... Il est donc bien établi, par ce que nous avons montré, qu'il n'a pas fait de désignation par un texte explicite, bien qu'il eût pu le faire. Cependant il a accompli certains actes et il a prononcé certaines paroles qui ne sont pas loin d'être une désignation, s'il n'en sont point une, et par lesquels il a attiré l'attention sur celui qui était digne de cette fonction de commandement. Il s'agit du fait qu'il avait préposé Abû Bakr à la direction de la prière et qu'il l'avait placé devant la qibla ("l'orientation rituelle vers la Mecque"), ainsi que des paroles : " DIEU et Son Envoyé refusent, sauf à Abû Bakr." Il y a également le fait qu'il lui donnait la préférence sur tous les compagnons pour lui servir de témoin dans ses alliances, ses engagements, sa correspondance et ses traités. Il y a aussi le fait que sa place était à la droite du prophète, et qu'elle restait vide, que personne d'autre ne l'occupait, quand il était absent. Il restait seul avec lui dans les délibérations.
Souvent le prophète disait : " Je rends hommage à l'avis d' Abû Bakr dans tout ce qu'il me soumet." Quand il consultait les Compagnons sur une affaire en son absence et qu'ils le conseillaient, il leur répondait : " Pas avant qu'Abû Bakr ne soit là et que j'aie entendu son avis; s'il me conseille cela, je l'écouterai." Il y a aussi le fait qu'il se rendait quotidiennement chez lui, sans manquer un jour, ou presque, tout le temps qu'il était resté à la Mecque, jusqu'au moment de son émigration à Médine. Le fait également qu'il n'y avait qu'Abû Bakr auprès du prophète, sans les autres compagnons, dans des circonstances graves, qu'il était seul avec lui dans le dais le jour de la bataille de Badr et au cours d'autres expéditions, ce qui fit dire aux Arabes, au moment où la bataille faisait rage : " Tu tiens beaucoup à ton compagnon !" Le prophète avait répondu : " DIEU m'a ordonné de le prendre comme ministre et conseiller, comme intime et compagnon, et si j'avais à choisir un ami (khalil) c'est lui que je choisirais, mais il est mon frère (akh) en religion et il reste avec moi, et il est mon confident attaché (1)." Il faut citer également ce qu'il répondit à une femme venue le trouver pour lui demander un don : " Reviens me voir à un autre moment ! - Et si je ne te trouve pas ! lui dit-elle - Si tu ne me trouves pas, tu trouveras Abû Bakr." Il avait acheté à un bédouin des jeunes chamelles en paiement différé, et le bédouin lui avait demandé : " Et si je ne te trouve pas, au cas où tu serais mort, qui me réglera mon dû ? - Le prophète lui avait répondu : Celui-ci !" en frappant de la main sur la cuisse d'Abû Bakr. Entre autres faits du même genre, que nous mentionnerons, si DIEU le veut, à propos de l'excellence de l'Imâma d'Abû Bakr. Tous ces éléments tiennent lieu de texte explicite; même s'ils n'en constituent pas un véritablement, du moins ont-ils éclairé ceux qui étaient partisans de son élection et qui se sont appuyés sur eux pour lui donner la préférence et faire l'unanimité sur sa personne.
Selon une tradition, le prophète ne serait pas mort sans avoir attiré l'attention sur (ceux qui devaient être) ses quatre premiers successeurs et sur leur ordre de succession. Il aurait commencé par nommer Abû Bakr, puis Umar en second, Uthmân en troisième, puis Ali en quatrième. C'est ainsi qu'il aurait dit : " Si vous confiez cette charge à Abû Bakr, vous trouverez en lui un homme physiquement faible mais fort dans la religion de DIEU.
Si vous la confiez à Umar, vous trouverez en lui un homme fort, physiquement et dans la religion de DIEU. Si vous la confiez à Uthmân, vous trouverez en lui un homme compatissant et miséricordieux. Et si vous la confiez à Ali, vous trouverez en lui un "guide bien guidé" (hâdî mahdî)." (2)
Si quelqu'un fait l'objection suivante à ce hadith : " Si cette tradition est authentique, Umar devait être nécessairement plus digne de l'Imâma qu'Abû Bakr, puisque l'Envoyé a fait savoir que Umar avait à la fois la force physique et la force dans sa religion, alors qu'Abû Bakr était faible physiquement. Et celui qui possède ensemble les deux forces est plus digne que celui qui n'en possède qu'une. De même pour le compatissant miséricordieux et le "guide bien guidé", on lui répondra que cette remarque n'est pas un bon argument, car la force dans la religion de DIEU totalise toutes ces qualités. De même, si est exacte cette tradition qui dit que l'Envoyé de DIEU a mentionné Abû Bakr en premier, sa prééminence en découle nécessairement, parce que, de la part de l'Envoyé de DIEU, le mentionner en premier, c'était ainsi faire savoir quel était le rang de chacun, et attirer l'attention sur leur choix de préférence aux autres, en montrant clairement leur supériorité sur tous les autres Compagnons et leur prééminence sur tous ceux qui croyaient en lui. Ainsi est bien établie leur supériorité et bien reconnu qu'ils étaient les meilleurs de ses Compagnons, et que leur hiérarchie dans le mérite correspondait au rang qu'ils devaient occuper (dans la succession du Prophète à la tête de la Communauté).
