. Abû Bakr en avait terminé avec l'affaire de la Saqîfa; il avait obtenu la caution des Ançâr, avait reçu le serment d'allégeance et avait fait l'unanimité sur sa personne. Accompagné de Umar et d'Abû Ubayda, il était alors revenu. Ils entrèrent dans la maison de l'Envoyé de DIEU pour assister aux derniers préparatifs en vue de son enterrement. Ce fut al-Abbâs qui rencontra le premier Abû Bakr sur le seuil. Il avait été informé de la discussion qu'il avait eue avec les Ançar et des paroles qui avaient été échangées, des arguments décisifs qu'il avait établis contre eux, des indications et des preuves qui les avaient convaincus, telles que le fait que cette fonction de commandement était réservée aux Quraïshites et à nuls autres et que les musulmans devaient se soumettre à eux fidèlement.  Il avait appris aussi que les gens avaient l'unanimité sur sa personne et lui avaient prêté le serment d'allégeance. C'est donc au retour d'Abû Bakr à la maison de l'Envoyé de DIEU qu'al-Abbâs lui serra la main et lui dit : " Nous avons appris toutes tes difficultés, et louange à DIEU qui a apaisé la haine grâce à toi et pour toi, qui a éteint les feux de la sédition (fitna) grâce à l’excellence de ton jugement et à ta bonne foi, qui a maintenu ce commandement de la Communauté chez les Quraïshites grâce à toi, sans qu'un élément étranger s'y introduise, grâce à ton influence bénéfique et à ta bénédiction (baraka), car tu n'as cessé d'être béni et favorisé, assisté et dirigé (vers ce qui est juste), et la façon dont tu as agi n'est pas étonnante de ta part pour ceux qui te sont proches et elle fait indéniablement partie de tes efforts pour te concilier les bonnes grâces de DIEU, que DIEU te récompense bien pour ta belle conduite, qu'Il assiste cette communauté par tes soins vigilants et qu'Il t'aide, par Sa grâce et Sa générosité, pour les affaires de la Communauté dont Il a fait de toi le gardien !" Ali s'avança vers Abû Bakr, quand son oncle eut fini de lui présenter ses vœux, et lui dit à son tour : " Les Ançar s'étaient conté à eux-même des mensonges, par DIEU ! s'ils nous avaient frustré de ce commandement, la terre se serait refermée sur eux et les montagnes les auraient engloutis dans leur sein ! Mais DIEU veillait sur eux et leur a fait accepter ce qui était véridique, et Il leur a concilié nos cœurs en les faisant revenir à la vérité. Serait-il possible de porter atteinte à l'Envoyé de DIEU dans son jugement et de contrevenir à son ordre, en tenant à l’écart sa tribu et ses proches  (Quraïshites) qui sont les hommes les plus élevés en dignité et qui tirent à eux les pans de son mérite et de son lignage ? Par DIEU, cela ne saurait arriver, tant qu'il nous restera le plus léger souffle de vie et assez de force (littéralement : " et un œil qui clignote") ! Mais, DIEU soit loué, qui nous a défendu parfaitement, qui a fait rentrer dans le fourreau le sabre de la sédition, qui a réalisé la concorde et a maintenu le commandement de la Communauté là où se trouvent son origine et sa source pour qu'il ne fût pas écarté de ceux qui en étaient dignes et qui y étaient destinés, qu'Il soit loué par d'abondantes louanges bénies !"



Ces paroles de Ali et d'al-Abbâs sont un parfait et authentique acte d'obédience (envers Abû Bakr) et expriment leur satisfaction de la façon dont il avait mené l'affaire avec les Ançar, satisfaction également que le pouvoir lui ait été reconnu. Il n' y a dans cet acte d'obédience aucun défaut ni rien de caché. Il faut ajouter à cela qu'Abû Bakr ne s'est pas précipité sur la succession du Prophète, mais au contraire qu'il l'a fuie, selon ses propres paroles : " Si je n'étais pas "cerné" - il voulait dire : contraint - au sujet de ce commandement, je ne l'accepterais pas", puis il devait dire : " Relevez-moi (de cette charge), relevez-moi !" Et ce fut Ali qui fut le premier à lui dire : " Non ! par DIEU ! nous te ne relèverons pas de ta charge et nous ne te demanderons pas de démissionner. L'Envoyé de DIEU t'a proposé pour diriger notre prière, qui donc te révoquerait (littéralement : " te mettrait à l'arrière") de la charge de succession (au prophète) sur nous ? Tu as été confirmé, que DIEU te rende ferme et nous soit propice grâce à toi et par toi !" Abû Bakr répondit : " Alors ne m'imposez de voir juste dans toutes mes décisions, comme l'Envoyé de DIEU voyait juste dans les décisions qu'il prenait, car l'Envoyé de DIEU était infaillible, il ne se trompait pas, préservé de toute erreur, soutenu par la Révélation venant de DIEU, tandis que moi, je ne suis que l'un d'entre vous, parfois je vois juste et parfois je me trompe. Si j'ai raison, glorifiez DIEU, et si je me trompe, alors conseillez-moi !"

