mercredi 25 septembre 2013

أدب وثقافة عربيّة /Littérature et culture arabes / Arabic literature and culture: Ibn Arabi, poète de l'Amour divin ( Préambule )

أدب وثقافة عربيّة /Littérature et culture arabes / Arabic literature and culture: Ibn Arabi, poète de l'Amour divin ( Préambule ):
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mercredi 11 septembre 2013

UN APERÇU DE LA VIE D'IBN ARABI

Le père d'Ibn'Arabi, Ali Muhammad Ibn'Arabi, partit pour Bagdad à un âge avancé. Son vœu le plus cher était de laisser un fils derrière lui lorsqu'il mourrait. Il alla voir le grand cheikh Muhyiddin Abdul Qadir Jilani et lui demanda de prier DIEU de lui accorder le don d'un fils. Le cheikh se retira et entra dans une profonde contemplation. A son retour, il informa Ali ibn Muhammad : " J'ai contemplé le monde des secrets et il m' a été révélé que tu n'auras aucun descendant, aussi ne t'épuise pas à essayer."

Bien que découragé, le vieillard ne voulait pas renoncer. Il suppliait et insistait : " O Saint, DIEU exaucera certainement tes prières. Je te demande d'intervenir pour moi en cette affaire."
Le cheikh Abdul-Qadir Jilani se retira une fois encore et tomba dans une profonde contemplation. Après quelque temps il revint et dit que bien que Ali ibn Muhammad ne fût pas destiné à avoir de descendant, le saint était lui-même destiné à en avoir un. Le vieil homme aimerait-il avoir le fils du saint ?



Son visiteur accepta avec joie. Les deux hommes se mirent dos à dos, se tenant par les bras. Ali ibn Muhammad raconta plus tard cet épisode :

" Quand je me suis trouvé dos à dos avec le saint Abdul-Qadir Jilani, je sentis quelque chose de chaud descendre de mon cou jusqu'au creux de mes reins. Quelque temps plus tard il me vint un fils, que je nommai Muhyiddin, ainsi qu'Abdul-Qadir Jilani l'avait ordonné."

Le nom complet de Muhyiddin Ibn'Arabi était Abu-Bakr Muhyiddin ibn'Ali ibn Muhammad al-Hatimi al-Ta'i al-Andalusi. On lui a donné de nombreux titres : al-cheikh al-akbar, le plus grand des cheikhs, khatim al-awliya' al-Muhammad; al-cheikh al-a'zam, le cheikh exalté; qutb al-' arifin, l'Axe du vrai savoir; imam ul-munahiyuddin, le chef religieux des convertis; rahbar ul- ' alam, le Guide du monde; et bien d'autres encore. Dans son grand enseignement, Ibn Jawziya a commenté: " Ibn'Arabi était versé en  alchimie, et connaissait les secrets du plus grand Nom de DIEU, qui est caché dans le Coran." Le cheikh Sa'duddin Hamawi (1) a dit : " Muhyiddin est un océan de savoir qui n'a pas de rivages."

Muhyiddin Ibn'Arabi est né dans la ville de Murcie dans la province alors islamique d'Andalousie, en Espagne, le lundi 17 du mois saint du Ramadan de l'année 560 A.H. (le 28 juillet 1165). Son père était un soufi très renommé et respecté. Dans sa petite enfance, il fut reconnu et éduqué par deux saintes, Yasmin de Marchena et Fatima de Cordoba. A l'âge de huit ans, Ibn'Arabi et sa famille s'installèrent à Séville où il étudia avec Abu-Muhammad et ibn Bashkuwal, deux des plus grands théologiens et érudits en matière de Traditions Prophétiques de l'époque. Lorsque Ibn'Arabi eut dix-neuf ans, un ami de son père, le célèbre philosophe mystique Ibn Rushd (qu'on connaît en Occident sous le nom d'Averroès) exprima le désir de le rencontrer.
Très ému par le pouvoir intense qu'il ressentait rien qu'en échangeant quelques mots avec le jeune homme, l'érudit parla à son père en des termes qu'Ibn'Arabi rappelle de la façon suivante :