Sachez que la précellence de celui qui a le plus de mérite dans cette Communauté ne résulte que du fait des qualités et non du lignage ou de la parenté. N'entendez-vous pas Sa parole : " Ceux qui ont eu la foi et qui ont accompli les œuvres pies, ceux-là sont les meilleurs de l'humanité" (3), et : " Le plus noble d'entre vous, aux yeux de DIEU, est le plus pieux" (4), et : " Les proches (awliyâ) de DIEU sont uniquement les pieux" (5).
Ces versets, et d'autres semblables, vous montrent que la précellence de celui qui a le plus de mérite ne résulte que du fait des qualités et non du lignage ou de la parenté, car la foi est une qualité pour le croyant et les œuvres pies sont les qualités de ceux qui l'accomplissent. La différence entre les hommes de mérite (al-fudalâ) correspond à la différence de leurs qualités méritoires. Celui qui a davantage de qualités, grâce à son observance (des devoirs religieux) et au nombre de ses actions pieuses et bonnes, est grandement considéré, sa valeur et son rang sont élevés, et il est supérieur aux autres. Il y a des degrés (darajât) entre les êtres de mérite, entre les Anges, les Prophètes et ceux qui sont au-dessous d'eux. DIEU a dit : " Le Messie ne trouve certes pas indigne d'être un serviteur de DIEU, non plus que les Anges rapprochés (de Lui) (6), et : " Ceux qui portent le Trône et ceux qui sont autour de Lui" (7), et : " DIEU choisit, parmi les Anges, des Envoyés, et parmi les hommes (8)." Les Anges "rapprochés", les Porteurs du Trône, et ceux qui sont "choisis", sont supérieurs aux autres. DIEU a dit aussi des Prophètes : " Ces Envoyés, Nous en avons préféré les uns aux autres. Parmi eux, il en est à qui DIEU a parlé, et Il en a élevé d'autres en degrés (9)." Parmi les Prophètes, ceux qui sont Envoyés (mursalûn) sont supérieurs à ceux qui ne le sont pas, et parmi les Envoyés, ceux à qui DIEU a parlé (al-mukallamûn) sont supérieurs aux autres. Et au sujet des Compagnons de notre Prophète, qui sont les "meilleurs des nations" (afdalu-l-umam) après les prophètes, DIEU a dit : " Ils ne sont point égaux aux autres ceux d'entre vous qui auront dépensé (dans le chemin de DIEU) avant la Victoire et qui auront combattu. Ceux-là sont d'un degré plus considérable que ceux qui auront dépensé et combattu après (la Victoire) (10)". Il nous a ainsi fait savoir que celui qui a dépensé et combattu avant la Victoire est d'un degré plus considérable que celui qui a dépensé et combattu après celle-ci. Le fait de dépenser dans le chemin de DIEU et d'avoir combattu sont donc deux qualités distinctives attribuées à celui qui dépense et qui combat. On avait demandé au Prophète : " Quels sont les "proches de DIEU" (awliyâ Allâh) et les "proches" de Son Envoyé !(11)" et il avait répondu : " Les Pieux (al-muttaqûn)". La piété (taqiyya) est donc elle aussi une qualité distinctive attribuée au croyant pieux. Il est ainsi bien établi, par ce que nous avons expliqué et montré, que la précellence de celui qui a le plus de mérite ne résulte que du fait des qualités et de rien d'autre, et qu'il y a une hiérarchie des êtres de mérite, entre les Anges, les Prophètes et ceux qui sont au-dessous d'eux. Considérez cela attentivement !
Et maintenant que le principe de l'objet de la discussion a été reconnu, par cet exposé résumé et qu'a débordé le flot de ces renforts au secours de la victoire malgré ses limites imposées, revenons à notre propos !
