dimanche 19 août 2012

La passion subite d'amour, ou l'inclination soudaine d'amour - Ibn'Arabi

Sache que l'amour, reçoit quatre dénominations principales. A chacune d'elle est attaché un état spirituel que ne partagent pas les trois autres. Nous allons maintenant en traiter.

Al-Hawâ : La Passion subite d'amour, ou l'inclination soudaine d'amour.

Ce terme a deux acceptions principales qui s'appliquent à l'amour.
La première signification exprime ce qui tombe ou surgit dans le coeur en provenance de la réalité non manifestée de l'être (ghayb) qui le pénètre jusqu'en sa réalité extérieure (shahâda) dans ce siège.
On dit, par exemple, l'étoile disparaît (hawâ) lorsqu'elle (semble) tomber. DIEU - qu'Il soit exalté - a dit : "Par l'étoile lorsqu'elle tombe" (coran LIII, I).
Quand cet état intérieur (hâl) est ainsi réalisé, ce nom d'inclination soudaine est  l'un de ceux donnés à l'amour. Le verbe qui l'exprime est alors HaWiYa vocalisé au futur YaHWâ et le nom correspondant est HaWâ, le fait d'aimer, de pâtir d'amour.
De la même racine vocalisée HaWâ, au futur YaHwî, vient le nom HuWiY qui signifie le fait de tomber.
Trois raisons viennent à l'appui du sens donné au nom HaWâ, le fait de tomber dans le coeur. Chacune d'elles peut déterminer ce type d'amour, ou ceux d'entre elles ou encore toutes les trois : il s'agit du regard (nazhar), de l'audition (sama') et du bienfait (ihsân).
La plus importante et la plus constante  est le regard, car l'amour qu'il engendre ne s'altère pas après la rencontre (de l'être aimé), au contraire de l'audition de sa voix qui est susceptible de s’altérer après la fréquentation. Il est en effet peu probable que la forme du bien-aimé qu'il a perçue par l'ouïe lui corresponde fidèlement dans l'imagination. Quant à l'amour produit par le bienfait, il est sujet à déficience, la négligence le fait cesser même si le bienfait persiste après la disparition de celui qui l'a accordé.

La seconde acception du terme HaWâ exprime une passion ou inclination amoureuse subite qui devrait être conforme aux données de la Loi révélée. La parole suivante que DIEU adresse au prophète David le confirme : "Prononce entre les hommes par le moyen du droit véritable (bi-l-haqq) et ne suis pas l'inclination subite de la passion (hawâ)... (coran XXXVIII, 26) et s'interprète de cette façon : ne suis pas le mobile de ton amour mais bien l'objet de Mon amour car telle est la règle que Je te prescris.

DIEU continue ce verset de la sorte : ...car elle t'égarera de la Voie de DIEU. C'est dire que cette inclination passionnelle te laissera désorienté en te conduisant à ta perte et t'aveuglera dans la voie que Je t'ai tracée dans Ma Révélation et sur laquelle Je t'ai demandé de marcher. Tel est le précepte Divin à cet égard.

Dans ce contexte, l'inclination amoureuse subite est l'amour que l'homme cultive mais que DIEU exige d'abandonner quand cet amour correspond à une manière d'être non conforme aux prescriptions divinement établies.
Viens-tu à objecter que DIEU interdit à l'homme une disposition naturelle dont il n'est pas capable de se priver puisqu'un tel amour, une telle inclination passionnelle, a sur lui une emprise si violente qu'elle exclut la coexistence de la raison.

Nous te répondrons que DIEU n'impose pas à cet être la disparition de l'inclination amoureuse, car la passion trouve toujours libre cours en s'attachant, nous l'avons souligné précédemment, à des objets multiples et en s'exerçant sur des êtres nombreux.
Nous avons déjà montré que l'inclination amoureuse, qui est l'amour, est en réalité l'amour de l'union dans un ou de nombreux individus. C'est pourquoi DIEU - exalté soit - Il - exige que l'homme, dans son amour, s'attache à la seule Vérité qui a été énoncée pour lui - et telle est bien la Voie de DIEU - avec la même vigueur qui le liait à des voies multiples qui ne sont pas celles de DIEU. Tout cela a trait à cette parole Divine citée plus haut : Et ne suis pas l'inclination de la passion. DIEU ne lui imposera donc rien au-delà de sa capacité, la prescription d'une charge contre nature ne pouvant être voulue par Celui qui possède science et sagesse dans les règles qu'Il édicte.

Et si tu avances l'argument sur l'obligation de croire faite à celui qui ne devra pas croire en raison de ce qui est décidé de toute éternité dans la Science de DIEU, comme cela fut le cas pour Abû Jahl et d'autres encore, nous dirons que la réponse à cette objection comporte deux aspects.
Dans la première interprétation, je n'entends pas par imposition ou obligation la seule conformité à l'ordre  naturel auquel celui qui est assujetti  ne saurait contrevenir. Tel serait le cas d'une personne qui demanderait à une autre de se hisser dans le ciel sans aucun moyen, ou encore de réunir deux contraires, ou bien de demeurer dans l'instant qui lui-même ne perdure pas. Il est donc bien  assujetti à l'ordre naturel sur lequel s'exerce son aptitude. Tel est le fondement certain de la foi (imân) et de son mode d'expression, chaque homme ayant lui-même la possibilité de s'y conformer, soit par acquisition personnelle, soit par disposition naturelle, comme tu voudras. Dis alors : c'est pour cette raison que l'argument relatif à cette question qui intéresse le serviteur le Jour de la Résurrection appartient bien à DIEU, Lui qui a ainsi prononcé : Dis ! L'argument péremptoire est à DIEU. ( S'Il avait voulu, Il vous aurait alors tous guidés) (coran VI, 149).

Si DIEU avait imposé à l'homme ce qui n'entre pas dans sa condition normale, la parole : L'argument péremptoire est à DIEU, n'aurait pu convenir. Mais comme Il l'a bel et bien dit, c'est à DIEU qu'il appartient de faire ce qu'Il veut ainsi qu'Il le confirme dans ce verset : Il ne sera pas interrogé sur ce qu'Il fait mais eux le seront (coran XXI, 23). Le sens à donner à ces paroles est le suivant : on ne pose pas cette question à DIEU : "Pourquoi nous as-Tu imposé cette charge ? Pourquoi nous as-Tu interdit ou nous as-Tu ordonné telle chose tout en sachant que nous nous opposerions à Ton Décret ? " Ce propos divin : Il ne sera pas interrogé sur ce qu'Il fait, revient à leur poser cette question : " Vous ai-Je donné des ordres qui sont de votre ressort ou non ?" Ils seront obligés de répondre conformément à l'ordre des choses ('âda) : " Nous en étions capables !" C'est avouer que DIEU leur impose des charges en rapport avec leurs aptitudes et que, en définitive, il est bien établi que l'argument péremptoire  appartient à DIEU, alors qu'ils continuent d'ignorer la science que DIEU a de leur cas tout  le temps que dure l'obligation qu'Il leur impose.

Dans la seconde interprétation, il s'agit, ainsi que nous l'avons déjà envisagé, de la nécessité de la foi en DIEU qui ressort du contexte coranique relatant la saisie par DIEU de la postérité d'Adam (avant son avènement terrestre) et de la manifestation de Sa Décision dans la vie future. Le croyant seul y subsiste, bien que dans la demeure ici-bas, il reconnaisse l'existence de DIEU tout en restant polythéiste. Il ne donne d'associés qu'à un être existant, et pour cette raison, on exige de lui que la reconnaissance de la seule Unité Divine qui est dans cette réalité et qui fait l'objet de l'amour de l'Être vrai, l'objet de cet amour étant encore virtuel par rapport aux êtres qu'il associe. Il aime donc reconnaître l'Unité Divine qui apparaît dans ces individus et s'il en aime un seul il l'affectionnera parmi de nombreux autres. DIEU aime quiconque se qualifie par un tel amour, en raison même de l'existence de ce qu'il aime, à savoir l'Unité Divine se manifestant à travers cette réalité. Quiconque déteste une personne se comporte de cette façon par le fait que l'objet de son amour ne se montre pas à travers elle, et cette attitude relève encore de la reconnaissance de l'Unité Divine.