" Il remercia DIEU d'avoir pu rencontrer quelqu'un qui était entré en retraite spirituelle dans un état d'ignorance et l'avait quittée comme je l'avais fait. Il dit : " C'était un cas dont j'avais affirmé la possibilité sans rencontrer personne qui en eût fait l'expérience.
Gloire soit rendue à DIEU de ce que j'aie vécu à une époque où il existe un maître de cette expérience, l'un de ceux qui ouvrent les verrous de Ses portes. Gloire soit rendue à DIEU qui m'a accordé le don de voir l'un d'eux par moi-même".

Du fait que c'était la rumeur de "ce que DIEU avait révélé au jeune homme au cours de sa retraite spirituelle" qui avait attiré l'attention de d'Ibn Rushd, nous savons qu'Ibn'Arabi eut sa première expérience du sujet de ce livre, l'ascension mystique dans le khalwa, alors qu'il n'avait pas encore vingt ans. Il n'écrivit cependant pas Voyage vers le Maître de la Puissance avant que vingt autres années  aient passé.

En 1201, à l'âge de trente-six ans, Ibn'Arabi accomplit le Pèlerinage à la Mecque. A cette époque il priait DIEU de lui révéler tout ce qui allait survenir dans les mondes matériel et spirituel. DIEU, acceptant ce vœu, lui ouvrit le monde des secrets. Sur cette question, Ibn'Arabi déclara plus tard : " Je sais le nom et la généalogie de chaque qutb qui viendra jusqu'au Jour du Jugement. Mais puisque s'opposer à ce qui est écrit entraîne une destruction certaine, par compassion pour les générations à venir j'ai décidé de dissimiler ce savoir."

Après le Pèlerinage, Ibn'Arabi voyagea en Egypte, en Irak, à Damas, s'arrêta à Konya, en Turquie, où il rencontra Sadruddin Qunyawi, un jeune érudit soufi, dont il épousa la mère. Le jeune Sadruddin devint l'un de ses plus proches disciples, qu'il enrichit d'une grande connaissance matérielle et spirituelle.
Voyage vers le Maître de la Puissance, publié à Konya par l'auteur trois ans après son Pèlerinage, s'adressait probablement à ce saint homme.

En l'année 1223, Ibn'Arabi repartit pour Damas, où il rencontra, visiblement et invisiblement, de nombreux autres maîtres  soufis. C'est là qu'il passa le reste de sa vie. On pense qu'il est mort en 1240.

Ibn'Arabi fait mention de trois rencontres avec Khidr, le guide secret des soufis. Il relate leur première rencontre de la façon suivante :

" C'était au tout début de mon éducation. Mon cheikh, Abul-Hassan, attribuait de la connaissance à quelqu'un. De toute la journée je ne cessai pas d'exprimer mon désaccord. Lorsque je le quittai, en rentrant chez moi je rencontrai un être d'une grande beauté qui me fit signe et me dit : " Ce que t'a dit ton maître était exact - accepte-le." Je courus vers mon cheikh et lui racontai ce qui était arrivé. Il me dit qu'il avait prié afin que Khidr vienne à ma rencontre et confirme son enseignement. En entendant cela, je décidai une fois pour toutes de ne plus jamais entrer en désaccord avec lui."

De leur deuxième rencontre, il dit :

"... je me trouvais dans le port de Tunisie à bord d'un  bateau. Une nuit je ne  pus trouver le sommeil et montai faire une promenade sur le pont. Je contemplai une magnifique pleine lune, quand soudain je vis un grand homme à barbe blanche venir vers moi, marchant sur l'eau sur le flanc du bateau. J'étais stupéfait. Il vint juste devant moi et plaça son pied droit sur son pied gauche en guise de salutation. Je vis que ses pieds n'étaient pas mouillés. Il me salua, dit quelques mots, et se mit en route pour la ville de Bénares, qui se trouvait sur une colline voisine. A ma profonde stupeur il parcourait quatre kilomètres à chaque enjambée.
De loin je l'entendis chanter le Dhikr de sa belle voix. Le lendemain je me rendis en ville, où je rencontrai un cheikh qui me demanda comment s'était passée ma soirée avec Khidr, et de quoi nous avions conversé."

