mercredi 4 septembre 2013

Voyage vers le Maître de la Puissance (introduction) - Ibn'Arabi

Introduction

par Le Cheikh Muzzafer Ozak al-Jerrahi

Ce traité, qui renferme des mystères Divins, est un guide édifiant pour ceux qui recherchent la vérité et la vision. Ceux qui désirent être intimes avec DIEU, qui déambulent dans les jardins à la recherche des boutons de rose du savoir, devraient lire ce livre et apprendre à "être". Du fait que l'auteur de cet ouvrage est Ibn'Arabi, quiconque feuillette ces pages conversera avec lui.

L'influence spirituelle miraculeuse de ce saint, en orient et occident, est éclatante. Il a enseigné le Tawhid, l'Unité, à l'humanité, et continuera à l'éclairer jusqu'au Jour du Jugement Dernier. Ses enseignements sur les merveilles de la création et sa connaissance miraculeuse - exprimés dans des œuvres telles que al-Futuhat al - Makkiyya (" Livre des conquêtes spirituelles de la Mecque"), Fusus al-Hikam (" Les germes des sagesses des prophètes"), et d'autres ouvrages dont on compte plus de 500 - témoignent de son importance.



Il avait autant d'ennemis que de fervents partisans, des bigots qui comme des chauves-souris étaient aveuglés par la lumière du Saint.
Certains se font les ennemis de ceux qu'ils ne connaissent pas, qu'ils ne peuvent connaître ni comprendre. Même ceux qui l'ont nommé al-Cheikh al-akbar (" Le plus grand Maître") étaient de ceux qui ne le comprenaient pas. Certains d'entre eux allaient jusqu'à le détester. Le Saint ne se contenta pas de pardonner à ces personnes faibles; il déclara qu'il intercéderait en leur faveur au Jour du Jugement, car il fallait les prendre en pitié de ce qu'elles n'aient pas su le comprendre. Certes, de même que l'orfèvre connaît la valeur de l'or, le sage connaît la valeur du savoir et l'homme parfait et omniscient pardonne aux ignorants leur indigence. Cette compassion est une preuve suffisante de la perfection du Saint.

Un jour, l'un des adversaires d'Ibn'Arabi tomba malade. Le cheikh alla lui rendre visite. Il frappa à la porte et pria  l'épouse du malade d'annoncer qu'il désirait présenter ses respects. La femme alla porter le message et s'en revint pour dire au cheikh que son mari ne souhaitait pas le voir. Le cheikh n'avait rien à faire dans cette maison, l'informa -t'-elle. Le lieu qui lui convenait était l'église. Le cheikh remercia la femme et déclara que puisqu'un homme bon comme son époux ne l'enverrait certainement pas en un mauvais lieu, il se conformerait à cette suggestion. Aussi après avoir prié pour la santé et le bien-être du malade, le cheikh s'en fut-il pour l'église.

Lorsqu'il arriva, il ôta ses chaussures, entra avec une humble courtoisie, et se dirigea lentement et sans bruit vers un coin, où il s'assit. Le prêtre était en train de délivrer un sermon qu'Ibn'Arabi écouta avec la plus extrême attention. Au cours de ce sermon, le cheikh eut le sentiment  que le prêtre avait calomnié Jésus en lui attribuant l'affirmation d'être le fils de DIEU. Le cheikh se leva et émit courtoisement une objection à cette déclaration. " O vénérable prêtre,  commença-t-il, le Saint Jésus n'a pas dit cela. Au contraire, il a annoncé la bonne nouvelle de l'arrivée du Prophète Ahmad (Mohammed, la paix et la bénédiction soient avec lui)."

Le prêtre nia que Jésus eût dit cela. Le débat se poursuivit interminablement. Pour finir le cheikh, indiquant l'image de Jésus sur le mur de l'église, dit au prêtre d'interroger Jésus lui-même. Il répondrait et déciderait une fois pour toutes. Le prêtre protesta avec véhémence, s'arguant du fait qu'une image ne pouvait répondre. " Cette image-ci le pourrait, insista le cheikh, car Dieu, qui fit parler Jésus alors qu'il n'était qu'un bébé dans les bras de la Sainte Vierge, était aussi capable de faire parler une image." La congrégation qui suivait le débat s'anima en entendant cela. Le prêtre fut contraint de se tourner vers l'image de Jésus et de s'adresser à elle : " O Fils de Dieu ! Montre-nous le chemin de la vérité. Dis-nous qui de nous deux est dans le vrai."
Par la volonté de DIEU, l'image parla et répondit : " Je ne suis pas le fils de Dieu, je suis son messager, et après moi est venu le dernier des prophètes, le Saint Ahmad; je vous l'ai annoncé, et je répète cette bonne nouvelle à présent."

