mercredi 8 août 2012

Le dénouement du Mi’râj des deux pèlerins - Ibn'Arabi

Les deux pèlerins s'en retournent à leur point de départ et réintègrent leur corps matériel.

Après quoi, l'adepte fait volte-face, cherchant à rejoindre son point de départ, là d'où il est sorti (1). Dès lors, DIEU chemine avec lui, selon une autre voie que celle qu'il avait parcourue tout d'abord. C'est une Divine migration dont il n'est pas possible d'en parler. Seul peut la connaître celui qui en fait lui-même l'expérience visionnaire. Quand à son compagnon (le théoricien), il reprend son propre voyage, étant donné qu'il ne peut devenir un adepte qu'après être retourné à son corps.





Accompagné de l'adepte, le théoricien va prêter serment d’allégeance à l' " Envoyé", et il reçoit l'Islam. 


Alors, le théoricien s'associe à son confrère (l'adepte), et il s'empresse en même temps que celui-ci au devant de l' "Envoyé", s'il se trouve présent, ou bien auprès de son héritier légitime. Il lui fait serment d'allégeance en lui jurant sa foi et son assentiment formel devant l'évidence que le Prophète lui a apporté de la part de son Seigneur, et devant le signe dont il est porteur. Il est accompagné d'un témoin, l'adepte en personne.

Illuminé par la foi, le théoricien reparcourt tous les degrés de l'ascension en seul coup d'oeil. L' "Élixir de la Genèse" et les bouleversements eschatologiques. 

Désormais, il " croit en DIEU ", en tant que DIEU institua à son intention la profession de foi, et non plus parce que DIEU lui a fourni une preuve formelle. Et soudain le théoricien découvre auprès de lui et dans son coeur une lumière qu'il n'y avait point décelée auparavant. Alors, de la place où il se trouve, il voit en un seul coup d'oeil, grâce à cette lumière, tout ce qu'il avait contemplé précédemment en compagnie de l'adepte au cours de sa première ascension. Plus rien désormais ne l'arrête. Au contraire, il monte irrésistiblement, de la même façon que l'adepte, jusqu'à ce qu'il atteigne enfin la Nuée Divine et le but ultime de l'ascension. Il contemple la res divina dans les choses offertes à ses regards, il perçoit la nécessité d'être des réalités dont l'existence s'était d'abord montrée à lui sous le mode de la réflexion théorique et de la raison, lui-même ne bougeant pas de sa place.
Cela ne cesse point. Il obtient l' "ÉLIXIR DE LA GENÈSE" . Il voit le " grand rassemblement des corps" passant d'un état en un autre par le fait d'un changement de condition et d'un changement de cycle. De telle sorte que les configurations physiques des choses se trouvent modifiées du tout au tout et leurs modes d'être bouleversés de fond en comble. Ce que nous évoquons là, le théoricien l’appréhende d'une façon que je formulerai en ces termes :

Distiques

" Lorsque le ciel se dissoudra " (82.1),
une Réalité décisive prendra forme.
Quiconque en participera, par elle brillera.
" Lorsque les étoiles s'éparpillerons " (81.2),
cherchant à se disséminer,
" Des montagnes de roc se mettront en marche" (81.3)
qui se verront elles-mêmes soudain marchant.
" Une fournaise sera attisée " (81.12)
dont le foyer vorace consumera tout.
" Un jardin du Paradis aura été rapproché" (81. 13)
où entrera un groupe d'hommes " qui de leurs
tombes auront été arrachés" (82. 4).
A ce groupe tu diras ce que tu désires.
Il te répondra : des bêtes sauvages
se trouvent rassemblées (81. 5).
Alors tu verras mon âme qui aura été avancée
et mise en arrière (82. 5).

La vision infernale du théoricien et la crainte du châtiment.

Lorsque le théoricien a reçu l'Islam et confessé sa foi, et que, de la position où il se trouve il a embrassé du regard tout ce qu'a contemplé l'adepte en une vision oculaire au cours de son ascension, il demande à voir en quelle posture se trouvent les iniques, eux qui méritent d'habiter dans le séjour où ils sont entrés en vertu de la rétribution à laquelle ils ont droit. Eh bien les iniques y apprennent que la science ('ilm) est le plus noble des vêtements et que l'ignorance (jahl) est la plus laide des parures, que l' Enfer n'est point un séjour concevable pour aucune chose participant du Bien, tout comme le Paradis n'est point un séjour concevable pour aucune chose participant du Mal. Le théoricien voit alors que " la foi s'est dressé dans le coeur de celui qui était dépourvu de la science exigée de la Rigueur de DIEU", et il voit que "la science appropriée à la Rigueur de DIEU" et à ce qu'elle exige s'est dressée chez celui qui ne recelait pas une once de foi". Ce savant-là, étant donné son absence de foi, a mérité le " séjour du Malheur", tandis que l'ignorant, qui lui possède la foi, a mérité le " séjour du Bonheur", les échelons du Paradis par opposition aux marches de l'Enfer.