Le but ultime de tous est donc bien la foi (en DIEU) et nous pouvons le vérifier, à nouveau, étant donné que la Miséricorde de DIEU précède Son Courroux.
La signification du terme hawâ, l'inclination subite d'amour, te paraît maintenant évidente.
source : Traité de l'Amour - Ibn'Arabi

mercredi 15 août 2012

L'AMOUR ORIGINEL - Ibn'Arabi

Dans cette affection, l'être épure l'inclination amoureuse (hawâ) en s'attachant à la Voie de DIEU à l'exclusion de toute autre. Quand il a ainsi réalisé cette purification et qu'il est devenu d'une nature limpide après s'être débarrassé des impuretés causées par l'association de dieux multiples dans des acheminements divergents, on peut parler de lui en termes d'amour originel en raison même de cette clarification et de cette épuration qui le caractérisent.

Pour la même raison, on nomme habb le récipient qui reçoit l'eau trouble pour qu'elle devienne limpide et claire par précipitation de ses impuretés au fond du vase.
Il en est ainsi de l'amour originel chez les créatures. Lorsqu'elles s'attachent à l'Être vrai - gloire à Lui - et que, pour Lui, l'âme se libère de l'affection portée à des dieux rivaux qui constituent autant d'associations à DIEU, cette attitude est nommée amour originel. 



En outre, DIEU - qu'Il soit exalté - a dit : ceux qui croient ont un amour plus intense pour DIEU (coran II, 165). En effet, quand le voile se retirera, ceux qui ont été suivis désavoueront ceux qui les suivaient et ceux qui les avaient suivis diront : "Si nous pouvions revenir, nous les désavouerions comme ils nous ont désavoués (coran II, 66&167). L'amour que les premiers témoignaient aux seconds cessera dans la demeure ultime, mais les croyants continueront d'aimer DIEU. Leur amour pour Lui deviendra plus intense au point de surpasser les autres quand ceux-ci voudront renier l'amour de leurs divinités, au moment où leurs biens et leurs enfants ne leur serviront de rien contre DIEU (coran III, 10). Le Jour de la Résurrection, les associateurs ne resteront qu'avec le seul amour de DIEU, tandis que dans cette vie ici-bas, ils L'avaient aimé tout en aimant leurs dieux associés. Si une telle estimation et une telle erreur ne les avaient pas séduits, ils ne les auraient nullement aimés, mais l'objet de leur amour bel et bien la Fonction Divine qu'ils s'imaginèrent trouver en de nombreuses créatures. Ils aimèrent donc DIEU, mais également les êtres qu'ils Lui associèrent. Au moment de la Résurrection, nous venons d'en parler, seul l'amour de DIEU leur restera et, en conséquence, dans la vie future, ils auront un amour plus intense pour Lui que celui qu'ils leur portaient dans ce bas-monde, en raison même de la disposition de leur amour reporté dans l'autre demeure sur DIEU seul. C'est alors qu'un tel être contemplera l'objet de son amour qui n'est autre que la Fonction Divine résidant uniquement en lui.
C'est pour cette raison que la miséricorde est primordiale, que les deux demeures limitrophes sont forces et que le domaine intermédiaire est faiblesse avec tout le risque d'association qu'il comporte.
... 
Telle est donc la différence existant entre l'amour originel et l'inclination subite d'amour (nous traiteront de ce autre sujet prochainement pour ce qui est de l'inclination subite d'amour).

LE DÉBORDEMENT D'AMOUR 

C'est l'excès d'amour ou comble de l'amour ou l'amour débordant auquel cette parole Divine s'applique : Ceux qui croient ont un amour plus intense pour DIEU (coran II, 165).

Outre sa limpidité dans son attachement à un être unique, cette affection est proprement ce qu'on nomme l'amour originel (hubb) et outre son apparition dans la graine du coeur, qui a été également dénommée amour originel, elle a la vertu de compénétrer l'homme entièrement et de le rendre aveugle à tout sauf au bien-aimé. La réalité intime (haqîqa) d'un tel amour s'infuse dans les moindres éléments de son corps, de ses facultés et de son esprit. Il s'écoule en lui comme le sang dans les veines et la chair. Il imprègne toutes les jointures de son corps, parvient à s'identifier à son existence en affectant intimement tous ses aspects, corps, esprit, à un point tel que rien ayant trait à un autre ne peut subsister en lui. Il ne parle que par amour pour l'aimé, il n'a d'oreille que pour lui et par son regard il ne contemple que lui en chaque chose. Il le voit en toute forme et ne voit rien sans proférer : "lui !" 
Aussi, cette sorte d'amour est appelée débordement ou excès amoureux ('ishq). D'après les récits, cette affection s'était emparée de Zulaykha (la femme de Putiphar). Elle s'ouvrit une veine et le sang, en touchant le sol en de nombreux endroits, traça : "Joseph, Joseph !" Car la mention du nom de son bien-aimé s'était répandu dans ses veines. C'est ce qu'on rapporte aussi de Al-Hallâj, dont le sang coulant de ses membres amputés écrivait le nom "Allâh, Allâh !" partout où il tombait. Dans cet état, il improvisa ces vers - que DIEU lui fasse miséricorde !

Ni membres ni jointures ne me furent amputés
Sans que votre mention, Seigneur, ne s'y trouvât !

De tels cas rentrent dans cette sorte d'affection et concernent ces êtres débordants d'amour qui trouvèrent de cette manière la mort par amour. Un tel sacrifice est dénommé la domination d'amour. Nous en ferons la description lorsque nous traiterons des attributs des amants, si DIEU le veut.

LA FIDÉLITÉ D'AMOUR


C'est la constance de l'amour originel ou du débordement d'amour ou encore de l'inclination subite d'amour (hawâ). Quel que soit l'état de l'amoureux, cette sorte d'amour rentrera dans une de ces trois notions. 
Lorsque l'être ainsi  qualifié est constant, que rien ne vient altérer cette disposition en lui et qu'il ne cesse d'être sous son emprise, que son influence persiste dans les circonstances agréables ou déplaisantes, qu'il ne s'afflige ni ne se réjouit de l'état de séparation ou d'éloignement de l'aimé dont il désire pourtant la présence, qu'il ne cesse enfin de demeurer sous la sujétion de l'aimé du fait même de sa presence, toutes ces attitudes, donc, rentrent dans cette dénomination de constance d'amour (wadd).
Le verset suivant vient illustrer cette fidélité d'amour : " En vérité, le Miséricordieux dotera d'un amour constant (wadd)  ceux qui auront cru et accompli les oeuvres de bien" (coran XIX, 96),  c'est à dire la fidélité de l'amour en DIEU et la constance de coeur de Ses serviteurs.
Telle est la signification de ce terme.
L'amour comporte des états d'âme nombreux affectant les amants. J'en traiterai plus loin s'il plaît à DIEU. D'ores et déjà, mentionnons : le désir ardent d'amour (shawq), la domination amoureuse, l'amour éperdu, la peine d'amour, les pleurs, la tristesse, la blessure d'amour, la consomption, la langueur et d'autres états semblables propres aux amants qui les décrivent dans leurs vers et que j'exposerai en détail s'il plaît à DIEU.
source : Traité de l'Amour - Ibn'Arabi



dimanche 12 août 2012

JEÛNE ET PRIÈRE RITUELLE - IBN'ARABI

Le mont Hira
L'Envoyé d'Allâh - qu'Allâh répande sur lui Sa Grâce unitive et Sa Paix ! - a dit : "La prière rituelle est une lumière (nûrun), l'aumône une preuve, la patience un éclat lumineux (diyân'un) et le Coran un argument en ta faveur ou contre toi"...
Allâh - qu'Il soit Glorifié et Magnifié ! - a dit qu'Il "s'entretenait" avec celui qui accomplit la prière rituelle. Or, Il est Lumière. Allâh le Très Haut s'entretient avec lui à partir de Son Nom "la Lumière", à l'exclusion de tout autre. De même que la lumière chasse l'obscurité, de même la prière met fin à toute préoccupation profane. En cela elle se différencie des autres oeuvres car aucune d'elles n'implique l’abandon de tout autre qu'elle-même comme le fait la prière; c'est pourquoi elle est une lumière. Allâh fait savoir à l'orant que lorsqu'Il s'entretient avec lui à partir de Son Nom "la Lumière", Il reste seul avec lui : toute créature disparaît dans la Présence qui accompagne cet entretien...