Ali lui dit alors : " Ton renoncement, ta piété et tes scrupules religieux sont admirables ! Admirable aussi ce à quoi t'a conduit ton jugement et où t'ont amené l'assistance (que DIEU accorde à tes actions) et ta justesse de vue ! Personne ne peut dire du mal de toi ou te prendre en défaut et tu n'as pour les hommes, quand il ne s'agit pas de DIEU, ni complaisance ni convoitise. L'homme faible et humble est à yeux si puissant que tu te charges de ses droits, l'homme puissant et honoré est à tes yeux si faible que tu te charges de ses obligations. Tu ne crains que DIEU, et tu n'espères qu'en Lui, et, quand il s'agit de Lui, tu n'as pas peur du blâme de qui que ce soit. Que DIEU, au nom de la Religion, te donne une récompense parfaite, que, par la Vérité, Il maintienne ta bannière dressée, et que, grâce à toi et pour toi, Il réalise ce qui est le mieux, car Il est Celui qui détient la faveur de Sa Miséricorde."
à suivre...

source: La profession de Foi (Ibn'Arabi)

  1. Pour toutes ces traditions, voir Muslim: kitâb fadâ'il al-çahaba, et Bukhâri: kitâb fadâ'il Açhâb al-Nabî, v, pages 5 à 12.
  2. Cette tradition est citée par Abd al-Qâdir al-Jîlî sous une forme légèrement différente : Ghunya, p. 86.
  3. Coran XCVIII, 7
  4. Coran XLIX, 13
  5. Coran VIII, 34
  6. Coran IV, 172
  7. Coran XL, 7
  8. XXII, 75
  9. II, 253
  10. LVII, 10
  11. Nous avons gardé au mot walî (pl. awliyâ) son sens étymologique, bien qu'on le traduise habituellement par "bien-aimé" (de DIEU) et "saint".
  12. C'est à dire Abû Ubayda et Umar, voir le paragraphe 93.
  13.  On trouvera cette tradition dans les recueils d'Ibn Mâja (muqaddima, bâb 11) de Tirmidhî (manâqib, bâb 18) et Ibn Hanbal (VI, 75, 87, 149).

jeudi 1 août 2013

L'IMÂMA, ABÛ BAKR (1ère partie) - IBN'ARABI

" La sentence laissée pour la fin et la perle gardée", sur la connaissance des serviteurs les plus purs, et ce qu'il faut croire et répandre à leur sujet.


J'atteste avec une certitude catégorique que nos guides et nos chefs pour cette fonction (de l'imâma) sont ceux dont DIEU nous a informés dans Sa Révélation et nous a parlé dans Sa Récitation de leur état prédestiné, alors qu'ils étaient repliés dans le Néant, couchés dans les berceaux du Non-manifesté, comme des jeunes gens dans la caverne de la générosité Divine(1), par ces mots : " et fais de nous un guide (imâm) pour les pieux!" (2), c'est à dire : " pour que, par nous, ils trouvent la voie vers Toi". Et ils sont les guides des hommes promis à la béatitude, "ceux qui ont reçu par avance de Nous la Très Belle (Récompense) "(3), c'est à dire d'entrer, avec ceux qui les suivent, au Paradis dans la Foi. Nous allons parler, dans ce chapitre fondamental, de l'Imâma, de la communication de son caractère obligatoire et de ceux pour qui cette fonction est nécessaire.