La troisième rencontre d'Ibn'Arabi et de Khidr, d'après une tradition, eut lieu dans une petite mosquée espagnole, sur les rives de l'Atlantique, où Ibn'Arabi faisait ses prières de midi,. Une personne qui l'accompagnait niait l'existence des miracles. Il y avait quelques autres voyageurs dans la mosquée. tout à coup il vit la même personne qu'il avait rencontrée précédemment en Tunisie. Le grand homme à barbe blanche alla chercher son tapis de prière en paille dans la niche, s'éleva de quatre mètres dans les airs, et fit sa prière de cette position. Plus tard il revint dire à Ibn'Arabi qu'il l'avait fait en guise de démonstration à l'intention du sceptique qui avait contesté l'existence de miracles.



Lorsque Muhyiddin Ibn'Arabi s'éleva au-dessus du niveau du cheikh Abul-Hassan al-Uryani, il écrit à son professeur une lettre qui disait : " Tourne-toi vers moi de tout ton cœur et pose-moi tes questions, et je tournerai vers toi de tout mon cœur et y répondrai."

Au bout de quelque temps il reçut une lettre de son professeur, qui disait :

" J'ai rêvé que tous les saints étaient réunis en cercle avec deux hommes au centre. L'un d'eux était Abul-Hassan ibn Siban. Je ne pouvais voir le visage du second. Puis j'entendis une voix disant que l'autre homme au centre était Andalou, et que l'un des deux serait le qutb de notre temps. Un verset du Coran fut chanté, les deux hommes se prosternèrent, et la voix dit : " Celui qui lèvera la tête le premier sera le qutb."  L'Andalou leva la tête le premier. Je posai à la voix une question sans lettres ni mots. La voix me répondit en soufflant dans ma direction. Ce souffle contenait la réponse à toutes mes questions. Tous les saints réunis en cercle et moi-même entrâmes en extase sous l'effet de ce souffle. Je regardai le visage de l'Andalou au centre du cercle.
C'était toi, O Muhyiddin Ibn'Arabi."

source: Voyage vers le Maître de la Puissance.




  1. (1191 ou 1198-1252 ou 1260) était l'un des douze héritiers du grand cheikh Najmuddin Kubra, et un célèbre soufi de son époque. Sadruddin Qunyawi, disciple d'Ibn'Arabi, assista à ses réunions quand il était adolescent. Le cheikh Hamawi était connu comme compositeur de poésie mystique et de textes soufis. On lui attribue de nombreux miracles. On dit que son  âme quitta un jour son corps pendant treize jours.

mercredi 4 septembre 2013

Voyage vers le Maître de la Puissance (introduction) - Ibn'Arabi

Introduction

par Le Cheikh Muzzafer Ozak al-Jerrahi

Ce traité, qui renferme des mystères Divins, est un guide édifiant pour ceux qui recherchent la vérité et la vision. Ceux qui désirent être intimes avec DIEU, qui déambulent dans les jardins à la recherche des boutons de rose du savoir, devraient lire ce livre et apprendre à "être". Du fait que l'auteur de cet ouvrage est Ibn'Arabi, quiconque feuillette ces pages conversera avec lui.

L'influence spirituelle miraculeuse de ce saint, en orient et occident, est éclatante. Il a enseigné le Tawhid, l'Unité, à l'humanité, et continuera à l'éclairer jusqu'au Jour du Jugement Dernier. Ses enseignements sur les merveilles de la création et sa connaissance miraculeuse - exprimés dans des œuvres telles que al-Futuhat al - Makkiyya (" Livre des conquêtes spirituelles de la Mecque"), Fusus al-Hikam (" Les germes des sagesses des prophètes"), et d'autres ouvrages dont on compte plus de 500 - témoignent de son importance.