Au vu de ce miracle, toute la congrégation accepta l'Islam et, avec à sa tête Ibn'Arabi, partit à la mosquée. Tandis qu'ils passaient devant la demeure du malade, on pouvait voir celui-ci, les yeux écarquillés de stupéfaction, regarder par la fenêtre ce curieux spectacle. Le saint s'arrêta, bénit et remercia l'homme qui l'avait insulté, disant qu'il fallait à lui aussi lui rendre louange du salut de toutes ces personnes.

Peu de gens comprirent le saint de son vivant. Un jour il gravit la montagne, à Damas où il prêchait, et dit : " Gens de Damas, le dieu que vous adorez est sous mes pieds."

En entendant ces mots, ils l'emprisonnèrent et s'apprêtèrent à le tuer. En fait, selon une tradition, lors de cet incident il fut martyrisé. D'après une autre tradition, un cheikh de cette époque, Abul-Hassan, l'amena à nuancer ses paroles et le sauva de la mort par le dialogue suivant :

" Comment a-t-on pu emprisonner quelqu'un, demanda-t-il à Ibn'Arabi, grâce auquel le monde des anges est venu au monde mortel ?

- Mes paroles furent prononcées, répondit le cheikh, dans l'ivresse de l'état que tu décris."

Pourtant les paroles et les œuvres d'Ibn'Arabi créèrent une réaction si violente en son temps qu'on détruisit sa tombe après sa mort sans en laisser une seule trace.

L'une de ses déclarations les plus énigmatiques fut : " Idha dakhala al-sin ila al-shin/yazhara gabru Muhyiddin." qui signifie : " Quand S entrera dans SH (les lettres sin et shin en arabe), la tombe de Muhyiddin sera découverte." Lorsque le neuvième sultan ottoman, Selim II, conquit Damas en 1516, il apprit cette déclaration de la bouche d'un érudit contemporain nommé Zembilli Ali Efendi, qui l’interprétait comme une prophétie signifiant : " Quand Selim (dont le nom commence par la lettre sin) entrera dans la cité de Sham (nom arabe de Damas, qui commence par la lettre shin) il découvrira la tombe d'Ibn'Arabi."  Alors le Sultan Selim découvrit grâce aux théologiens de la ville l'endroit où le Saint avait déclaré : " Le dieu que vous adorez est sous mes pieds", et le fit creuser. Il découvrit d'abord un trésor de pièces d'or, qui révélait ce que le Saint avait voulu dire. Et à proximité, il trouva la tombe de celui-ci. Avec le trésor, le Sultan Selim fit construire un magnifique mausolée, qui est aussi  une mosquée, sur le site de la tombe. Il se dresse encore aujourd'hui dans la ville de Damas, en un lieu qu'on appelle Salihiyya, sur les pentes de la montagne Qasiyun.

Muhibbudin al-Tabari (1) attribue l'histoire suivante à sa mère :

" Muhyiddin Ibn'Arabi était en train de délivrer un sermon à la Kaaba sur la signification de la Kaaba. En mon for intérieur, je n'étais pas d'accord avec son enseignement.
Cette nuit-là je vis le cheikh en rêve. Dans ce songe, Fakhruddin al-Razi, un des plus grands théologiens de l'époque, venait au Pèlerinage en grande pompe et en grand appareil, et marchait autour de la Kaaba. Ses yeux se posèrent sur un homme simple dans son habit de pèlerin, qui se trouvait-là, assis tranquillement. Il se dit lui-même : " L'insolence de cet homme, qui ne se lève pas en présence d'un grand personnage tel que moi !" Un peu plus tard, il alla prêcher à la Grande Mosquée de la Mecque. Toute la population de la ville sainte s'était rassemblée pour entendre les paroles de ce célèbre érudit qui était l'auteur de l'interprétation la plus importante du Coran. Fakhruddin al-Razi monta lentement à la chaire et commença : " O grande congrégation de Musulmans" et rien d'autre ne sortit de sa bouche. On aurait dit que tout le contenu de son esprit avait été effacé. Il se mit à transpirer d'embarras. Il s'excusa, disant qu'il ne se sentait pas bien, et quitta la chaire sans un mot.