Nous dirons donc ceci : après la mort de l'Envoyé de DIEU, les musulmans eux-même n'envisageaient personne qui fût considéré comme digne d'assurer sa succession à la tête de la Communauté, parmi tous les Compagnons les plus éminents et dans sa pure lignée, à l'exception de trois personnes : Abû Bakr, Ali et al-Abbas. Et c'est au sujet de ces trois hommes que les musulmans étaient en désaccord. La thèse des Alides Imânites, des Bakriyya et des Abbâssiyya, qui prétend que le prophète avait désigné par un texte explicite l'un de ces trois hommes, est fausse. L'argumentation décisive qui la réfute est la suivante. On répondra d'abord aux Bakriyya : que le fait qu'Abû Bakr ait indiqué quelqu'un d'autre que lui-même le Jour de la Saqîfa montre bien qu'il n'avait pas été désigné par le Prophète, car autrement il ne lui aurait pas été possible d'indiquer quelqu'un d'autre (12), sinon il aurait été en opposition avec la volonté du Prophète, et son mérite est bien trop haut et son rang bien trop illustre pour qu'on lui attribue pareille chose, lui qui était le confident du Prophète et son homme de confiance dans toutes les affaires importantes et les décisions qu'il prenait, et qui avait été son remplaçant (khalîfa) pour diriger la prière de la Communauté ! On répondra ensuite à la fois aux Alides et aux Abbâssiyya : que le fait que Ali et al-Abbâs aient reconnu fidèlement Abû Bakr montre bien qu'il n'y avait eu aucun texte désignant explicitement l'un d'eux, car autrement il n'aurait absolument pas pu s'enlever à lui-même la direction de la Communauté et prêté serment d'allégeance à quelqu'un d'autre, sinon il aurait été alors en opposition avec l'Envoyé de DIEU, montrant qu'il s'écartait des limites que lui avait tracées le Prophète en lui donnant ses ordres, en lui confiant cette charge et en le désignant. Et même si cela devait entraîner sa perte, il lui était impossible de se dégager de cette charge et de l'abandonner, comme ce fut le cas de Uthmân qui ne pouvait abdiquer (littéralement : "se destituer lui-même", car l'Envoyé lui avait dit : " O Uthmân ! DIEU te revêtira d'une tunique; si quelqu'un te presse de l'enlever ou te la conteste, ne l'enlève pas ! (13)"
Et Uthmân resta fermement fidèle à l'ordre de l'Envoyé de DIEU, jusqu'à se faire tuer pour lui - que DIEU soit satisfait de lui !
Quand nous voyons deux hommes (al-Abbâs et Ali) faire acte d'obédience à un troisième (Abû Bakr), et cela sans que ce dernier ait brandi le sabre sur eux, ni leur ait distribué de l'argent, ni gagné leur cœur par quelque don que ce fût, nous concluons nécessairement à sa supériorité en mérite vis-à-vis d'eux, bien établie à leurs yeux et unique raison de leur allégeance, convaincus qu'il était plus digne qu'eux de la charge qu'on lui avait confiée et de la confiance qu'on avait mise en ses capacités.
Des traditions, dont la garantie est solide par plus d'un côté, ont rapporté que l'acte d'obédience de Ali et al-Abbâs à Abû Bakr avait déjà été fait alors que l'Envoyé de DIEU n'était pas encore enseveli. Abû Bakr en avait terminé avec l'affaire de la Saqîfa; il avait obtenu la caution des Ançâr, avait reçu le serment d'allégeance et avait fait l'unanimité sur sa personne. Accompagné de Umar et d'Abû Ubayda, il était alors revenu. Ils entrèrent dans la maison de l'Envoyé de DIEU pour assister aux derniers préparatifs en vue de son enterrement. Ce fut al-Abbâs qui rencontra le premier Abû Bakr sur le seuil. Il avait été informé de la discussion qu'il avait eue avec les Ançar et des paroles qui avaient été échangées, des arguments décisifs qu'il avait établis contre eux, des indications et des preuves qui les avaient convaincus, telles que le fait que cette fonction de commandement était réservée aux Quraïshites et à nuls autres et que les musulmans devaient se soumettre à eux fidèlement. Il avait appris aussi que les gens avaient l'unanimité sur sa personne et lui avaient prêté le serment d'allégeance. C'est donc au retour d'Abû Bakr à la maison de l'Envoyé de DIEU qu'al-Abbâs lui serra la main et lui dit : " Nous avons appris toutes tes difficultés, et louange à DIEU qui a apaisé la haine grâce à toi et pour toi, qui a éteint les feux de la sédition (fitna) grâce à l’excellence de ton jugement et à ta bonne foi, qui a maintenu ce commandement de la Communauté chez