Le soleil étant lui-même un "éclat lumineux" (coran 10. 5), il permet à l'être doué de vue sensible de découvrir l'ensemble des choses sur lesquelles son éclat se répand; cette "découverte" procède, non de la lumière, mais de son éclat. La lumière n'a d'autre effet que de chasser l'obscurité alors que son éclat provoque la découverte et l'intuition. Tout comme l'obscurité, la lumière est un voile. L'Envoyé d'Allâh - sur lui la Grâce et la Paix ! - a dit au sujet de son Seigneur - qu'Il soit exalté ! - : "La lumière est Son Voile"; il a dit également : "Allâh possède soixante-dix - ou soixante-dix mille - voiles de lumière et de ténèbres". Lorsqu'on lui demanda - sur lui la Grâce et la Paix ! - : "As-tu vu ton Seigneur ?", il répondit : "Lumière ! Comment le verrais-je ?" En même temps, il a déclaré que la "patience", qui correspond au jeûne et au pèlerinage, était un "éclat lumineux". En effet, elle éclaircit pour toi ce qui était confus, tout comme l'éclat de la lumière te permet de percevoir les choses.


Le jeûne n'a pas de semblable


L'Envoyé d'Allâh - qu'Allâh répande sur lui Sa Grâce unitive et Sa Paix ! - a mentionné une parole de son Seigneur - qu'Il soit exalté ! - disant : "Tout acte du Fils d'Adam lui appartient à l'exception du jeûne car celui-ci est à Moi et c'est Moi qui en paie le prix". Il a dit aussi à quelqu'un : "Adonne-toi au jeûne car il n'a pas de semblable".  Le jeûne apparaît ainsi comme une qualification "samadânienne" exprimant la transcendance à l'égard de la nécessité de se nourrir propre à la créature. Dès lors que le serviteur désire - conformément à l’exigence de la Loi sacrée énoncée dans la Parole Divine : "Le jeûne vous a été prescrit comme il a été prescrit à ceux qui étaient avant vous" (cor. 2, 183) - revêtir une qualification qui n'appartient pas à sa constitution véritable, Allâh lui dit : "Le jeûne est à Moi" et non pas à toi, c'est à dire : "Je suis Moi Celui à qui il ne sied pas de manger et de boire. Puisque c'est en  cela que le jeûne consiste et puisque tu t'y introduis du fait que Je te l'ai prescrit " c'est Moi qui en paie le prix". C'est donc comme s'Il avait dit : "Et c'est Moi qui en paie le prix puisque la qualification de transcendance à l'égard de la nourriture et de la boisson M'implique nécessairement; toi, au contraire, tu t'en revêts alors qu'elle ne correspond pas à ton être véritable et qu'elle ne t'appartient en aucune manière; tu t'en pares dans l'état de jeûne et elle t'introduit auprès de Moi.  La "patience" consiste, en effet, à contenir son âme et tu l'as contenue sur Mon Ordre à l'égard de ce qu'implique ta réalité propre en matière de nourriture et de boisson". C'est pourquoi Il a dit encore : "Deux joies appartiennent au jeûneur : l'une, quand il rompt son jeûne...", cette joie concerne uniquement son esprit animal, "... l'autre, quand il rencontre son Seigneur" : cette joie là concerne son "âme parlante" et son "noyau seigneurial" car le jeûne amène à la rencontre d'Allâh, c'est à dire à la contemplation.

Le jeûne plus parfait que la prière.

Le jeûne est plus parfait que la prière rituelle car il entraîne la rencontre d'Allâh et Sa contemplation. La prière est un entretien, non une contemplation. Elle implique nécessairement un voile; Allâh a dit en effet : "Il n'appartient pas à la créature humaine qu'Allâh lui parle si ce n'est par inspiration ou de derrière un voile" (cor. 42, 51). C'est ainsi qu'Allâh a parlé à Moïse et c'est pour cette raison que ce dernier Lui a demandé la Vision. "S'entretenir", c'est échanger des paroles. (C'est pourquoi) Allâh dit : " J'ai partagé la prière rituelle en deux moitiés entre Moi et Mon serviteur et ce qu'il demande est à Mon serviteur; lorsque le serviteur dit : "Louange à Allâh, le Seigneur des mondes", Allâh dit : "Mon serviteur M'a louangé", etc." Le jeûne, en revanche, ne se partage pas. Il appartient (tout entier) à Allâh et nullement au serviteur. Bien plus, le serviteur ne reçoit son "salaire" que par le fait même qu'il appartient à Allâh !

Il y'a ici un secret sublime. Nous avons déjà dit que la "contemplation" et l' "entretien" ne sont pas compatibles. En effet, la contemplation provoque perplexité et stupeur (baht) alors que la parole vise à la compréhension : quand une parole se présente à toi, ton attention se porte sur ce qui est dit - peu importe ce dont il s'agit - non sur celui qui parle. Comprends donc le Coran et  tu comprendras al-Furqân ! (1)
Telle est la différence entre la prière rituelle et le jeûne... Quant à ce que nous avons dit à propos du fait qu'Allâh "paie le prix" du jeûne par la joie que le jeûneur éprouve au moment où il rencontre son Seigneur, le secret correspondant se trouve dans la Sourate Yûsuf : " Celui dans le sac duquel il sera trouvé servira lui-même de prix" (Cor. 12, 75).

source : Textes sur le jeûne - Ibn'Arabi

1. Le Cheikh semble vouloir identifier ici le Furqân à l'aspect "compréhensible" du Coran.

mercredi 8 août 2012

Le dénouement du Mi’râj des deux pèlerins - Ibn'Arabi

Les deux pèlerins s'en retournent à leur point de départ et réintègrent leur corps matériel.

Après quoi, l'adepte fait volte-face, cherchant à rejoindre son point de départ, là d'où il est sorti (1). Dès lors, DIEU chemine avec lui, selon une autre voie que celle qu'il avait parcourue tout d'abord. C'est une Divine migration dont il n'est pas possible d'en parler. Seul peut la connaître celui qui en fait lui-même l'expérience visionnaire. Quand à son compagnon (le théoricien), il reprend son propre voyage, étant donné qu'il ne peut devenir un adepte qu'après être retourné à son corps.





Accompagné de l'adepte, le théoricien va prêter serment d’allégeance à l' " Envoyé", et il reçoit l'Islam. 


Alors, le théoricien s'associe à son confrère (l'adepte), et il s'empresse en même temps que celui-ci au devant de l' "Envoyé", s'il se trouve présent, ou bien auprès de son héritier légitime. Il lui fait serment d'allégeance en lui jurant sa foi et son assentiment formel devant l'évidence que le Prophète lui a apporté de la part de son Seigneur, et devant le signe dont il est porteur. Il est accompagné d'un témoin, l'adepte en personne.

Illuminé par la foi, le théoricien reparcourt tous les degrés de l'ascension en seul coup d'oeil. L' "Élixir de la Genèse" et les bouleversements eschatologiques. 