Il avait autant d'ennemis que de fervents partisans, des bigots qui comme des chauves-souris étaient aveuglés par la lumière du Saint.
Certains se font les ennemis de ceux qu'ils ne connaissent pas, qu'ils ne peuvent connaître ni comprendre. Même ceux qui l'ont nommé al-Cheikh al-akbar (" Le plus grand Maître") étaient de ceux qui ne le comprenaient pas. Certains d'entre eux allaient jusqu'à le détester. Le Saint ne se contenta pas de pardonner à ces personnes faibles; il déclara qu'il intercéderait en leur faveur au Jour du Jugement, car il fallait les prendre en pitié de ce qu'elles n'aient pas su le comprendre. Certes, de même que l'orfèvre connaît la valeur de l'or, le sage connaît la valeur du savoir et l'homme parfait et omniscient pardonne aux ignorants leur indigence. Cette compassion est une preuve suffisante de la perfection du Saint.

Un jour, l'un des adversaires d'Ibn'Arabi tomba malade. Le cheikh alla lui rendre visite. Il frappa à la porte et pria  l'épouse du malade d'annoncer qu'il désirait présenter ses respects. La femme alla porter le message et s'en revint pour dire au cheikh que son mari ne souhaitait pas le voir. Le cheikh n'avait rien à faire dans cette maison, l'informa -t'-elle. Le lieu qui lui convenait était l'église. Le cheikh remercia la femme et déclara que puisqu'un homme bon comme son époux ne l'enverrait certainement pas en un mauvais lieu, il se conformerait à cette suggestion. Aussi après avoir prié pour la santé et le bien-être du malade, le cheikh s'en fut-il pour l'église.

Lorsqu'il arriva, il ôta ses chaussures, entra avec une humble courtoisie, et se dirigea lentement et sans bruit vers un coin, où il s'assit. Le prêtre était en train de délivrer un sermon qu'Ibn'Arabi écouta avec la plus extrême attention. Au cours de ce sermon, le cheikh eut le sentiment  que le prêtre avait calomnié Jésus en lui attribuant l'affirmation d'être le fils de DIEU. Le cheikh se leva et émit courtoisement une objection à cette déclaration. " O vénérable prêtre,  commença-t-il, le Saint Jésus n'a pas dit cela. Au contraire, il a annoncé la bonne nouvelle de l'arrivée du Prophète Ahmad (Mohammed, la paix et la bénédiction soient avec lui)."

Le prêtre nia que Jésus eût dit cela. Le débat se poursuivit interminablement. Pour finir le cheikh, indiquant l'image de Jésus sur le mur de l'église, dit au prêtre d'interroger Jésus lui-même. Il répondrait et déciderait une fois pour toutes. Le prêtre protesta avec véhémence, s'arguant du fait qu'une image ne pouvait répondre. " Cette image-ci le pourrait, insista le cheikh, car Dieu, qui fit parler Jésus alors qu'il n'était qu'un bébé dans les bras de la Sainte Vierge, était aussi capable de faire parler une image." La congrégation qui suivait le débat s'anima en entendant cela. Le prêtre fut contraint de se tourner vers l'image de Jésus et de s'adresser à elle : " O Fils de Dieu ! Montre-nous le chemin de la vérité. Dis-nous qui de nous deux est dans le vrai."
Par la volonté de DIEU, l'image parla et répondit : " Je ne suis pas le fils de Dieu, je suis son messager, et après moi est venu le dernier des prophètes, le Saint Ahmad; je vous l'ai annoncé, et je répète cette bonne nouvelle à présent."

Au vu de ce miracle, toute la congrégation accepta l'Islam et, avec à sa tête Ibn'Arabi, partit à la mosquée. Tandis qu'ils passaient devant la demeure du malade, on pouvait voir celui-ci, les yeux écarquillés de stupéfaction, regarder par la fenêtre ce curieux spectacle. Le saint s'arrêta, bénit et remercia l'homme qui l'avait insulté, disant qu'il fallait à lui aussi lui rendre louange du salut de toutes ces personnes.

Peu de gens comprirent le saint de son vivant. Un jour il gravit la montagne, à Damas où il prêchait, et dit : " Gens de Damas, le dieu que vous adorez est sous mes pieds."