les Quraïshites grâce à toi, sans qu'un élément étranger s'y introduise, grâce à ton influence bénéfique et à ta bénédiction (baraka), car tu n'as cessé d'être béni et favorisé, assisté et dirigé (vers ce qui est juste), et la façon dont tu as agi n'est pas étonnante de ta part pour ceux qui te sont proches et elle fait indéniablement partie de tes efforts pour te concilier les bonnes grâces de DIEU, que DIEU te récompense bien pour ta belle conduite, qu'Il assiste cette communauté par tes soins vigilants et qu'Il t'aide, par Sa grâce et Sa générosité, pour les affaires de la Communauté dont Il a fait de toi le gardien !" Ali s'avança vers Abû Bakr, quand son oncle eut fini de lui présenter ses vœux, et lui dit à son tour : " Les Ançar s'étaient conté à eux-même des mensonges, par DIEU ! s'ils nous avaient frustré de ce commandement, la terre se serait refermée sur eux et les montagnes les auraient engloutis dans leur sein ! Mais DIEU veillait sur eux et leur a fait accepter ce qui était véridique, et Il leur a concilié nos cœurs en les faisant revenir à la vérité. Serait-il possible de porter atteinte à l'Envoyé de DIEU dans son jugement et de contrevenir à son ordre, en tenant à l’écart sa tribu et ses proches (Quraïshites) qui sont les hommes les plus élevés en dignité et qui tirent à eux les pans de son mérite et de son lignage ? Par DIEU, cela ne saurait arriver, tant qu'il nous restera le plus léger souffle de vie et assez de force (littéralement : " et un œil qui clignote") ! Mais, DIEU soit loué, qui nous a défendu parfaitement, qui a fait rentrer dans le fourreau le sabre de la sédition, qui a réalisé la concorde et a maintenu le commandement de la Communauté là où se trouvent son origine et sa source pour qu'il ne fût pas écarté de ceux qui en étaient dignes et qui y étaient destinés, qu'Il soit loué par d'abondantes louanges bénies !"
Ces paroles de Ali et d'al-Abbâs sont un parfait et authentique acte d'obédience (envers Abû Bakr) et expriment leur satisfaction de la façon dont il avait mené l'affaire avec les Ançar, satisfaction également que le pouvoir lui ait été reconnu. Il n' y a dans cet acte d'obédience aucun défaut ni rien de caché. Il faut ajouter à cela qu'Abû Bakr ne s'est pas précipité sur la succession du Prophète, mais au contraire qu'il l'a fuie, selon ses propres paroles : " Si je n'étais pas "cerné" - il voulait dire : contraint - au sujet de ce commandement, je ne l'accepterais pas", puis il devait dire : " Relevez-moi (de cette charge), relevez-moi !" Et ce fut Ali qui fut le premier à lui dire : " Non ! par DIEU ! nous te ne relèverons pas de ta charge et nous ne te demanderons pas de démissionner. L'Envoyé de DIEU t'a proposé pour diriger notre prière, qui donc te révoquerait (littéralement : " te mettrait à l'arrière") de la charge de succession (au prophète) sur nous ? Tu as été confirmé, que DIEU te rende ferme et nous soit propice grâce à toi et par toi !" Abû Bakr répondit : " Alors ne m'imposez de voir juste dans toutes mes décisions, comme l'Envoyé de DIEU voyait juste dans les décisions qu'il prenait, car l'Envoyé de DIEU était infaillible, il ne se trompait pas, préservé de toute erreur, soutenu par la Révélation venant de DIEU, tandis que moi, je ne suis que l'un d'entre vous, parfois je vois juste et parfois je me trompe. Si j'ai raison, glorifiez DIEU, et si je me trompe, alors conseillez-moi !"
Ali lui dit alors : " Ton renoncement, ta piété et tes scrupules religieux sont admirables ! Admirable aussi ce à quoi t'a conduit ton jugement et où t'ont amené l'assistance (que DIEU accorde à tes actions) et ta justesse de vue ! Personne ne peut dire du mal de toi ou te prendre en défaut et tu n'as pour les hommes, quand il ne s'agit pas de DIEU, ni complaisance ni convoitise. L'homme faible et humble est à yeux si puissant que tu te charges de ses droits, l'homme puissant et honoré est à tes yeux si faible que tu te charges de ses obligations. Tu ne crains que DIEU, et tu n'espères qu'en Lui, et, quand il s'agit de Lui, tu n'as pas peur du blâme de qui que ce soit. Que DIEU, au nom de la Religion, te donne une récompense parfaite, que, par la Vérité, Il maintienne ta bannière dressée, et que, grâce à toi et pour toi, Il réalise ce qui est le mieux, car Il est Celui qui détient la faveur de Sa Miséricorde."