Désormais, il " croit en DIEU ", en tant que DIEU institua à son intention la profession de foi, et non plus parce que DIEU lui a fourni une preuve formelle. Et soudain le théoricien découvre auprès de lui et dans son coeur une lumière qu'il n'y avait point décelée auparavant. Alors, de la place où il se trouve, il voit en un seul coup d'oeil, grâce à cette lumière, tout ce qu'il avait contemplé précédemment en compagnie de l'adepte au cours de sa première ascension. Plus rien désormais ne l'arrête. Au contraire, il monte irrésistiblement, de la même façon que l'adepte, jusqu'à ce qu'il atteigne enfin la Nuée Divine et le but ultime de l'ascension. Il contemple la res divina dans les choses offertes à ses regards, il perçoit la nécessité d'être des réalités dont l'existence s'était d'abord montrée à lui sous le mode de la réflexion théorique et de la raison, lui-même ne bougeant pas de sa place.
Cela ne cesse point. Il obtient l' "ÉLIXIR DE LA GENÈSE" . Il voit le " grand rassemblement des corps" passant d'un état en un autre par le fait d'un changement de condition et d'un changement de cycle. De telle sorte que les configurations physiques des choses se trouvent modifiées du tout au tout et leurs modes d'être bouleversés de fond en comble. Ce que nous évoquons là, le théoricien l’appréhende d'une façon que je formulerai en ces termes :

Distiques

" Lorsque le ciel se dissoudra " (82.1),
une Réalité décisive prendra forme.
Quiconque en participera, par elle brillera.
" Lorsque les étoiles s'éparpillerons " (81.2),
cherchant à se disséminer,
" Des montagnes de roc se mettront en marche" (81.3)
qui se verront elles-mêmes soudain marchant.
" Une fournaise sera attisée " (81.12)
dont le foyer vorace consumera tout.
" Un jardin du Paradis aura été rapproché" (81. 13)
où entrera un groupe d'hommes " qui de leurs
tombes auront été arrachés" (82. 4).
A ce groupe tu diras ce que tu désires.
Il te répondra : des bêtes sauvages
se trouvent rassemblées (81. 5).
Alors tu verras mon âme qui aura été avancée
et mise en arrière (82. 5).

La vision infernale du théoricien et la crainte du châtiment.

Lorsque le théoricien a reçu l'Islam et confessé sa foi, et que, de la position où il se trouve il a embrassé du regard tout ce qu'a contemplé l'adepte en une vision oculaire au cours de son ascension, il demande à voir en quelle posture se trouvent les iniques, eux qui méritent d'habiter dans le séjour où ils sont entrés en vertu de la rétribution à laquelle ils ont droit. Eh bien les iniques y apprennent que la science ('ilm) est le plus noble des vêtements et que l'ignorance (jahl) est la plus laide des parures, que l' Enfer n'est point un séjour concevable pour aucune chose participant du Bien, tout comme le Paradis n'est point un séjour concevable pour aucune chose participant du Mal. Le théoricien voit alors que " la foi s'est dressé dans le coeur de celui qui était dépourvu de la science exigée de la Rigueur de DIEU", et il voit que "la science appropriée à la Rigueur de DIEU" et à ce qu'elle exige s'est dressée chez celui qui ne recelait pas une once de foi". Ce savant-là, étant donné son absence de foi, a mérité le " séjour du Malheur", tandis que l'ignorant, qui lui possède la foi, a mérité le " séjour du Bonheur", les échelons du Paradis par opposition aux marches de l'Enfer.

La rétribution Divine du "croyant ignorant" et du "savant incroyant", et le "transfert des sciences".

Aussitôt, (qu'il voit cela), ce savant (le théoricien) qui mérite le séjour du Malheur se débarrasse de sa science, à tel point qu'il se retrouve comme s'il n'avait jamais rien su ou comme s'il ne savait plus rien. Du coup, le tourment que lui cause son ignorance s'avère encore pire et plus violent que celui ressenti par les sens. Et ce tourment l'assaille impitoyablement, puisqu'il s'est dépossédé de sa science au profit de cet ignorant qui est croyant et entre au Paradis grâce à sa foi. Car le croyant - qui croit à cette  science dont s'est débarrassé celui-là qui mérite d'être introduit dans le séjour du Malheur - ce croyant donc, gagne l' "échelon du Paradis" correspondant à cette science, et il en jouit à satiété par l'âme et par le corps, ainsi que dans le "kathîb"(2), selon le type de vision qui lui est donné.

Cet incroyant quant à lui, récolte l'ignorance de ce croyant ignorant et, à cause d'elle, il gagne la "marche de l'Enfer" correspondant à cette ignorance. Et voilà bien la punition la plus terrible qui puisse le frapper, car il conserve le souvenir de la science qu'il possédait naguère, mais à présent il ne la possède plus, sachant pertinemment qu'il s'en est dépouillé. DIEU entreprend alors de lui dessiller les yeux afin qu'il voie en pleine lumière le rang de la science qu'il tiendrait au Paradis. Et soudain, cet incroyant voit le " vêtement de sa propre science" sur un autre qui n'a enduré aucune peine pour l'acquérir. Le malheureux en recherche alors une parcelle au fond de lui-même. Hélas ! Il ne peut l'y trouver.
Le croyant, de son côté, observe attentivement (ce qui arrive à l'incroyant et le sort infernal qui lui est réservé), et le voilà dûment averti de l'horreur de la fournaise, car il voit le mal que constitue sa propre ignorance vis-à-vis de ce malheureux savant qui n'est point croyant. Alors il se réjouit grandement et il exulte d'autant plus (d'avoir échappé au sort de l'incroyant). Or, il n'est rien de plus profondément affligeant qu'une telle joie.

Anecdote dramatique dans laquelle est vérifié l'avertissement : " Je te mets en garde si tu es au nombre des ignorants ".

Il m'est arrivé à ce propos un évènement extraordinaire. Un certain savant d'entre les philosophes m'avait entendu tenir ce discours, et il se peut qu'il l'ait déformé en son for intérieur, ou peut-être a-t-il pensé que je divaguais en cette question. Mais voici que DIEU l'en avisa par une soudaine révélation de telle manière qu'il n'en douta plus en lui-même, étant donné que la chose se réalisa véritablement comme je viens de la décrire (3). Ce savant entra donc chez moi en pleurant sur lui-même (sur son âme), ayant perdu toute contenance, et comme nous étions liés d'amitié, il me raconta l'affaire dont il se déchargea sur moi. La mort le surprit, il crut alors et me déclara : " Je n'ai jamais vu de punition plus terrible", et il comprit la parole de DIEU disant : " Je te mets en garde si tu es au nombre des ignorants" (6. 35), et cette autre : " Ne sois pas au nombre des ignorants" (11. 46).


source : l' Alchimie du Bonheur Parfait - Ibn'Arabi




1. Le monde terrestre sublunaire qui est l' "empire des passions", la minière de la nature physique élémentaire dont notre pèlerin était sorti pour entamer l'assomption céleste.
2. La "région des dunes" est une enceinte du Paradis dans laquelle les croyants obtiennent la vision de DIEU sous une forme théophanique appropriée à leur croyance propre et à leur rang spirituel.
3. C'est à dire qu'il arriva à cet homme le même drame qui vient d'être rapporté au sujet du théoricien : il se retrouva soudain ne sachant plus rien.

dimanche 5 août 2012

Le dévoilement du monde suprasensible et des mystères de la démiurgie Divine - Ibn'Arabi

(en Sept Demeure théosophales)

Allâh
Première Demeure : Le " Niveau des Proportions Cosmiques "

Quand il a fini d'apprendre tout cela, l'adepte entreprend une autre ascension d'ordre purement intelligible, ne s'effectuant plus désormais à travers une forme de conscience imaginale, et qui le transporte au " Niveau des Proportions Cosmiques ". Là, il apprend à connaitre les dosages et les mesures exactes des éléments corporels insérés dans les  corps physiques répartis depuis la Sphère englobante jusqu'à la poussière terrestre. En outre, il peut identifier, à l’intérieur comme entre ces deux plans extrêmes, toutes les espèces de l'univers qui sont les occupantes de ces régions cosmiques.