Sachez que les hommes " qui se tournent vers la qibla "(4) sont en désaccord sur cette question (de l'Imâma). Des gens affirment que le caractère nécessaire de cette fonction est une nécessité rationnelle. D'autres disent que c'est une nécessité traditionnelle. C'est pourquoi ils ont eu des opinions différentes sur les modes de transmission de l'Imâma. Selon certains, son mode de transmission aurait été le "texte explicite" et la "désignation", émanant de l'Envoyé et concernant celui qui le remplacerait (comme chef de la communauté), qui précisaient son nom et sa personne. Selon eux, également, il devait être infaillible, ce qui était admissible pour ses sujets ne l'étant pas pour lui. Il n' y a pas d'autre mode de transmission (de l'Imâma) à un homme de cette nature que la communication confirmée par la tradition du texte explicite le désignant personnellement, ou d'une action miraculeuse manifestée en sa présence. Selon d'autres, il fallait que l'Imâm ayant cette nature infaillible désignât son successeur qui aurait le même privilège, parce que le " texte explicite " lui en avait fait une obligation, et ainsi de suite pour le deuxième, le troisième, le quatrième, jusqu'à la fin des temps. Telle est l'opinion des Imâmiyya et de toutes les sectes (firaq) sur la personne de celui que le texte de l'Envoyé avait désigné explicitement. Les Râwandiyya et leurs partisans tenaient pour l'Imâma d'al-' Abbâs Ibn 'Abd al-Muttalib, l'oncle du Prophète, et prétendaient qu'il l'avait désigné par un texte, lui, ainsi que son fils, le fils de ce dernier, etc... jusqu'à la fin des temps. Certains ont soutenu la thèse du texte désignant Ali, puis al-Hasan, puis al-Husayn, ensuite l'Imâma, sous forme consultative (shûrâ), se transmettrait jusqu'à la fin des temps du plus âgé au plus âgé. D'autres sectes des Imâmiyya ont déclaré que le Prophète avait désigné par un texte Abû Bakr le Juste (al çiddîq). Ceux qui soutiennent cette opinion portent le nom de Bakriyya parce qu'ils sont les disciples de Bakr ibn Abd Allâh Ibn Abd al-Wâhid, le premier qui l'ait énoncée. C'est également la thèse des Bayhasiyya, disciples de Bayhas ibn Hayçam, ainsi que d'al-Hasan ibn al-Hasan al-Baçrî et de ses disciples et d'un grand nombre de " gens du Hadith".



La "fraction sauve" / farîq al-salâma (des Musulmans) et les docteurs de cette communauté (umma) ont soutenu la thèse de l'"élection", et ils ont repoussé celle de la désignation, par un texte explicite émanant du Prophète, d'une personne déterminée. Il aurait seulement dit ceci : "Je ne sais combien de temps je resterai parmi vous, suivez donc ceux qui me suivront après moi : Abû Bakr et Umar !" Il avait recommandé de les suivre, comme s'il les désignait comme ses successeurs l'un après l'autre, mais, par miséricorde de sa part envers la communauté, il ne l'avait pas dit nettement, puisqu’ensuite il devait déclarer : " Si je vous désignais mon successeur et qu'ensuite vous lui désobéissiez, le châtiment tomberait sur vous."(5)
Selon eux l'Imâma est de nécessité traditionnelle, comme toutes les obligations religieuses, car pour ces gens la raison ne saurait conférer un caractère obligatoire à rien. La raison est uniquement un instrument de discernement, rien d'autre, tandis que la tradition seule, sans la raison, a force de nécessité.

Les Compagnons du Prophète étaient unanimes sur le caractère obligatoire de l'Imâma, car il fait partie des obligations communes qui sont imposées à tous, le vulgaire ou l'élite. Il faut donc à chaque époque un Imâm, qui soit le refuge de l'affligé, le recours du faible, qui protège la Communauté, applique les peines légales et fasse exécuter les lois, prélève l'impôt foncier, répartisse les butins et les aumônes, soumette les oppresseurs et prenne la défense du faible contre le puissant.
Il prend en charge la Communauté en tout cela et représente l'ensemble des fidèles. Il doit être bon musulman, et parmi ceux qui savent parfaitement commander et diriger seuls. Il doit être de pure et bonne ascendance quraïshite et non d'une autre ascendance.
Mais il ne lui est pas demandé d'être infaillible, dont on n'admettrait pas la moindre négligence ni la moindre erreur; il lui est permis, comme aux autres hommes, de se tromper et de faire des fautes, de poser des questions en cas de difficulté, de consulter sur les affaires à régler, et de s'en remettre à l'avis de quelqu'un d'autre dont il connait le jugement sain et la loyauté.
Il lui est permis aussi de prendre une décision et de revenir sur celle-ci pour une autre qu'il estime plus convenable. En tout cela la Communauté et lui sont égaux.