à suivre...
source: La profession de Foi (Ibn'Arabi)
Souvent le prophète disait : " Je rends hommage à l'avis d' Abû Bakr dans tout ce qu'il me soumet." Quand il consultait les Compagnons sur une affaire en son absence et qu'ils le conseillaient, il leur répondait : " Pas avant qu'Abû Bakr ne soit là et que j'aie entendu son avis; s'il me conseille cela, je l'écouterai." Il y a aussi le fait qu'il se rendait quotidiennement chez lui, sans manquer un jour, ou presque, tout le temps qu'il était resté à la Mecque, jusqu'au moment de son émigration à Médine. Le fait également qu'il n'y avait qu'Abû Bakr auprès du prophète, sans les autres compagnons, dans des circonstances graves, qu'il était seul avec lui dans le dais le jour de la bataille de Badr et au cours d'autres expéditions, ce qui fit dire aux Arabes, au moment où la bataille faisait rage : " Tu tiens beaucoup à ton compagnon !" Le prophète avait répondu : " DIEU m'a ordonné de le prendre comme ministre et conseiller, comme intime et compagnon, et si j'avais à choisir un ami (khalil) c'est lui que je choisirais, mais il est mon frère (akh) en religion et il reste avec moi, et il est mon confident attaché (1)." Il faut citer également ce qu'il répondit à une femme venue le trouver pour lui demander un don : " Reviens me voir à un autre moment ! - Et si je ne te trouve pas ! lui dit-elle - Si tu ne me trouves pas, tu trouveras Abû Bakr." Il avait acheté à un bédouin des jeunes chamelles en paiement différé, et le bédouin lui avait demandé : " Et si je ne te trouve pas, au cas où tu serais mort, qui me réglera mon dû ? - Le prophète lui avait répondu : Celui-ci !" en frappant de la main sur la cuisse d'Abû Bakr. Entre autres faits du même genre, que nous mentionnerons, si DIEU le veut, à propos de l'excellence de l'Imâma d'Abû Bakr. Tous ces éléments tiennent lieu de texte explicite; même s'ils n'en constituent pas un véritablement, du moins ont-ils éclairé ceux qui étaient partisans de son élection et qui se sont appuyés sur eux pour lui donner la préférence et faire l'unanimité sur sa personne.
Selon une tradition, le prophète ne serait pas mort sans avoir attiré l'attention sur (ceux qui devaient être) ses quatre premiers successeurs et sur leur ordre de succession. Il aurait commencé par nommer Abû Bakr, puis Umar en second, Uthmân en troisième, puis Ali en quatrième. C'est ainsi qu'il aurait dit : " Si vous confiez cette charge à Abû Bakr, vous trouverez en lui un homme physiquement faible mais fort dans la religion de DIEU.
Si vous la confiez à Umar, vous trouverez en lui un homme fort, physiquement et dans la religion de DIEU. Si vous la confiez à Uthmân, vous trouverez en lui un homme compatissant et miséricordieux. Et si vous la confiez à Ali, vous trouverez en lui un "guide bien guidé" (hâdî mahdî)." (2)
Si quelqu'un fait l'objection suivante à ce hadith : " Si cette tradition est authentique, Umar devait être nécessairement plus digne de l'Imâma qu'Abû Bakr, puisque l'Envoyé a fait savoir que Umar avait à la fois la force physique et la force dans sa religion, alors qu'Abû Bakr était faible physiquement. Et celui qui possède ensemble les deux forces est plus digne que celui qui n'en possède qu'une. De même pour le compatissant miséricordieux et le "guide bien guidé", on lui répondra que cette remarque n'est pas un bon argument, car la force dans la religion de DIEU totalise toutes ces qualités. De même, si est exacte cette tradition qui dit que l'Envoyé de DIEU a mentionné Abû Bakr en premier, sa prééminence en découle nécessairement, parce que, de la part de l'Envoyé de DIEU, le mentionner en premier, c'était ainsi faire savoir quel était le rang de chacun, et attirer l'attention sur leur choix de préférence aux autres, en montrant clairement leur supériorité sur tous les autres Compagnons et leur prééminence sur tous ceux qui croyaient en lui. Ainsi est bien établie leur supériorité et bien reconnu qu'ils étaient les meilleurs de ses Compagnons, et que leur hiérarchie dans le mérite correspondait au rang qu'ils devaient occuper (dans la succession du Prophète à la tête de la Communauté).
Sachez que la précellence de celui qui a le plus de mérite dans cette Communauté ne résulte que du fait des qualités et non du lignage ou de la parenté. N'entendez-vous pas Sa parole : " Ceux qui ont eu la foi et qui ont accompli les œuvres pies, ceux-là sont les meilleurs de l'humanité" (3), et : " Le plus noble d'entre vous, aux yeux de DIEU, est le plus pieux" (4), et : " Les proches (awliyâ) de DIEU sont uniquement les pieux" (5).
