lundi 22 avril 2013

Mise en garde de Muhyi al-Dîn Ibn'Arabi à propos de la Khalwa ou retraite spirituelle

Voyage vers le Maître de la Puissance est une une discussion du Khalwa, la retraite spirituelle, pratique soufie avancée et dangereuse qui vise à atteindre la présence de DIEU par un renoncement total au monde. Le Khalwa n'est en aucune façon une technique applicable par tous.
Ibn'Arabi déclare explicitement qu'en raison des tromperies que crée l'imagination, on ne peut l'entreprendre que sur ordre d'un cheikh (maître), ou de quelqu'un qui a acquis la maîtrise de lui-même.
Il indique en outre que poursuivre les expériences du Khalwa sans être parfaitement accompli en ce qui concerne les devoirs et la pratique de l'islam est une invitation à la destruction personnelle. Enfin, chaque étape de l'ascension qu'il décrit est une tentation, et y succomber n'apporterait que calamité et égarement. Seul celui dont le désir de DIEU est irrésistible et qui ne se soucie de rien d'autre est sauf en de telles circonstances.

La pratique du Khalwa fut initiée dans l'Islam par le Prophète Mohammed (que la paix et la bénédiction d'Allâh soient sur lui), qui avait coutume de se retirer dans une grotte du mont Hira pour se livrer à la contemplation. L'ascension spirituelle qui gravit tous les degrés de l'existence menant à la présence de DIEU, telle que la décrit Ibn'Arabi, possède également un précédent prophétique. Dans son grand voyage nocturne et son ascension, Mohammed se trouva transporté - en un instant qui valait 70 000 années - de la Mecque à Jérusalem et de Jérusalem à travers les cieux, à la Présence du Dieu Aimé, puis en revint.

source : Voyage vers le Maître de la Puissance (Ibn'Arabi)

mardi 16 avril 2013

L'etendard de la félicité (Ruzbehan)

" Allons ! Que soit hissé l'étandard de la félicité de la gnose dans l'univers de la contemplation en l'honneur des souverains de l'amour Divin ! Que soit joué l'accord de la chantelle et de la basse sur le luth des attributs avec le plectre des secrets dans l'assemblée spirituelle des âmes sanctifiées !... Que, dans les solitudes de la pauvreté humaine, chaque néophyte de la voie tente sa chance au jeu d'échec de l'invocation du Bien-aimée !... Que la table de ces contemplatifs soit apprêtée sur l'estrade de la providence en vue du banquet de l'ardent désir ! "
Source: Traité de l'Esprit Saint (Rûzbehân de Shîrâz - 1128-1209)

mercredi 10 avril 2013

Soufisme ou la quête de l'absolu (suite et fin).

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Cette aspiration à l'unité se situe au-delà des conditionnements culturels ou sociaux : unité d'un sens transcendant qui permet à l'homme de se mettre debout et de cheminer vers une dignité, une noblesse, une liberté originelle. 

Cette aspiration profonde, qui habite chaque être, est sans doute l'essence de toute prière, de tout élan spirituel. Une quête, une aspiration innée qui explique que les paroles de sagesse puissent, comme disait Jésus, plus facilement toucher des enfants que des adultes chargés de richesses de ce monde, même si celles-ci sont faites de savoir ou d'oeuvres de culte : "Les plus séparés de DIEU, disent les soufis, sont les ascètes par leur ascèse, les dévots par leur dévotion, les savants par leur science". Ceci peut expliquer pourquoi, au-delà d'une connaissance approfondie de la doctrine soufie, la simple évocation de sapience, de poésie; de quelque considération métaphysique, puisse éveiller la nostalgie d'un état d'être, d'une connaissance, d'un "secret" situé à la fine pointe de notre mémoire spirituelle. En vertu d'une affinité essentielle entre le monde sensible et le monde spirituel, les soufis ont, dans leurs symbolique, souvent recours à un langage imagé et concret, faisant partie des expériences les plus intenses du plan humain. Car l'expérience concrète, humaine, pour l'homme doué de cette "vision du coeur", révèle infiniment plus qu'elle-même.

Un langage qui émane du coeur, de l'expérience, de la saveur de celui qui l'énonce et qui dès lors se revêt d'un parfum poétique. La poésie est sans doute le langage du coeur. Un langage qui libère le sens des mots, qui évoque mais n'enferme pas. "Notre science, dit une célèbre sentence soufie, est entièrement allusive, lorsqu'elle se fait explicite, elle s'occulte".

L'essentiel est par delà les mots. Il est dans ces réalités vécues, ces état d'être et de conscience, ces ouvertures intérieures dont les mots ne que des lointains reflets, des traces de voyage. Traces de lumière.