En entendant ces mots, ils l'emprisonnèrent et s'apprêtèrent à le tuer. En fait, selon une tradition, lors de cet incident il fut martyrisé. D'après une autre tradition, un cheikh de cette époque, Abul-Hassan, l'amena à nuancer ses paroles et le sauva de la mort par le dialogue suivant :

" Comment a-t-on pu emprisonner quelqu'un, demanda-t-il à Ibn'Arabi, grâce auquel le monde des anges est venu au monde mortel ?

- Mes paroles furent prononcées, répondit le cheikh, dans l'ivresse de l'état que tu décris."

Pourtant les paroles et les œuvres d'Ibn'Arabi créèrent une réaction si violente en son temps qu'on détruisit sa tombe après sa mort sans en laisser une seule trace.

L'une de ses déclarations les plus énigmatiques fut : " Idha dakhala al-sin ila al-shin/yazhara gabru Muhyiddin." qui signifie : " Quand S entrera dans SH (les lettres sin et shin en arabe), la tombe de Muhyiddin sera découverte." Lorsque le neuvième sultan ottoman, Selim II, conquit Damas en 1516, il apprit cette déclaration de la bouche d'un érudit contemporain nommé Zembilli Ali Efendi, qui l’interprétait comme une prophétie signifiant : " Quand Selim (dont le nom commence par la lettre sin) entrera dans la cité de Sham (nom arabe de Damas, qui commence par la lettre shin) il découvrira la tombe d'Ibn'Arabi."  Alors le Sultan Selim découvrit grâce aux théologiens de la ville l'endroit où le Saint avait déclaré : " Le dieu que vous adorez est sous mes pieds", et le fit creuser. Il découvrit d'abord un trésor de pièces d'or, qui révélait ce que le Saint avait voulu dire. Et à proximité, il trouva la tombe de celui-ci. Avec le trésor, le Sultan Selim fit construire un magnifique mausolée, qui est aussi  une mosquée, sur le site de la tombe. Il se dresse encore aujourd'hui dans la ville de Damas, en un lieu qu'on appelle Salihiyya, sur les pentes de la montagne Qasiyun.

Muhibbudin al-Tabari (1) attribue l'histoire suivante à sa mère :

" Muhyiddin Ibn'Arabi était en train de délivrer un sermon à la Kaaba sur la signification de la Kaaba. En mon for intérieur, je n'étais pas d'accord avec son enseignement.
Cette nuit-là je vis le cheikh en rêve. Dans ce songe, Fakhruddin al-Razi, un des plus grands théologiens de l'époque, venait au Pèlerinage en grande pompe et en grand appareil, et marchait autour de la Kaaba. Ses yeux se posèrent sur un homme simple dans son habit de pèlerin, qui se trouvait-là, assis tranquillement. Il se dit lui-même : " L'insolence de cet homme, qui ne se lève pas en présence d'un grand personnage tel que moi !" Un peu plus tard, il alla prêcher à la Grande Mosquée de la Mecque. Toute la population de la ville sainte s'était rassemblée pour entendre les paroles de ce célèbre érudit qui était l'auteur de l'interprétation la plus importante du Coran. Fakhruddin al-Razi monta lentement à la chaire et commença : " O grande congrégation de Musulmans" et rien d'autre ne sortit de sa bouche. On aurait dit que tout le contenu de son esprit avait été effacé. Il se mit à transpirer d'embarras. Il s'excusa, disant qu'il ne se sentait pas bien, et quitta la chaire sans un mot.

Quand il arriva chez lui, il protesta et pria : " O Seigneur, qu'ai-je donc fait pour que tu me punisses en me plongeant dans un tel embarras ?" Cette nuit-là il lui fut montré en rêve l'homme auquel il avait en secret reproché de ne pas se tenir debout en sa présence. C'était Muhyiddin Ibn'Arabi. Pendant des jours et des jours il le chercha. Alors qu'il venait d'abandonner tout espoir de le trouver, on frappa à la porte, et Ibn'Arabi se trouva là, debout, devant-lui. Il demanda pardon, et son savoir lui fut rendu."