Ces versets, et d'autres semblables, vous montrent que la précellence de celui qui a le plus de mérite ne résulte que du fait des qualités et non du lignage ou de la parenté, car la foi est une qualité pour le croyant et les œuvres pies sont les qualités de ceux qui l'accomplissent. La différence entre les hommes de mérite (al-fudalâ) correspond à la différence de leurs qualités méritoires. Celui qui a davantage de qualités, grâce à son observance (des devoirs religieux) et au nombre de ses actions pieuses et bonnes, est grandement considéré, sa valeur et son rang sont élevés, et il est supérieur aux autres. Il y a des degrés (darajât) entre les êtres de mérite, entre les Anges, les Prophètes et ceux qui sont au-dessous d'eux. DIEU a dit : " Le Messie ne trouve certes pas indigne d'être un serviteur de DIEU, non plus que les Anges rapprochés (de Lui) (6), et : " Ceux qui portent le Trône et ceux qui sont autour de Lui" (7), et : " DIEU choisit, parmi les Anges, des Envoyés, et parmi les hommes (8)." Les Anges "rapprochés", les Porteurs du Trône, et ceux qui sont "choisis", sont supérieurs aux autres. DIEU a dit aussi des Prophètes : " Ces Envoyés, Nous en avons préféré les uns aux autres. Parmi eux, il en est à qui DIEU a parlé, et Il en a élevé d'autres en degrés (9)." Parmi les Prophètes, ceux qui sont Envoyés (mursalûn) sont supérieurs à ceux qui ne le sont pas, et parmi les Envoyés, ceux à qui DIEU a parlé (al-mukallamûn) sont supérieurs aux autres. Et au sujet des Compagnons de notre Prophète, qui sont les "meilleurs des nations" (afdalu-l-umam) après les prophètes, DIEU a dit : " Ils ne sont point égaux aux autres ceux d'entre vous qui auront dépensé (dans le chemin de DIEU) avant la Victoire et qui auront combattu. Ceux-là sont d'un degré plus considérable que ceux qui auront dépensé et combattu après (la Victoire) (10)". Il nous a ainsi fait savoir que celui qui a dépensé et combattu avant la Victoire est d'un degré plus considérable que celui qui a dépensé et combattu après celle-ci. Le fait de dépenser dans le chemin de DIEU et d'avoir combattu sont donc deux qualités distinctives attribuées à celui qui dépense et qui combat. On avait demandé au Prophète : " Quels sont les "proches de DIEU" (awliyâ Allâh) et les "proches" de Son Envoyé !(11)" et il avait répondu : " Les Pieux (al-muttaqûn)". La piété (taqiyya) est donc elle aussi une qualité distinctive attribuée au croyant pieux. Il est ainsi bien établi, par ce que nous avons expliqué et montré, que la précellence de celui qui a le plus de mérite ne résulte que du fait des qualités et de rien d'autre, et qu'il y a une hiérarchie des êtres de mérite, entre les Anges, les Prophètes et ceux qui sont au-dessous d'eux. Considérez cela attentivement !
Et maintenant que le principe de l'objet de la discussion a été reconnu, par cet exposé résumé et qu'a débordé le flot de ces renforts au secours de la victoire malgré ses limites imposées, revenons à notre propos !
