mercredi 15 août 2012

L'AMOUR ORIGINEL - Ibn'Arabi

Dans cette affection, l'être épure l'inclination amoureuse (hawâ) en s'attachant à la Voie de DIEU à l'exclusion de toute autre. Quand il a ainsi réalisé cette purification et qu'il est devenu d'une nature limpide après s'être débarrassé des impuretés causées par l'association de dieux multiples dans des acheminements divergents, on peut parler de lui en termes d'amour originel en raison même de cette clarification et de cette épuration qui le caractérisent.

Pour la même raison, on nomme habb le récipient qui reçoit l'eau trouble pour qu'elle devienne limpide et claire par précipitation de ses impuretés au fond du vase.
Il en est ainsi de l'amour originel chez les créatures. Lorsqu'elles s'attachent à l'Être vrai - gloire à Lui - et que, pour Lui, l'âme se libère de l'affection portée à des dieux rivaux qui constituent autant d'associations à DIEU, cette attitude est nommée amour originel. 



En outre, DIEU - qu'Il soit exalté - a dit : ceux qui croient ont un amour plus intense pour DIEU (coran II, 165). En effet, quand le voile se retirera, ceux qui ont été suivis désavoueront ceux qui les suivaient et ceux qui les avaient suivis diront : "Si nous pouvions revenir, nous les désavouerions comme ils nous ont désavoués (coran II, 66&167). L'amour que les premiers témoignaient aux seconds cessera dans la demeure ultime, mais les croyants continueront d'aimer DIEU. Leur amour pour Lui deviendra plus intense au point de surpasser les autres quand ceux-ci voudront renier l'amour de leurs divinités, au moment où leurs biens et leurs enfants ne leur serviront de rien contre DIEU (coran III, 10). Le Jour de la Résurrection, les associateurs ne resteront qu'avec le seul amour de DIEU, tandis que dans cette vie ici-bas, ils L'avaient aimé tout en aimant leurs dieux associés. Si une telle estimation et une telle erreur ne les avaient pas séduits, ils ne les auraient nullement aimés, mais l'objet de leur amour bel et bien la Fonction Divine qu'ils s'imaginèrent trouver en de nombreuses créatures. Ils aimèrent donc DIEU, mais également les êtres qu'ils Lui associèrent. Au moment de la Résurrection, nous venons d'en parler, seul l'amour de DIEU leur restera et, en conséquence, dans la vie future, ils auront un amour plus intense pour Lui que celui qu'ils leur portaient dans ce bas-monde, en raison même de la disposition de leur amour reporté dans l'autre demeure sur DIEU seul. C'est alors qu'un tel être contemplera l'objet de son amour qui n'est autre que la Fonction Divine résidant uniquement en lui.
C'est pour cette raison que la miséricorde est primordiale, que les deux demeures limitrophes sont forces et que le domaine intermédiaire est faiblesse avec tout le risque d'association qu'il comporte.
... 
Telle est donc la différence existant entre l'amour originel et l'inclination subite d'amour (nous traiteront de ce autre sujet prochainement pour ce qui est de l'inclination subite d'amour).

LE DÉBORDEMENT D'AMOUR 

C'est l'excès d'amour ou comble de l'amour ou l'amour débordant auquel cette parole Divine s'applique : Ceux qui croient ont un amour plus intense pour DIEU (coran II, 165).

Outre sa limpidité dans son attachement à un être unique, cette affection est proprement ce qu'on nomme l'amour originel (hubb) et outre son apparition dans la graine du coeur, qui a été également dénommée amour originel, elle a la vertu de compénétrer l'homme entièrement et de le rendre aveugle à tout sauf au bien-aimé. La réalité intime (haqîqa) d'un tel amour s'infuse dans les moindres éléments de son corps, de ses facultés et de son esprit. Il s'écoule en lui comme le sang dans les veines et la chair. Il imprègne toutes les jointures de son corps, parvient à s'identifier à son existence en affectant intimement tous ses aspects, corps, esprit, à un point tel que rien ayant trait à un autre ne peut subsister en lui. Il ne parle que par amour pour l'aimé, il n'a d'oreille que pour lui et par son regard il ne contemple que lui en chaque chose. Il le voit en toute forme et ne voit rien sans proférer : "lui !" 
Aussi, cette sorte d'amour est appelée débordement ou excès amoureux ('ishq). D'après les récits, cette affection s'était emparée de Zulaykha (la femme de Putiphar). Elle s'ouvrit une veine et le sang, en touchant le sol en de nombreux endroits, traça : "Joseph, Joseph !" Car la mention du nom de son bien-aimé s'était répandu dans ses veines. C'est ce qu'on rapporte aussi de Al-Hallâj, dont le sang coulant de ses membres amputés écrivait le nom "Allâh, Allâh !" partout où il tombait. Dans cet état, il improvisa ces vers - que DIEU lui fasse miséricorde !

Ni membres ni jointures ne me furent amputés
Sans que votre mention, Seigneur, ne s'y trouvât !

De tels cas rentrent dans cette sorte d'affection et concernent ces êtres débordants d'amour qui trouvèrent de cette manière la mort par amour. Un tel sacrifice est dénommé la domination d'amour. Nous en ferons la description lorsque nous traiterons des attributs des amants, si DIEU le veut.

LA FIDÉLITÉ D'AMOUR


C'est la constance de l'amour originel ou du débordement d'amour ou encore de l'inclination subite d'amour (hawâ). Quel que soit l'état de l'amoureux, cette sorte d'amour rentrera dans une de ces trois notions. 
Lorsque l'être ainsi  qualifié est constant, que rien ne vient altérer cette disposition en lui et qu'il ne cesse d'être sous son emprise, que son influence persiste dans les circonstances agréables ou déplaisantes, qu'il ne s'afflige ni ne se réjouit de l'état de séparation ou d'éloignement de l'aimé dont il désire pourtant la présence, qu'il ne cesse enfin de demeurer sous la sujétion de l'aimé du fait même de sa presence, toutes ces attitudes, donc, rentrent dans cette dénomination de constance d'amour (wadd).
Le verset suivant vient illustrer cette fidélité d'amour : " En vérité, le Miséricordieux dotera d'un amour constant (wadd)  ceux qui auront cru et accompli les oeuvres de bien" (coran XIX, 96),  c'est à dire la fidélité de l'amour en DIEU et la constance de coeur de Ses serviteurs.
Telle est la signification de ce terme.
L'amour comporte des états d'âme nombreux affectant les amants. J'en traiterai plus loin s'il plaît à DIEU. D'ores et déjà, mentionnons : le désir ardent d'amour (shawq), la domination amoureuse, l'amour éperdu, la peine d'amour, les pleurs, la tristesse, la blessure d'amour, la consomption, la langueur et d'autres états semblables propres aux amants qui les décrivent dans leurs vers et que j'exposerai en détail s'il plaît à DIEU.
source : Traité de l'Amour - Ibn'Arabi



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