La preuve sur laquelle s'appuient ceux-ci (les Musulmans de saine opinion), pour affirmer le caractère obligatoire de la fonction de l'Imâm, est Sa parole : " Le voleur et la voleuse, tranchez-leur les mains  ! (6)" et : " La fornicatrice et le fornicateur, flagellez chacun d'eux... ! (7) et d'autres cas semblables pour lesquels le Livre et la Tradition du Prophète exigent l'application des peines légales. La preuve (scripturaire ou traditionnelle) suppose qu'il n'appartient pas au commun d'appliquer les peines, car cela mènerait aux contestations et à la sédition. La nécessité réclamait donc que quelqu'un fût chargé de cela pour la Communauté et qu'il entendît les témoignages nécessaires pour faire appliquer les lois comme elles l'exigent, et pour qu'il ne fût pas possible d'entraver les peines légales et les lois dans leur force contraignante.

Le Prophète est mort sans avoir installé un Imâm pour la Communauté, ni d'avoir désigné personne par un texte explicite. Selon eux (les Musulmans de saine opinion), la preuve qu'il n'avait désigné personne est le fait que l'Imâma a été installé après lui par élection, et qu'il y eut à son sujet discussion entre Abû Bakr et les Ançar le "jour de la Saqîfa", où il leur montra leur erreur dans les prétentions qu'ils lui opposaient (8). C'est lui qui, le premier, discuta avec eux (pour leur montrer) la nécessité de l'Imâma et (leur dit) que c'était un devoir obligatoire et qu'il était réservé uniquement aux quraïchites. Ils se rangèrent alors à son avis et à sa décision. Leur revirement est dû à ce que leur dit alors Umar au milieu du tumulte : " O assemblée des Ansâr ! Je vais vous poser une question. Répondez-moi, et, après cela, vous déciderez si vous avez raison ou tort ! - Parle ! lui dirent-ils. - Je vous adjure de me dire, au nom de DIEU, si vous saviez que l'Envoyé de DIEU avait confié la direction de la prière à Abû Bakr, de préférence à vous et à tous les autres, et qu'Abû Bakr avait dirigé la prière à sa place pendant neuf jours, alors que l'Envoyé de DIEU était encore en vie ? - Par DIEU, assurément ! répondirent-ils - Qui donc accepterait de bon cœur qu'Abû Bakr soit mis à l'arrière et qu'on lui passe devant ? - Tous s'écrièrent : Personne d'entre nous n'accepterait cela de bon cœur,  et nous demandons pardon à DIEU !"
Après s'être ainsi repentis, tous s'avancèrent vers Abû Bakr en lui demandant pardon et en s'excusant, et lui confièrent le soin de choisir un Imâm. " Tu es le remplaçant (khalîfa) de l'Envoyé de DIEU pour nous dans la prière, lui dirent-ils, choisis donc pour nous et pour la Communauté !" Il leur répondit : " Vous avez le choix entre deux hommes : Abû Ubayda, car il est "l'homme sûr de cette Communauté", ou bien Umar car "la Vérité est dans sa bouche et dans sa main", allez donc vers celui que vous voulez choisir !" Mais Abû Ubayda et Umar refusèrent d'être élus, estimant qu'Abû Bakr en était plus digne qu'eux, puisque l'Envoyé de DIEU l'avait préféré pour diriger la prière, à eux et à tous les autres membres de la Communauté. Ils le reconnurent donc comme chef de la Communauté, par une sorte "d'interprétation et d'opinion personnelles".



Si donc le Prophète avait désigné quelqu'un par un texte explicite, il n'y aurait pas eu de divergences après lui, et Abû Bakr, ni personne d'autre, n'aurait pu indiquer quelqu'un d'autre que la personne désignée par le texte en question, car cela aurait été - à Dieu ne plaise ! - de la rébellion contre DIEU et Son Envoyé, une preuve de désaccord vis-à-vis d'eux, et cela aurait été outrepasser leurs ordres. Mais DIEU les a protégés; Il a placé tellement haut leurs mérites et Il les a rendus tellement purs qu'on ne saurait leur attribuer ce qui est indigne de leurs vertus, car ils sont, après l'Envoyé de DIEU, les Elus parmi Ses Saints et " la meilleure communauté apparue pour les hommes" (Cor. III, 110). DIEU a fait leur éloge en de nombreux endroits de Son Livre. Il est ainsi bien établi, par ce que nous avons expliqué et montré, que l'Imâma, après l'Envoyé de DIEU, a été établi par élection, non par un texte, et que le texte n'a aucune réalité.