Nous dirons donc ceci : après la mort de l'Envoyé de DIEU, les musulmans eux-même n'envisageaient personne qui fût considéré comme digne d'assurer sa succession à la tête de la Communauté, parmi tous les Compagnons les plus éminents et dans sa pure lignée, à l'exception de trois personnes : Abû Bakr, Ali et al-Abbas. Et c'est au sujet de ces trois hommes que les musulmans étaient en désaccord. La thèse des Alides Imânites, des Bakriyya et des Abbâssiyya, qui prétend que le prophète avait désigné par un texte explicite l'un de ces trois hommes, est fausse. L'argumentation décisive qui la réfute est la suivante. On répondra d'abord aux Bakriyya : que le fait qu'Abû Bakr ait indiqué quelqu'un d'autre que lui-même le Jour de la Saqîfa montre bien qu'il n'avait pas été désigné par le Prophète, car autrement il ne lui aurait pas été possible d'indiquer quelqu'un d'autre (12), sinon il aurait été en opposition avec la volonté du Prophète, et son mérite est bien trop haut et son rang bien trop illustre pour qu'on lui attribue pareille chose, lui qui était le confident du Prophète et son homme de confiance dans toutes les affaires importantes et les décisions qu'il prenait, et qui avait été son remplaçant (khalîfa) pour diriger la prière de la Communauté ! On répondra ensuite à la fois aux Alides et aux Abbâssiyya : que le fait que Ali et al-Abbâs aient reconnu fidèlement Abû Bakr montre bien qu'il n'y avait eu aucun texte désignant explicitement l'un d'eux, car autrement il n'aurait absolument pas pu s'enlever à lui-même la direction de la Communauté et prêté serment d'allégeance à quelqu'un d'autre, sinon il aurait été alors en opposition avec l'Envoyé de DIEU, montrant qu'il s'écartait des limites que lui avait tracées le Prophète en lui donnant ses ordres, en lui confiant cette charge et en le désignant. Et même si cela devait entraîner sa perte, il lui était impossible de se dégager de cette charge et de l'abandonner, comme ce fut le cas de Uthmân qui ne pouvait abdiquer (littéralement : "se destituer lui-même", car l'Envoyé lui avait dit : " O Uthmân ! DIEU te revêtira d'une tunique; si quelqu'un te presse de l'enlever ou te la conteste, ne l'enlève pas ! (13)"
Et Uthmân resta fermement fidèle à l'ordre de l'Envoyé de DIEU, jusqu'à se faire tuer pour lui - que DIEU soit satisfait de lui !
Quand nous voyons deux hommes (al-Abbâs et Ali) faire acte d'obédience à un troisième (Abû Bakr), et cela sans que ce dernier ait brandi le sabre sur eux, ni leur ait distribué de l'argent, ni gagné leur cœur par quelque don que ce fût, nous concluons nécessairement à sa supériorité en mérite vis-à-vis d'eux, bien établie à leurs yeux et unique raison de leur allégeance, convaincus qu'il était plus digne qu'eux de la charge qu'on lui avait confiée et de la confiance qu'on avait mise en ses capacités.
Des traditions, dont la garantie est solide par plus d'un côté, ont rapporté que l'acte d'obédience de Ali et al-Abbâs à Abû Bakr avait déjà été fait alors que l'Envoyé de DIEU n'était pas encore enseveli. Abû Bakr en avait terminé avec l'affaire de la Saqîfa; il avait obtenu la caution des Ançâr, avait reçu le serment d'allégeance et avait fait l'unanimité sur sa personne. Accompagné de Umar et d'Abû Ubayda, il était alors revenu. Ils entrèrent dans la maison de l'Envoyé de DIEU pour assister aux derniers préparatifs en vue de son enterrement. Ce fut al-Abbâs qui rencontra le premier Abû Bakr sur le seuil. Il avait été informé de la discussion qu'il avait eue avec les Ançar et des paroles qui avaient été échangées, des arguments décisifs qu'il avait établis contre eux, des indications et des preuves qui les avaient convaincus, telles que le fait que cette fonction de commandement était réservée aux Quraïshites et à nuls autres et que les musulmans devaient se soumettre à eux fidèlement. Il avait appris aussi que les gens avaient l'unanimité sur sa personne et lui avaient prêté le serment d'allégeance. C'est donc au retour d'Abû Bakr à la maison de l'Envoyé de DIEU qu'al-Abbâs lui serra la main et lui dit : " Nous avons appris toutes tes difficultés, et louange à DIEU qui a apaisé la haine grâce à toi et pour toi, qui a éteint les feux de la sédition (fitna) grâce à l’excellence de ton jugement et à ta bonne foi, qui a maintenu ce commandement de la Communauté chez les Quraïshites grâce à toi, sans qu'un élément étranger s'y introduise, grâce à ton influence bénéfique et à ta bénédiction (baraka), car tu n'as cessé d'être béni et favorisé, assisté et dirigé (vers ce qui est juste), et la façon dont tu as agi n'est pas étonnante de ta part pour ceux qui te sont proches et elle fait indéniablement partie de tes efforts pour te concilier les bonnes grâces de DIEU, que DIEU te récompense bien pour ta belle conduite, qu'Il assiste cette communauté par tes soins vigilants et qu'Il t'aide, par Sa grâce et Sa générosité, pour les affaires de la Communauté dont Il a fait de toi le gardien !" Ali s'avança vers Abû Bakr, quand son oncle eut fini de lui présenter ses vœux, et lui dit à son tour : " Les Ançar s'étaient conté à eux-même des mensonges, par DIEU ! s'ils nous avaient frustré de ce commandement, la terre se serait refermée sur eux et les montagnes les auraient engloutis dans leur sein ! Mais DIEU veillait sur eux et leur a fait accepter ce qui était véridique, et Il leur a concilié nos cœurs en les faisant revenir à la vérité. Serait-il possible de porter atteinte à l'Envoyé de DIEU dans son jugement et de contrevenir à son ordre, en tenant à l’écart sa tribu et ses proches (Quraïshites) qui sont les hommes les plus élevés en dignité et qui tirent à eux les pans de son mérite et de son lignage ? Par DIEU, cela ne saurait arriver, tant qu'il nous restera le plus léger souffle de vie et assez de force (littéralement : " et un œil qui clignote") ! Mais, DIEU soit loué, qui nous a défendu parfaitement, qui a fait rentrer dans le fourreau le sabre de la sédition, qui a réalisé la concorde et a maintenu le commandement de la Communauté là où se trouvent son origine et sa source pour qu'il ne fût pas écarté de ceux qui en étaient dignes et qui y étaient destinés, qu'Il soit loué par d'abondantes louanges bénies !"