L'actualité d'une voie spirituelle, telle que le soufisme, ne dépend pas d'aléas, d'intérêts ou de phénomènes de mode, mais d'une réalité intrinsèque; une telle voie n'a de sens que parce qu'elle est vécue, enracinée dans une expérience actuelle. "Le soufi, dit une autre sentence, est le fils de l'instant". Les expériences de l'instant prévalent sur une nostalgie du passé ou sur une crainte de l'avenir. La relation à DIEU, à la Transcendance, est une relation immédiate, réelle, vécue.
L'intelligence de l'instant est celle de la sagesse ou des signes  Divins que Celui-ci révèle.
Cette dimension du soufisme comme réalité vécue fait que les formes que peuvent prendre les enseignements soufis ne sont jamais figées une fois pour toutes (évoquant cet aspect des formes, les soufis disent : "Les saints se revêtent des habits de leur temps") : ni celles des formes de l'enseignement direct, de maître à disciple, ni celle des écrits ou traités du soufisme.
Cheikh Abdoulaye Dieye
De ce fait, les maîtres soufis demandent parfois à leurs disciples novices de renoncer, pour un temps, aux lectures de livres sur la voie. Celle-ci pourraient constituer autant de références à une pseudo théorie du soufisme, autant d'écrans, de voiles, faisant obstacle à une saisie immédiate, directe, de réalités spirituelles qui tout en étant universelles n'en prennent pas moins, pour celui qui la vit, une coloration unique. " Il y' a autant de voies qu'il y a d'enfants d'Adam".

L'essence du soufisme échappe donc à des conditionnements culturels ou à ceux des systèmes de pensée. Elle peut bien sûr vivre, s'exprimer, à travers différents contextes culturels ou formes de pensée, sans pour autant s'y identifier.

Mais dès lors, la question se pose de savoir si cette essence est libre de toute forme traditionnelle (un support de transmission) ou s'il existe une certaine relation privilégiée ou nécessaire à celle-ci.
C'est une autre question, souvent posée à notre époque, du rapport entre une voie concrète, déterminée, de l'initiation, est une aspiration à l'universalité.

Que DIEU nous assiste !



mardi 9 avril 2013

soufisme ou la quête de l'Absolu 1

Le soufisme se présente avant tout comme une expérience spirituelle vécue, intérieure, dont le domaine se trouve au-delà de ce qui peut être appréhendé par la raison ou les sens physiques. Ce n'est que dans une étape ultérieure faisant faisant suite à une réalisation spirituelle, que certains soufis, se servant d'un langage symbolique et métaphorique, transcrivent leur expérience sous une forme verbale.

L'expérience spirituelle conduit à transcender la raison, non à la nier. Son but est d'atteindre l'objectivité absolue, qui n'est autre que la Réalité véritable (al-Haqq). Par rapport à celle-ci, c'est le monde, tel que nous le percevons de manière ordinaire, qui se révèle être contingent, relatif et évanescent. La connaissance de cette Réalité passe, pour le disciple sur la Voie, par la mort à lui-même, à sa propre subjectivité : " Mourez avant de mourir ", dit une parole du Prophète qui, soulignant l'aspect illusoire du monde, déclare aussi : " Les hommes dorment, lorsqu'ils meurent ils se réveillent." Le soufisme est la Voie qui, en Islam, mène à cette connaissance.

Le langage des soufis, qui se réfère à une expérience spirituelle, est nécessairement symbolique et se prête par là même à une compréhension à plusieurs niveaux. Les soufis disent toujours que, quelle que soient la beauté ou la rigueur de leurs écrits, ceux-ci n'en restent pas moins le lointain reflet d'une connaissance contemplative.

L'amour spirituel est, pour le soufi, le mystère le plus profond de l'être et le moteur de la Voie. Symboliquement, le soufisme se dit être la Voie du coeur. Par ce terme se trouve désigné le centre subtil de l'être, le lieu de perception, d'intellection des réalités spirituelles. C'est, dans le sens fort, le lieu de " l'intelligence du coeur" ou du "coeur intelligent", lieu où émotion spirituelle et intellection s'unifient en une seule vision et irradiante, "illuminative". On comprend dès lors que la distinction classique entre amour et connaissance (et plus encore voie d'amour et voie de connaissance) n'a de sens ici que dans la mesure ou elle exprime, non  par des réalités séparées, mais une certaine coloration de l'expérience spirituelle et, plus souvent encore, une certaine façon d'exprimer celle-ci. Car dans le chemin qui mène à la proximité de la Réalité Divine, il n' y a pas d'amour sans connaissance, ni de connaissance sans amour. Tels le feu et la lumière, la connaissance dévoile et l'amour insuffle la force de l'envol, ravit.

Cette voie du coeur est au centre même de l'enseignement christique, et c'est sans doute là l'une des raisons fondamentales pour lesquelles le soufisme peut susciter un élan, un appel, une nostalgie même, au sein d'une culture occidentale séculairement pétrie des valeurs de cet enseignement, même si elle reste par ailleurs engagée dans un large mouvement de désacralisation.



La Voie soufie répond aussi à une question, pressante à notre époque, sur la relation entre spiritualité et action. Le monde moderne a, depuis quelques temps déjà, imposé l'idée factice que ces deux domaines sont réservés, étanches, exclusifs l'un de l'autre. Le soufisme, à travers la voie de la chevalerie spirituelle, a depuis longtemps montré comment ceux-ci sont, tels l'amour et la connaissance, dans une relation nécessaire. Toute action véritable doit être animée d'un souffle, d'une intention spirituelle; elle devient par là même une forme d'adoration. De même qu'une attitude spirituelle peut être particulièrement porteuse d'une action libre, efficace.

Là aussi, l'expérience spirituelle permet d'unifier ce qui est en général vécu d'une façon séparée. L'expérience du monde moderne permet de saisir, a contrario, cette nécessité d'une unification progressive comme un manque essentiel dans un monde de multiplicité grandissante, où l'homme, éparpillé entre des injonctions multiples a perdu le centre, le sens de son être.
à suivre