Seconde Demeure : La " Substance Universelle "

Puis il se transporte jusqu'au monde de la " Substance universelle ténébreuse " qui est sans parties et ne contient aucune forme. C'est la dimension suprasensible de tous les atomes du cosmos qui sont occultés par devers elle. De celle-ci proviennent les lumières et les clartés apparaissant dans le monde corporel. Ces lumières, qui sont composées, se détachent de cette Substance universelle de sorte qu'elle reste obscure, tout comme le jour se détache de la nuit, si bien que l'obscurité devient manifeste. Telle est l'origine de l'obscurité dans l'univers et l'origine de l'univers   dans les "statuts législatifs".


Troisième Demeure : La " Nature Incomposée "

Ensuite, l'adepte se transporte de cette station jusqu'au domaine de la " Nature incomposée ". Il apprend aussitôt comment elle gouverne les corps physiques de manière absolue, quels que puissent être leurs différents niveaux de composition et états spécifiques. Il constate alors jusqu'où va l'erreur de certains physiciens qui se fourvoient en prétendant connaître la Nature, erreur due au fait qu'ils ignorent la Physique en son essence véritable, tandis que le bénéficiaire d'un tel dévoilement connaît tout cela intuitivement.

Quatrième Demeure : La " Table Préservée "


Les trente-six milles Sciences Divines que DIEU fait inscrire par Son Calame sur la Table préservée sous forme de "cognoscibles", et les conséquences eschatologiques et cosmogoniques que DIEU en fait résulter pour le monde.

De cette vision, son regard s'élève jusqu'à la contemplation mystique de la " Table préservée " qui est l'existant suscité par le Calame Divin, et sur laquelle DIEU a inscrit les étants créaturels (Kawâ'in) qu'Il a voulu introduire dans le monde. Si bien qu'en contemplant ce qui est gravé sur cette Tabula secreta, l'adepte obtient la science des deux puissances démiurgiques, à savoir : la " Science de la Connaissance " et la " Science de l'Action", et il apprend quels effets en sont émanés. En outre, comme cette substance pneumatique s'avère être une "Table", il découvre ce qu'a tracé sur elle, avec le Calame Divin, Celui qui l'a ainsi dénommée, en dictant au Calame et en lui faisant inscrire sur cette Table les "formes des cognoscibles" que DIEU écoule (avec l'encre du Calame) au sein de l'univers, dans le séjour d'ici-bas jusqu'au Jour de la Résurrection. Ce sont autant de sciences circonscrites qui se trouvent gravées sous formes de cognoscibles, comme le sont les formes des lettres inscrites sur les Tablettes et les Livres sacrés, et que l'on nomme " verbes". Le nombre exact de leurs "matrices" est celui qui résulte de la multiplication des (trois cent soixante) degrés de la Sphère céleste par eux-mêmes, précisément, et sans rien y ajouter ni rien en retrancher.

C'est en effet là (sur cette Table préservée) que DIEU a disposé au sein de la grande Sphère où se recoupent les astres par suite de leurs révolutions célestes, trois cent soixante degrés qui bouclent le cycle annuel d'ici-bas, suivant la révolution du Soleil et de la Lune. DIEU Très-Haut a décrété : " le Soleil et la Lune se meuvent d'après un calcul exact" (coran 55, 3).
D'où la récurrence des années depuis le commencement. Toutefois, le cycle annuel ne connaîtra son véritable renouvellement cosmique qu'au bout d'un terme qui ne saurait dépasser, en année, le nombre de trois cent soixante multiplié par lui-même, nombre mesurant l'Age de ce monde. (1) 

Ensuite, DIEU dicte (sur la Table au moyen du Calame) un autre ordre de réalité. Et il s'agit de science concernant la Résurrection et aussi les "balances" établies "jusqu'à un terme fixé" (cor.42, 14) qui varie pour les deux séjours (du Paradis et de l'Enfer). Et ce terme marque tout spécialement la fin du temps de la disgrâce imposée à ceux qui habitent le séjour du malheur. Après quoi, DIEU réinscrit derechef (sur la Table préservée) le châtiment infligé à ce monde-ci, tout en éternisant ce qui doit perdurer dans les deux séjours (du Paradis et de l'Enfer) à l'intention de leurs habitants respectifs - sous réserve que, quelle que soit la teneur de l'écriture inscrite (sur la Table), il faut nécessairement qu'elle s'écoule "jusqu'à un terme fixé", puisqu'il est impossible d'introduire ce qui est sans fin au sein de l'existence.

Cinquième Demeure : Le " Calame Suprême "

L'adepte est initié à la Walâya. Il obtient la vision théophanique de la démiurgie Divine en contemplant l'animation du Calame qui enregistre et coordonne la trame intelligible de la création, telle que la lui dicte le Créateur.

Ensuite, l'adepte se transporte de cette station épiphanique jusqu'à la vision intellective du " Calame suprême ". Par cette vision dont il est témoin, il obtient la "connaissance de la walâya" (ou "amitié Divine"). C'est là que se situe le point de départ menant au rang du " Khalifa" et du "niyâba" (ou perfection humaine). C'est encore là que sont constitués les Divins Registres, et qu'apparaît la souveraineté du Nom " le Coordinateur et le Séparateur" - comme il est dit : " Il coordonne l'Ordre, Il sépare les signes" (13. 2). Telle est la science du Calame.


Et soudain l'adepte voit sous ses yeux le Divin Calame s'animer d'un mouvement partant de la droite.Oh sublimité ! Quel mouvement idéal, d'une suprême grâce ! Il voit d'où le Calame puise l'encre, et se rend compte qu'il détient par essence la maîtrise de la synthèse et l'analyse. L'analyse se révèle dans l'acte d'écrire, acte exprimant la nature essentielle du Calame. Il n'a besoin pour lui faire la dictée de nul autre maître que son Créateur, exalté et vénéré soit-Il. Ce qu'écrit le Calame Divin est gravé à jamais, c'est pourquoi cela demeure éternellement et ne peut être effacé. Pour cette raison, la Table (sur laquelle cela est gravé) est dite " préservée", ce qui veut dire préservée contre l'effacement. Or, si l'Ecriture Divine du Calame était semblable à l'écriture faite avec l'encre (matérielle), elle finirait par s’effacer, comme s'efface dans le monde du devenir l'inscription d'une simple tablette (d'argile humaine) écrite avec la plume qui est tenue "entre deux doigts du Miséricordieux". 


Grâce à cette vision, l'adepte peut désormais distinguer les différents types de calames et de tablettes ainsi que les diverses catégories d'écritures. Il obtient ainsi la "connaissance des statuts impérieux et de la rigoureuse ordonnance".
A partir de là, il réalise que ce qui est destiné à être une éclatante "preuve de DIEU" ne saurait demeurer à l'état de simple virtualité, à moins d'avoir déjà été manifesté en tant que preuve. Et si les preuves s'accumulent, en ce  cas, DIEU les rassemble toutes pour en faire " la preuve décisive", parfaite et exceptionnelle. Puis l'adepte tourne son regard vers la droite de cette scène visionnaire, et il contemple alors le "monde de l'amour éperdu" qui est le monde créé de la Nuée.


Sixième Demeure : La " Nuée Divine "

La Nuée : Voile théophanique suprême, matrix mundi et toute première localisation métaphysique concevable.

Il se transporte ensuite vers la " Nuée Divine " qui est le siège épiphanique du Nom " al-Rabb" (" le Seigneur"), de même que le Trône est le siège épiphanique du Nom " al-Rahmân" (" le Miséricordieux"). La Nuée est la toute première localisation métaphysique dont procèdent les déterminations de lieu et les plans de manifestation relatifs à ce qui ne peut admettre l'étroitesse du lieu (physique) et anticipe la situation en un lieu donné. D'elle proviennent les substrats épiphaniques aptes à recevoir les prototypes des formes corporelles manifestées sous les modes sensible et imaginal. La Nuée est un existant suréminent. L'Être Divin est son Principe intelligible. C'est l' "Être Divin dont est créé tout existant autre que DIEU", le Concept métaphysique dans lequel permanent et demeurent bien ancrées les identités foncières des êtres contingents. La Nuée accueille l'essence de l'ubi (al-ayn), elle est l'enveloppe spatiale du lieu, le niveau où est localisé le lieu, le nom du substrat épiphanique (universel).