A une époque récente se produisit le cas d'un autre érudit, Ibrahim Haleri, l'imam de la mosquée Fatih d'Istamboul, homme extrêmement orthodoxe qui s'opposait aux enseignements religieux d'Ibn'Arabi. Un jour, lors d'une discussion passionnée avec des gens qui défendaient le Cheikh, il tapa du pied en disant : " Si j'avais été là, je lui aurais écrasé la tête comme ça !" Ce faisant, il marcha sur un clou énorme. La blessure ne guérit jamais, et provoqua sa mort. (La mosquée Fatih a un sol de pierre, et non un plancher.)

Selon une tradition orale, un jour à Damas Ibn'Arabi vit un beau jeune garçon juif. Alors qu'il le regardait, le garçon vint vers lui et l'appela "père". A partir de ce jour le garçon ne le quitta plus. Son père le chercha, le trouva avec le Cheikh, et voulut le ramener avec lui.
Le garçon ne le reconnut pas et affirma que le Cheikh était son père. Celui-ci, stupéfié, dit au Cheikh qu'il pouvait lui présenter des centaines de témoins pour prouver que le garçon était bien son fils. Le Cheikh répondit : " Si le garçon affirme que je suis son père, alors je suis son père." Le père se rendit au tribunal pour réclamer son enfant, et présenta des centaines de témoins. Lorsque le juge demanda au Cheikh si l'enfant était bien de lui, le Cheikh exigea qu'on pose la question au garçon. Celui-ci déclara que le Cheikh était son père. Alors le Cheikh demanda aux témoins si cet enfant juif avait appris le Coran. Ils répondirent : " Comment un enfant juif pourrait-il avoir  apprendre le Coran ?" Le juge demanda au garçon de réciter le Coran, ce qu'il fit avec une grande beauté. Alors le Cheikh demanda aux témoins si l'enfant connaissait les traditions du Prophète Mohammed. Ils répondirent : " Comment un enfant juif pourrait-il connaître une telle science, qui ne correspond pas à son mode de vie ?" Le juge interrogea minutieusement le garçon au sujet des traditions prophétiques. L'enfant répondit à chacune de ses questions correctement et de manière complète. Les juifs qui comprirent ce miracle acceptèrent l'Islam.

L'histoire qui suit est incluse vers la fin de Futuha al-Makkiya : dans l'atmosphère orthodoxe d'une école de droit canon, un professeur enseignait la racine du mot qui signifie "hérétique" (zindiq). Certains étudiants malicieux se demandèrent si cela ne venait pas du mot zenuddin, qui veut dire "femme religieuse". Un autre étudiant dit "Zindiq est quelqu'un comme Muhyiddin Ibn'Arabi...
N'est-ce-pas, Maître ?" Le professeur répondit brièvement "oui".

C'était le Ramadan, le mois de jeûne, et le professeur avait invité les étudiants chez lui pour rompre le jeûne en sa compagnie. Assis en attendant le début du repas, les mêmes étudiants malicieux taquinèrent leur maître : " Si tu ne peux pas nous révéler le nom  du plus grand saint de notre époque, nous ne romprons pas le jeûne avec ta nourriture." Le professeur répondit que le plus grand Cheikh de tous les temps était Muhyiddin Ibn'Arabi.
Les étudiants protestèrent, disant que plus tôt à l'école, quand ils avaient donné Ibn'Arabi comme exemple d'hérétique, il avait approuvé. Et voilà qu'il affirmait que le Cheikh était le plus grand saint de tous ceux de leur époque ! Le professeur répondit, l'ombre d'un sourire aux lèvres : " A l'école nous nous trouvons entre gens d'orthodoxie, des érudits et des légistes; ici nous sommes entre gens d'amour."





source: Voyage vers le Maître de la Puissance (Ibn'Arabi)







  1. (1218-1195), juriste et traditionaliste de la Mecque, auteur d'une série très connue de hadith et dont 216 œuvres ont survécu.