Quand il arriva chez lui, il protesta et pria : " O Seigneur, qu'ai-je donc fait pour que tu me punisses en me plongeant dans un tel embarras ?" Cette nuit-là il lui fut montré en rêve l'homme auquel il avait en secret reproché de ne pas se tenir debout en sa présence. C'était Muhyiddin Ibn'Arabi. Pendant des jours et des jours il le chercha. Alors qu'il venait d'abandonner tout espoir de le trouver, on frappa à la porte, et Ibn'Arabi se trouva là, debout, devant-lui. Il demanda pardon, et son savoir lui fut rendu."

A une époque récente se produisit le cas d'un autre érudit, Ibrahim Haleri, l'imam de la mosquée Fatih d'Istamboul, homme extrêmement orthodoxe qui s'opposait aux enseignements religieux d'Ibn'Arabi. Un jour, lors d'une discussion passionnée avec des gens qui défendaient le Cheikh, il tapa du pied en disant : " Si j'avais été là, je lui aurais écrasé la tête comme ça !" Ce faisant, il marcha sur un clou énorme. La blessure ne guérit jamais, et provoqua sa mort. (La mosquée Fatih a un sol de pierre, et non un plancher.)

Selon une tradition orale, un jour à Damas Ibn'Arabi vit un beau jeune garçon juif. Alors qu'il le regardait, le garçon vint vers lui et l'appela "père". A partir de ce jour le garçon ne le quitta plus. Son père le chercha, le trouva avec le Cheikh, et voulut le ramener avec lui.
Le garçon ne le reconnut pas et affirma que le Cheikh était son père. Celui-ci, stupéfié, dit au Cheikh qu'il pouvait lui présenter des centaines de témoins pour prouver que le garçon était bien son fils. Le Cheikh répondit : " Si le garçon affirme que je suis son père, alors je suis son père." Le père se rendit au tribunal pour réclamer son enfant, et présenta des centaines de témoins. Lorsque le juge demanda au Cheikh si l'enfant était bien de lui, le Cheikh exigea qu'on pose la question au garçon. Celui-ci déclara que le Cheikh était son père. Alors le Cheikh demanda aux témoins si cet enfant juif avait appris le Coran. Ils répondirent : " Comment un enfant juif pourrait-il avoir  apprendre le Coran ?" Le juge demanda au garçon de réciter le Coran, ce qu'il fit avec une grande beauté. Alors le Cheikh demanda aux témoins si l'enfant connaissait les traditions du Prophète Mohammed. Ils répondirent : " Comment un enfant juif pourrait-il connaître une telle science, qui ne correspond pas à son mode de vie ?" Le juge interrogea minutieusement le garçon au sujet des traditions prophétiques. L'enfant répondit à chacune de ses questions correctement et de manière complète. Les juifs qui comprirent ce miracle acceptèrent l'Islam.

L'histoire qui suit est incluse vers la fin de Futuha al-Makkiya : dans l'atmosphère orthodoxe d'une école de droit canon, un professeur enseignait la racine du mot qui signifie "hérétique" (zindiq). Certains étudiants malicieux se demandèrent si cela ne venait pas du mot zenuddin, qui veut dire "femme religieuse". Un autre étudiant dit "Zindiq est quelqu'un comme Muhyiddin Ibn'Arabi...
N'est-ce-pas, Maître ?" Le professeur répondit brièvement "oui".

C'était le Ramadan, le mois de jeûne, et le professeur avait invité les étudiants chez lui pour rompre le jeûne en sa compagnie. Assis en attendant le début du repas, les mêmes étudiants malicieux taquinèrent leur maître : " Si tu ne peux pas nous révéler le nom  du plus grand saint de notre époque, nous ne romprons pas le jeûne avec ta nourriture." Le professeur répondit que le plus grand Cheikh de tous les temps était Muhyiddin Ibn'Arabi.
Les étudiants protestèrent, disant que plus tôt à l'école, quand ils avaient donné Ibn'Arabi comme exemple d'hérétique, il avait approuvé. Et voilà qu'il affirmait que le Cheikh était le plus grand saint de tous ceux de leur époque ! Le professeur répondit, l'ombre d'un sourire aux lèvres : " A l'école nous nous trouvons entre gens d'orthodoxie, des érudits et des légistes; ici nous sommes entre gens d'amour."





source: Voyage vers le Maître de la Puissance (Ibn'Arabi)







  1. (1218-1195), juriste et traditionaliste de la Mecque, auteur d'une série très connue de hadith et dont 216 œuvres ont survécu.

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