Depuis le monde terrestre jusqu'à cette Nuée, il n'y a point de Nom de DIEU, hormis les " Noms des Opérations". Car en dehors d'eux, il n'y a pas d'influence qui puisse s'exercer sur  un quelconque objet créaturel compris entre la terre et la Nuée, que l'objet considéré relève du monde intelligible ou bien du monde sensible.


Par ailleurs, lorsque l'adepte eut quitté son compagnon le théoricien au (niveau du) septième ciel, pour continuer seul son ascension, voici que, en dehors de son propre itinéraire, une forme toute subtile irradiant de la personne du théoricien commença de s'éployer. Elle apparut à l'adepte dans la Sphère des Etoiles, et il la perdit de vue dans le Paradis. Elle lui réapparut dans la Sphère des Tours zodiacales, et il la perdit encore de vue dans le Korsî et le Trône. Elle lui réapparut au niveau des Proportions cosmiques et dans la Substance ténébreuse, puis il la reperdit de vue dans la Nature universelle. Elle lui apparut de nouveau dans l'Âme universelle - envisagée comme étant l'Âme, non comme étant la Table préservée; puis dans l'Intellect instaurateur - envisagé comme étant l'Intellect, non comme étant le Calame.
Après quoi, cette forme subtile se sépara de l'adepte qui dès lors ne la vit plus distinctement.


Septième Demeure : La Divine Présence de l'Un-Seul .



Vingt et unième et ultime étape du mi'râj où l'adepte affronte l'épreuve de la transcendance et de l'immanence Divines.



A partir de cette Nuée, l'adepte entreprend la montée et l'ascension parmi les " Noms du tanzîh", jusqu'à ce qu'il atteigne la Divine Présence (Hadrat) dans laquelle il constate que le tanzîh (2)  Le limite, Le désigne encore et L'entrave (Lui le Très-Haut). Il lève alors les yeux vers les arcanes les plus secrets des mondes intelligible, spirituel, corporel, mais dans les objets qui y apparaissent et dont le spectacle s'offre à sa vue, il ne distingue nullement ce qu'il convient d'écarter radicalement de Lui (Le Très-Haut). Il y voit simplement la relation de ces objets avec Lui comme marquant la relation du plan ontologique avec Celui qui en est le Maître et Détenteur.
Voyant cela, il ne peut "opérer le tanzîh" qu'il s'était imaginé (convenir à la transcendance Divine), ni "opérer le tashbîh" (3)  (qu'il s'était imaginé convenir à l'immanence Divine), car en vérité il n'y a là rien de tel.

Distique

Il n'y a que DIEU Seul,
rien d'autre que Lui,
il n'y a que l'Unité des Unités.

Puis, l'adepte se sépare des Noms des Opérations et les Noms du Tanzîh s'inclinent en lui livrant passage. Il voit alors son compagnon le théoricien tomber pleinement d'accord avec lui(4), jusqu'à ce qu'il la Demeure qui n'abrite plus ni le tanzîh, ni le tashbîh. Si bien que l'adepte Le dégage de toute limite en rejetant le tanzîh, et Le dégage de toute dimension en rejetant le tashbîh. Arrivée à ce point, il perd de vue son camarade le théoricien.

à suivre prochainement le dénouement du Mi’râj 
source : L'Alchimie du Bonheur Parfait - Ibn'Arabi







1. C'est à dire 36. 000 ans, la "Grande Année" astronomique correspond à la durée de la "précession des équinoxes". Le terme final de cette grande période cosmique débouche sur l'eschatologie, le "temps de la Résurrection" l'Age du monde étant mesuré par le plérôme de la Connaissance Divine (les 36.000 sciences).


2. Il s'agit des Noms utilisés par la théologie négative ou apophatique pour énoncer la transcendance de DIEU.


3. Ce sont les Noms des Opérations qui permettent à l'intellect d'expérimenter le mystère de la transcendance et de l'immanence Divine.


4. Accord de principe entre l'adepte et le théoricien et qui repose sur les critères de la théologie négative que tout ce passage met en déroute. Bien évidemment, l'adepte est seul au point culminant de l'expérience du mi'râj, tandis que le théoricien est toujours immobilisé dans l'enceinte de Saturne.

mercredi 1 août 2012

L’itinéraire Mystique de l'adepte jusqu'au Trône du Misérordieux (Ibn'Arabi)

(en Sept Stations épiphaniques)


Première station : Le "Lotus de la limite"


Vision des quatre fleuves de la Prophétie donnant accès au Bonheur

L'adepte poursuit sa marche et il parvient au "Lotus de la limite" (coran53, 14). Là, il voit les images des oeuvres accomplies par les bienheureux qui sont au nombre des prophètes et de ceux qui adhèrent aux Envoyés de DIEU. Il voit sa propre oeuvre figurant parmi les leurs, et aussitôt il rend grâce à DIEU de l'avoir favorisé en lui permettant de suivre l'Envoyé, le maître d'initiation. En ce lieu, l'adepte aperçoit "quatre fleuves", dont un immense, d'où procèdent plusieurs petites rivières. C'est encore de ce grand fleuve que découlent, tels, des affluent, les trois autres fleuves. L'adepte demande quels sont ces fleuves et ces rivières. On lui répond : C'est là un symbole que l'on offre à tes yeux. Le grand fleuve que tu vois, c'est le Coran, et ces trois autres fleuves, ce sont les trois saints Livres de la Torah, des psaumes et de l’Évangile. Quand à ces rivières, ce sont les feuillets  révélés descendus sur les prophètes. Celui qui boit à l'un de ces fleuves ou à l'une de ces rivières - peu importe lequel, du moment qu'il en boit -, celui-là devient héritier de toute vérité. Car il s'agit  du " Logos de DIEU " (Kalâm Allâh), et les " savants deviennent les héritiers des prophètes" dès l'instant où ils boivent à ces fleuves et à ces rivières.

Le Lotus
"Plonge-toi dans le Fleuve du Qorân, tu trouveras toutes les voies d'accès au Bonheur", parce que c'est le fleuve de Mohammed - sur lui la paix et la prière -, lui qui posséda la prophétie quand " Adam  était encore entre  l'eau et l'argile"; lui à qui furent données les " Synthèses des Verbes" et une " Mission prophétique universelle"; lui à qui il appartenait d'abroger les statuts dérivés des Lois Divines, et que nul excepté lui ne pouvait abroger.

Le Lotus, dépôt des oeuvres des bienheureux adamites et arbre de la purification des morts appelés à la rencontre de DIEU.

L'adepte se met à contempler la radieuse lumière qui recouvre ce Lotus et il le voit "recouvert par ce qui le recouvre" (il s'agit de la "Lumière grandiose" dont les yeux des mortels ne peuvent soutenir l'éclat). Car nul n'est capable de qualifier cette aura de lumière que les regards ne peuvent pénétrer. Non ! Les yeux ne sauraient l'atteindre. Puis on lui annonce : "Ceci est l'arbre de la purification dans lequel s'obtient l’agrément de DIEU. Ici même se dresse le Lotus érigé en vue de l'ablution rituelle des morts appelés à la rencontre de DIEU, ablution par l'eau lustrale et l'arbre Lotus qui confère aux morts la pureté impeccable de ce Lotus. Il est la limite à laquelle parviennent les oeuvres des fils d'Adam bienheureux (voir cor.36, 80), le dépôt où elles sont conservées jusqu'au Jour de la Résurrection. Là se trouve le premier échelon que franchissent les bienheureux, alors que le septième ciel où s'est arrêté ton compagnon (le théoricien) est le point limite de la fumée. Inéluctablement, ce septième ciel et ceux se trouvent en-dessous subissent des changements d'états les ramenant à la forme primitive qui était la leur ou qui leur ressemblait auparavant, avant que ce ciel ne fût constitué".