Ces paroles de Ali et d'al-Abbâs sont un parfait et authentique acte d'obédience (envers Abû Bakr) et expriment leur satisfaction de la façon dont il avait mené l'affaire avec les Ançar, satisfaction également que le pouvoir lui ait été reconnu. Il n' y a dans cet acte d'obédience aucun défaut ni rien de caché. Il faut ajouter à cela qu'Abû Bakr ne s'est pas précipité sur la succession du Prophète, mais au contraire qu'il l'a fuie, selon ses propres paroles : " Si je n'étais pas "cerné" - il voulait dire : contraint - au sujet de ce commandement, je ne l'accepterais pas", puis il devait dire : " Relevez-moi (de cette charge), relevez-moi !" Et ce fut Ali qui fut le premier à lui dire : " Non ! par DIEU ! nous te ne relèverons pas de ta charge et nous ne te demanderons pas de démissionner. L'Envoyé de DIEU t'a proposé pour diriger notre prière, qui donc te révoquerait (littéralement : " te mettrait à l'arrière") de la charge de succession (au prophète) sur nous ? Tu as été confirmé, que DIEU te rende ferme et nous soit propice grâce à toi et par toi !" Abû Bakr répondit : " Alors ne m'imposez de voir juste dans toutes mes décisions, comme l'Envoyé de DIEU voyait juste dans les décisions qu'il prenait, car l'Envoyé de DIEU était infaillible, il ne se trompait pas, préservé de toute erreur, soutenu par la Révélation venant de DIEU, tandis que moi, je ne suis que l'un d'entre vous, parfois je vois juste et parfois je me trompe. Si j'ai raison, glorifiez DIEU, et si je me trompe, alors conseillez-moi !"
Ali lui dit alors : " Ton renoncement, ta piété et tes scrupules religieux sont admirables ! Admirable aussi ce à quoi t'a conduit ton jugement et où t'ont amené l'assistance (que DIEU accorde à tes actions) et ta justesse de vue ! Personne ne peut dire du mal de toi ou te prendre en défaut et tu n'as pour les hommes, quand il ne s'agit pas de DIEU, ni complaisance ni convoitise. L'homme faible et humble est à yeux si puissant que tu te charges de ses droits, l'homme puissant et honoré est à tes yeux si faible que tu te charges de ses obligations. Tu ne crains que DIEU, et tu n'espères qu'en Lui, et, quand il s'agit de Lui, tu n'as pas peur du blâme de qui que ce soit. Que DIEU, au nom de la Religion, te donne une récompense parfaite, que, par la Vérité, Il maintienne ta bannière dressée, et que, grâce à toi et pour toi, Il réalise ce qui est le mieux, car Il est Celui qui détient la faveur de Sa Miséricorde."
à suivre...
source: La profession de Foi (Ibn'Arabi)
- Pour toutes ces traditions, voir Muslim: kitâb fadâ'il al-çahaba, et Bukhâri: kitâb fadâ'il Açhâb al-Nabî, v, pages 5 à 12.
- Cette tradition est citée par Abd al-Qâdir al-Jîlî sous une forme légèrement différente : Ghunya, p. 86.
- Coran XCVIII, 7
- Coran XLIX, 13
- Coran VIII, 34
- Coran IV, 172
- Coran XL, 7
- XXII, 75
- II, 253
- LVII, 10
- Nous avons gardé au mot walî (pl. awliyâ) son sens étymologique, bien qu'on le traduise habituellement par "bien-aimé" (de DIEU) et "saint".
- C'est à dire Abû Ubayda et Umar, voir le paragraphe 93.
- On trouvera cette tradition dans les recueils d'Ibn Mâja (muqaddima, bâb 11) de Tirmidhî (manâqib, bâb 18) et Ibn Hanbal (VI, 75, 87, 149).
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