Il faut noter également que les Ançar étaient nombreux et occupaient un rang élevé dans l'Islam; DIEU, dans Son Livre, avait révélé leur gloire et avait fait leur éloge. Si donc le (prétendu) texte avait eu quelque réalité pour eux, il ne leur aurait pas été possible de ne pas tenir compte de celui qu'il aurait désigné, car ils étaient trop haut et trop nobles pour faire une pareille chose. Mais comme le texte n'avait aucun fondement pour eux, ils crurent à la possibilité que l'un des leurs fût investi de l'Imâma. Ils mirent à leur tête Sa'd et le reconnurent comme chef en disant : " Un chef de chez nous, et un chef de (chez vous) les Quraïshites !"(9)  Lorsqu'on leur eut rappelé les paroles de l'Envoyé de DIEU et sa désignation explicite de la tribu de Quraïsh, ils surent quelle était la vérité, à savoir que l'Imâma appartenait aux Quraïshites et non à eux, ni à tous les autres (membres de la Communauté). Ils se rendirent alors à la vérité avec soumission, ce qui était tout à fait digne d'eux et concordait parfaitement avec leurs vertus.



Ce qui confirme ce que nous venons de dire concernant la fausseté de la thèse du texte désignant nommément une personne, c'est la tradition suivante.
Al Abbâs avait dit à Ali, au cours de la maladie où l'Envoyé de DIEU devait trouver la mort : " Mon neveu ! je vois sur le visage de l'Envoyé de DIEU les signes précurseurs de la mort, allons ensemble l'interroger sur cette question (de la direction suprême de la Communauté) après lui." Mais Ali s'y était montré réfractaire et avait répondu : " Puisse-je ne pas être celui qui entrera auprès de l'Envoyé de DIEU pour lui annoncer qu'il va mourir !"
Si (la théorie du) "texte" avait quelque fondement, al-Abbâs n'aurait pas dit à Ali ce qu'il lui a dit. On rapporte également qu'al Abbâs alla seul chez le prophète pour l'interroger sur cette fonction (de l'Imâma), et que le prophète se tut et ne lui répondit rien, puis sortit ayant retrouvé un peu de la fermeté qu'il avait avant l'aggravation de son mal et il fit ses dernières recommandations aux Muhâjirûn et aux Ançar ensuite. Al-Abbâs demanda alors à un homme de dire au prophète : " O Envoyé de DIEU ! adresse tes recommandations aux Quraïshites !" C'est ce que fit l'homme, et le prophète déclara : " Je recommande seulement aux Quraïshites les Musulmans; les Musulmans suivront fidèlement les Quraïshites dans cette direction (suprême de la Communauté) (10)". Voilà qui réfute (la thèse) du texte désignant une personne déterminée ! Toujours à propos d'al-Abbâs, on rapporte qu'après le départ d'Abû Bakr, Umar et Abû Ubayda, se rendant auprès des "gens de la Saqîfa", tandis que Ali et lui étaient occupés à laver le corps de l'Envoyé de DIEU , il dit à Ali : " Étends ta main ! pour que je te fasse serment d'allégeance et que je sois le premier oncle qui ait fait acte d'obédience à son neveu, et qu'ainsi personne ne s'oppose à toi." Ali répondit : " Nous sommes occupés à faire quelque chose de plus important que régler la question de la succession de l'Envoyé de DIEU, pour son enterrement." Si le "texte" avait eu une base réelle, il n'en aurait pas été ainsi.



Une autre preuve de la fausseté (de la thèse) du texte explicite, est que la question de l'Imâma est une question très importante, dont l'information a dû être répandue et rendue publique tout autant que celle de la Nubuwwa (fonction, ou nature, prophétique). Si donc le prophète avait désigné dans un texte explicite une personne déterminée, cela se serait passé au grand jour, car le cas de l'Imâma est comme celui de la Nubuwwa, puisque la fonction d'Imâm remplace (khâlifa) celle de prophète. Les raisons d'en transmettre l'information étaient multiples comme celles motivant qu'on transmette les marques de la prophétie et les dispositions de la Loi, selon une transmission de commune renommée, de notoriété confirmée et répandue sur laquelle il y a accord et qui ne donne pas prise aux divergences, que connaissent également le commun et l'élite sans distinction, comme les dispositions de la Loi, telles que la prière, l'aumône légale (zakât), le pèlerinage et la guerre sainte, ainsi que toutes les autres dispositions religieuses et les paroles du prophète, sur lesquelles s'est réalisée l'unanimité et que connaissent également l'élite des Musulmans et le commun sans distinction. Il n'est pas possible d'admettre qu'une telle information ait été tenue secrète, comme cela était impossible pour les obligations religieuses, sans qu'il y ait eu contestations et querelles. Or nous avons vu qu'il y a eu divergence au sujet de l'Imâma, et que chaque groupe de la Communauté y prétendait selon son point de vue propre et sa tendance; nous savons donc que la thèse de la désignation par le texte explicite est fausse et totalement inexacte.