La rétribution Divine du "croyant ignorant" et du "savant incroyant", et le "transfert des sciences".

Aussitôt, (qu'il voit cela), ce savant (le théoricien) qui mérite le séjour du Malheur se débarrasse de sa science, à tel point qu'il se retrouve comme s'il n'avait jamais rien su ou comme s'il ne savait plus rien. Du coup, le tourment que lui cause son ignorance s'avère encore pire et plus violent que celui ressenti par les sens. Et ce tourment l'assaille impitoyablement, puisqu'il s'est dépossédé de sa science au profit de cet ignorant qui est croyant et entre au Paradis grâce à sa foi. Car le croyant - qui croit à cette  science dont s'est débarrassé celui-là qui mérite d'être introduit dans le séjour du Malheur - ce croyant donc, gagne l' "échelon du Paradis" correspondant à cette science, et il en jouit à satiété par l'âme et par le corps, ainsi que dans le "kathîb"(2), selon le type de vision qui lui est donné.

Cet incroyant quant à lui, récolte l'ignorance de ce croyant ignorant et, à cause d'elle, il gagne la "marche de l'Enfer" correspondant à cette ignorance. Et voilà bien la punition la plus terrible qui puisse le frapper, car il conserve le souvenir de la science qu'il possédait naguère, mais à présent il ne la possède plus, sachant pertinemment qu'il s'en est dépouillé. DIEU entreprend alors de lui dessiller les yeux afin qu'il voie en pleine lumière le rang de la science qu'il tiendrait au Paradis. Et soudain, cet incroyant voit le " vêtement de sa propre science" sur un autre qui n'a enduré aucune peine pour l'acquérir. Le malheureux en recherche alors une parcelle au fond de lui-même. Hélas ! Il ne peut l'y trouver.
Le croyant, de son côté, observe attentivement (ce qui arrive à l'incroyant et le sort infernal qui lui est réservé), et le voilà dûment averti de l'horreur de la fournaise, car il voit le mal que constitue sa propre ignorance vis-à-vis de ce malheureux savant qui n'est point croyant. Alors il se réjouit grandement et il exulte d'autant plus (d'avoir échappé au sort de l'incroyant). Or, il n'est rien de plus profondément affligeant qu'une telle joie.

Anecdote dramatique dans laquelle est vérifié l'avertissement : " Je te mets en garde si tu es au nombre des ignorants ".

Il m'est arrivé à ce propos un évènement extraordinaire. Un certain savant d'entre les philosophes m'avait entendu tenir ce discours, et il se peut qu'il l'ait déformé en son for intérieur, ou peut-être a-t-il pensé que je divaguais en cette question. Mais voici que DIEU l'en avisa par une soudaine révélation de telle manière qu'il n'en douta plus en lui-même, étant donné que la chose se réalisa véritablement comme je viens de la décrire (3). Ce savant entra donc chez moi en pleurant sur lui-même (sur son âme), ayant perdu toute contenance, et comme nous étions liés d'amitié, il me raconta l'affaire dont il se déchargea sur moi. La mort le surprit, il crut alors et me déclara : " Je n'ai jamais vu de punition plus terrible", et il comprit la parole de DIEU disant : " Je te mets en garde si tu es au nombre des ignorants" (6. 35), et cette autre : " Ne sois pas au nombre des ignorants" (11. 46).


source : l' Alchimie du Bonheur Parfait - Ibn'Arabi




1. Le monde terrestre sublunaire qui est l' "empire des passions", la minière de la nature physique élémentaire dont notre pèlerin était sorti pour entamer l'assomption céleste.
2. La "région des dunes" est une enceinte du Paradis dans laquelle les croyants obtiennent la vision de DIEU sous une forme théophanique appropriée à leur croyance propre et à leur rang spirituel.
3. C'est à dire qu'il arriva à cet homme le même drame qui vient d'être rapporté au sujet du théoricien : il se retrouva soudain ne sachant plus rien.

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