Deuxième Station : La "Sphère des Stations" 

Des myriades angéliques accueillent l'adepte dans les "stations" des pèlerins vers DIEU. 

Puis on ordonne à l'adepte : monte ! Et celui-ci monte dans la "Sphère des Stations". Parvenu là, il est accueilli par des myriades d'anges et d'esprits préposés aux étoiles, dont le nombre excède des dizaines de milliers, et où ces esprits (et anges) ont leurs hautes demeures. Il aperçoit en outre les "stations qu'occupent les pèlerins en route vers DIEU, chargés de leurs oeuvres légitimes". De cela, Harawî a traité  dans un de  ses ouvrages qu'il a intitulé "Manâzil al- Sâ'irîn" ( " les stations des pèlerins"), lequel comprend "cent étapes", chacune d'elles comportant à son tour "dix étapes" qui sont précisément ces "stations".
Quand à nous, nous en avons traité dans un livre intitulé "Manâhij al-Irtiqâ" (" les Itinéraires de l'ascension spirituelles"), qui comprend "trois cent étapes", chacune d'elles comportant dix "stations", ce qui fait un total de trois mille stations. L'adepte se met à franchir ces stations en les traversant l'une après l'autre au moyen de sept " essences métaphysiques" qu'il possède, comme les traversent les sept étoiles brillantes - mais en un temps plus rapide - jusqu'à ce qu'il pénètre intégralement leurs essences secrètes. Car le prophète Idriss lui avait bien fait cette recommandation.

Troisième Station : La " Sphère des Etoiles fixes "

L'adepte franchit le seuil du Paradis et en reconnait la topographie.

Après avoir scruté chacune de ces stations, il voit que celles-ci, avec toutes les étoiles qui s' y trouvent, s'en vont traverser une autre Sphère située au-delà de la Sphère des Stations. Alors l'adepte désire y monter pour contempler ce que DIEU a déposé dans ces réalités célestes en fait de signes et de prodiges témoignant de Sa Puissance et de Sa Science. Dès qu'il a pris pied à la surface de cette Sphère supérieure, il se retrouve au Paradis du commun des mortels, où il voit le spectacle de ce que DIEU a decrit dans Son Saint Livre concernant la nature des Paradis. Il en distingue les différents étages, les vestibules et tout ce que DIEU y a prévu pour le séjour de ses habitants. L'adepte voit aussi son paradis personnel, et aussitôt le voilà renseigné sur les "Paradis de l'héritage Divin", les "Paradis de l'élection personnelle" et les "Paradis des oeuvres". Alors, de chacun d'eux il savoure un bien délectable en fonction de ce que la puissance paradisiaque lui donne la faculté de goûter.

Il retrouve parmi les bienheureux fils d'Adam sa propre "forme paradisiaque" et il s'unit à elle.

Son désir ayant été pleinement satisfait, l'adepte s'élève jusqu'à la plus magnifique terrasse et jusqu'au rideau le plus resplendissant (du Paradis) derrière lequel il voit transparaître les formes d'Adam et de ses bienheureux fils. Dès lors, il comprend la signification mystique de ces réalités célestes et toute la sagesse que DIEU y a déposé, et il s'avise que ce sont là autant de robes nuptiales dont se vêtent les fils d'Adam. Voici que ces formes, ces silhouettes des bienheureux adamites le saluent, et soudain il reconnait parmi elles "sa propre forme". Aussitôt il l'embrasse et elle l'embrasse, puis elle s'élance avec lui vers l'emplacement le plus proche.

Quatrième Station : La " Sphère des Hautes Tours " 

L'adepte pénètre alors dans la " Sphère des Hautes Tours ", dont DIEU a dit et sur laquelle Il a juré : " Par le Ciel crénelé de Tours" (cor.85, 1). Il apprend que les êtres engendrés demeurant aux Paradis sont tributaires du mouvement de cette Sphère et qu'elle commande le mouvement diurne dans le monde temporel, de même que le mouvement alternant du jour et de la nuit (ou nychtémère) dépend de la Sphère dans laquelle se trouve la masse astrale du Soleil. Il apprend encore que les êtres engendrés demeurant aux Enfers dépendent, eux, du mouvement de la " Sphère des Etoiles (fixes) " qui est la voûte de l'Enfer - je veux dire que la concavité de cette Sphère forme le "toit de l'Enfer", tandis que sa surface constitue la "terre du Paradis". Les parcelles qui tombent de cette Sphère des Etoiles et dont la lumière se disperse font qu'elles restent obscures et que cet effet persiste en elles à titre permanent. Ce concours de phénomènes est la cause des trocs continuels qui sévissent aux Enfers : " Chaque fois que leurs peaux sont consumées nous leur donnons d'autres peaux en échanges" (4. 55). Tout cela "avec la permission de DIEU" qui assigne les choses à leur juste rang.

(...)
...
De l'insuffisance de la réflexion théorique et du vagabondage des ratiocinateurs .

En cette demeure céleste, l'adepte connaît donc la nature des créatures paradisiaques et tout ce que nous venons d'évoquer. Quand à son camarade, le théoricien, il ne sait rien de tout cela, étant donné qu'il s'agit d'un enseignement prophétique, non d'une réflexion théorique. Ce théoricien est aliéné sous l'emprise  de sa réflexion. Or, la réflexion n'a pas d'autre domaine où s'exercer que son champ d'investigation propre, et c'est un simple moyen de connaissance parmi bien  d'autres. En effet, à chaque faculté chez l'homme correspond un champ d'investigation restreint qu'il ne saurait franchir. Aussitôt que cette faculté franchit les limites de son domaine spécifique, elle tombe dans l'erreur et se fourvoie. Ce faisant, elle dévie complètement de sa " voie droite".

La perception visionnaire détecte fort bien sur quel écueil trébuchent les preuves rationnelles. C'est tout simplement qu'elles sortent de leurs propres limites. Au vrai, les intellects ratiocinants qui se fourvoient sont égarés par leurs propres réflexions. Celles-ci les égarent pour qu'ils se donnent libre carrière hors de leurs limites, et c'est ce vagabondage qui amène les rationateurs à juger arbitrairement sans compétence et à s'employer hors de leur champ propre, cela afin de bien mettre en évidence la faveur de certains par rapport à d'autres. Car en vérité, la faveur se manifeste dans le monde pour que l'on sache que DIEU est plein de sollicitude à l'égard de certains de serviteurs, tandis qu'Il en délaisse d'autres; pour que l'on sache en outre  que la possibilité de chacun a sa limite, et qu'enfin, la supériorité que DIEU accorde à qui Lui plaît est une distinction personnelle liée à telle faculté spirituelle agréable à DIEU, l'Omniscient, le Tout-Puissant.

Cinquième Station : Le " Korsi " ou Piédestal du Trône.

Le "pied de la vérité" et le "pied de la tyrannie" déterminant la condition eschatologique respective des infernaux et des paradisiaques.

Puis l'adepte ressort (de la Sphère des Hautes Tours) et il chevauche avec sa monture en direction du Korsi (Trône). Parvenu là, il voit à l'état de morcellement le Logos Divin qui revêtait l'attribut de l'Unité indivise avant de rejoindre cette station, et il aperçoit "les deux pieds" qui pendent jusqu'au Korsi. Aussitôt il tombe à genoux pour les baiser. L'un confère l’éternité aux paradisiaques dans leurs Paradis, et c'est le "pied de la véracité". L'autre confère l'éternité aux infernaux dans leurs Enfers sous tous les modes que DIEU veut, et c'est le "pied de la tyrannie". Voilà pourquoi DIEU déclare au sujet  des habitants du Paradis : " C'est un don inaltérable" (cor.11, 108), car ce don ne cessera jamais. Tandis qu'Il déclare au sujet des habitants des Enfers qui y souffrent afin de subir la condition perpétuelle de la tyrannie : " Ton Seigneur fait ce qu'Il veut" (cor. 11, 107). DIEU ne dit pas que leur condition ne cessera jamais, comme Il le dit des Bienheureux. Ce qui interdit de le supposer, c'est cette  parole Divine : " Ma Miséricorde embrasse toute chose" (7. 156), et cette autre : " Ma Miséricorde précéda ma colère" en ce monde. Car l'existence est l'effet d'une Miséricorde infusée au plus secret de chaque existant, et même si certains seront châtiés, toutefois l'éternisation de ceux qui reposent dans l ' "état de grâce" ne cessera jamais, tandis que l'éternisation de ceux qui sont dans l' "état de disgrâce" dépend de l'intervention d'une certaine volonté Divine. En conséquence, la disgrâce des réprouvés se ramène à un châtiment, sans plus, et elle finit par cesser.