Si les Compagnons avaient été liés par cette prétendue désignation, il n' y aurait pas eu désaccord à ce sujet et aucun ne se serait permis de passer outre, de la même façon qu'il n'y avait pas eu désaccord sur la désignation, reconnue à l'unanimité, de Umar par Abû Bakr, et ensuite celle des " Hommes du Conseil" (ahl al-Shûra) par Umar, au nombre de six : Uthmân, Ali, Talha, al-Zubayr, Abd al-Rahman ibn Awf et sa'd ibn Mâlik.

Chacun était d'un mérite trop grand et d'un rang trop élevé, et la désignation était trop claire et trop manifeste (pour qu'il y eût désaccord et contestation). Et il est indiscutable que le prophète était d'un rang plus élevé et plus grand qu'Abû Bakr, Umar et les hommes du Conseil, que dis-je ? il les surpassait tous, et s'il avait  désigné quelqu'un, cette désignation aurait été nécessairement tout aussi manifeste et transmise tout aussi bien que sa désignation de la tribu de Quraïsh d'une façon formelle pour assurer l'Imâma en ces termes : " Les Imâms seront de Quraïsh" et " cette fonction de commandement (amr) ne sera exercée que par Quraïsh" et " Ce commandement ne cessera pas (d'être exercé) par Quraïsh" et " Les Musulmans (devront suivre) fidèlement Quraïsh" (11). De la même façon que nous ont été transmises ses désignations de gouverneurs et de juges, tels que Ja'far ibn Abi Tâlib, Zayd ibn Hâritha, Mu'âdh ibn Jabal, Usâma ibn Zayd et Abd Allâh ibn Rawâda, entre autres. Il en va de même pour le caractère manifeste de cette désignation de Umar par Abû Bakr et celle des hommes du Conseil par Umar. L'élite de cette Communauté et les grands Docteurs repoussent la thèse selon laquelle le prophète  aurait désigné explicitement une personne déterminée; il a désigné seulement la tribu de Quraïsh dans son ensemble et sans précision. Puisqu'il en est ainsi, on sait que cette désignation personnelle d'une personne déterminée est sans le moindre fondement. Celui qui prétendrait malgré tout qu'elle avait été faite en faveur de quelqu'un, a tort, et il doit être sévèrement traité, réprimandé et blâmé, pour avoir attribué aux Compagnons le fait d'être de connivence pour cacher cette nomination, dans l'intention de faire passer le commandement de la Communauté à quelqu'un d'autre que celui qui était désigné. Celui qui soutient une pareille chose à l'égard des Compagnons, suit une voie qui n'est pas celle des Croyants, et il fait preuve de rébellion envers ceux qui, après l'Envoyé de DIEU, le Sceau des Prophètes, sont les Elus du Seigneur des Monde !
à suivre...


source : La profession de Foi (Ibn'Arabi)






  1. Allusion symbolique aux sept dormants de la caverne, Coran XVII, 13.
  2. Coran, XXV, 74.
  3. Coran, XXI, 101.
  4. C'est une façon de désigner les Musulmans, parce que la Prière en direction de la Mecque symbolise bien ce qui les unit en dépit de leurs divergences.
  5. On trouvera ces traditions dans les recueils canoniques, en particulier chez Tirmidhi: Kitâb al-manâqib, bâb 16, 37, 38. 
  6. Coran V, 38.
  7. Coran XXIV, 2.
  8. Voir Tabarî, Ta'rîkh, I, I840-2.
  9. Voir par exemple Bukhâri v, 8. Il s'agit de Sa'd Ibn Ubâda; cf. Ibn Sa'd, Tabaqât, III/II, 142 et sq.
  10. Voir Bukhâri , IV, 217.
  11. On trouvera ces traditions dans Bukhâri, p. ex. : II, 77-78, et Ibn Hanbal, Musnad, p. ex: II, 29,93 , 128, 261; etc.