Du châtiment infernal et de l'affliction des réprouvés.

Voilà pourquoi, en certains endroits du Livre, DIEU spécifie la nature de la peine endurée comme devant être "un châtiment douloureux" ou "le châtiment douloureux". Tandis qu'ailleurs, Il ne spécifie point que le châtiment soit douloureux et déclare simplement : " Le châtiment ne leur sera pas allégé" (2. 86, 162; 3. 88) - c'est à dire : ne leur sera allégé même si la peine endurée finit par cesser. DIEU dit encore : " dans le châtiment de l'Enfer..." (43. 74) - sans spécifier qu'il sera douloureux - ajoutant seulement : " qui ne s'interrompra jamais pour eux", en tant que châtiment.
"Et ils y resteront..." - maintenus à l'écart du bonheur convoité en ce lieu. Parce que l' "affliction" est une expression s'appliquant aux habitants de l'Enfer où ils sont maintenus à l'écart, c'est pourquoi il est fait mention ici de l' "affliction", afin que ce terme soit employé dans son contexte adéquat, chez les individus que cela concerne, pour qu'ils en fassent l'expérience. Il existe pour le lieu infernal certains termes appropriés qui ne conviennent pas aux Paradisiaques, et "affliction" en est un .
Ainsi, l'adepte apprend à distinguer en cette station (du Korsi) ce qui est propre à chacun des deux séjours.

Sixième Station : La " Lumière Grandiose " 

L'audition des mélodies célestes et l'amour extatique de la Beauté Divine

Il abandonne enfin ce lieu pour s'élancer impétueusement dans la " Lumière grandiose " et aussitôt il est terrassé par l'extase, car cette Lumière est l'habitacle des états mystiques qui trouvent leur mode d'expression à travers les êtres humains. Or, ce qui les subjugue de manière irrésistible, c'est bien l'audition des mélodies célestes. Lorsque ces mélodies leur parviennent, elles traversent les sphères, et les mouvements des sphères émettent des sons enchanteurs qui ravissent les sens, comme ceux émis par le "dawlâb" (sorte de crécelle). Alors, ces sons investissent les états mystiques et d'un commun élan parviennent jusqu'aux âmes des vivants durant les séances du concert spirituel. Si bien que l'âme audiante, partout où elle jette l'ancre, qu'elle s'éprenne d'une jeune fille ou d'un jeune homme, ou qu'elle s'attache aux hommes de DIEU, son attache véritable demeure l'amour d'une certaine Beauté Divine, objet privilégié de sa représentation imaginative, et dont les créatures prennent possession grâce aux locutions prophétiques telles que cette parole du Sahîh : " DIEU est Beau, Il aime la Beauté", et cette autre du Tajrîd : " Adore DIEU comme si tu le voyais". Ainsi l'âme de l'amant est-elle ravie d'extase par ce que lui révèle sa conscience imaginative.

Parmi les amants, certains sont submergés par l'état d'ivresse mystique sans le truchement de la conscience imaginative. Ceux-là, au contraire appréhendent un objet Divin non conditionné, qui n'est point cernable dans le champ clos de l'espace et de la dimension. Il en est d'autres auxquels sont donnés ces états mystiques amenant l'extase amoureuse par fragrances successives qui parviennent à des âmes n'aimant point totalement, mais seulement de façon partielle. Ces amants-là obtiennent l'extase d'amour sous un mode conditionné, et c'est pourquoi on l' appelle l' "amour angoissé".

Septième Station : Le " Trône du Miséricordieux " 

Au seuil du Trône, l'adepte découvre les entités mystiques des cinq archanges et des trois grands prophètes auprès desquels reposent les quatre arcanes majeurs du Grand Oeuvre. En contemplant ceux-ci tour à tour, il obtient la révélation intuitive du magistère hermétique.

Medine
Puis, l'adepte émerge de cette Lumière et il se dirige vers le fief de la " Miséricorde universelle qui embrasse toute chose " et que l'on désigne comme le "Trône". Arrivée là, il découvre parmi les entités archangéliques : Sérafiel, Gabriel, Mikaël, Ridwan et Malik; parmi les entités angéliques de forme humaine : Adam, Abraham et Mohammed - la paix soit sur eux.
Auprès d'Adam et Sérafiel, il trouve déposée la " Connaissance des formes apparaissant au Monde"  et que l'on appelle ajsâm (corps physiques animés), ajsâd (corps subtils), et hayâkil (temples ou corps de chair), selon qu'ils sont lumineux ou bien privés de lumière. Auprès de Gabriel et Mohammed, il trouve déposée la "Connaissance des Esprits insufflés dans ces formes" qui reposent auprès d'Adam et Sérafiel. L'adepte apprend donc les significations vraies de tout cela et il voit quelle est la relation de ces esprits à l’égard de ces formes corporelles, en quoi consiste leur organisation interne, jusqu'à quel point ces esprits se distinguent les uns des autres, bien que tous soient émanés d'un Archétype unique; de même en ce qui concerne les formes corporelles.Tout cela, il l'apprend de cette Demeure (du Trône).

De cette Demeure Divine, il obtient la "Science des Élixirs" qui métamorphosent les corps métalliques en même temps que l'esprit qui s' y trouve incorporé. Il regarde ensuite vers Mikaël et Abraham et il trouve déposée auprès d'eux la "Connaissance des nourritures vitales" pour les esprits comme pour les corps, ce dont ils se sustentent, ce par quoi ils peuvent subsister. Et l'adepte découvre alors quelle est la nature de cet Élixir servant d'aliment approprié au corps minéral, Élixir ayant la vertu de rendre ce corps en or ou en argent, après qu'il ait été de fer ou de cuivre - ce qui revient à le ramener en bonne santé et à éliminer la maladie qui s' y était incorporée dans la mine, maladie faisant qu'il s'était transformé en fer ou en tel autre métal vil. Eh bien, tout cela, il l'apprend de cette Demeure du Trône.

Ensuite, l'adepte regarde vers Ridwân et Malik et il trouve déposée auprès d'eux la " Connaissance du Bonheur et du Malheur, celle du Paradis et de ses échelons, celle de l'Enfer et de ses marches. Car telle est la science des degrés selon lesquels se répartissent " la promesse et la menace" (la promesse s'accomplit par l'intervention de Ridwan qui est l'ange chargé de la rétribution des bienheureux; la menace se réalise par l'intervention de Malik qui est l'ange du châtiment.)
Et le voilà désormais instruit de la condition véritable que procure chacun des deux. Lorsqu'il a bien appris tout cela, l'adepte connaît le Trône et ses "Porteurs", ainsi que tout ce qui est englobé sous sa vaste enceinte.
Le Trône marque en effet la limite extrême des corps physiques. Au-delà, il n'y a plus aucun corps composé ayant figure et dimension. (1)


1. (la Sphère englobante du Trône situe les bornes extrêmes de l'univers et détermine la sortie du cosmos physique, débouchant sur le monde suprasensible dont l'adepte va explorer les " Demeures théosophales", à savoir : les réalités métaphysiques universelles qui sont incomposées.)


Source : l'Alchimie du Bonheur parfait (Ibn'Arabi)
à suivre...