dimanche 30 juin 2013

LE LIVRE DE L'EXTINCTION DANS LA CONTEMPLATION 3ème partie - IBN'ARABI

ALLAH à dit : "Ceux-là, Il a inscrit dans leurs cœurs la Foi (al-Imân)" (Coran 58, 22). Mais le cœur à deux "faces" l'une extérieure, l'autre intérieure. La face intérieure ne comporte pas l' "effacement" (al-mahw), elle est pure et sûre "fermeté" (ithbât). La face extérieure, par contre, comporte l'effacement : c'est proprement "la Tablette de l'Effacement et de l'Etablissement"; un temps, Allâh y établit une certaine chose, ensuite "Il efface ce qu'Il veut, et établit (une autre chose qu'Il veut), et chez Lui se trouve la Mère du livre (Ummu-l-Kitâb)" (Cor. 13, 39)

Si l'homme attaché au "Livre" avait la foi dans la totalité de son livre, il ne s'égarerait jamais, mais lorsqu'il croit en une partie du livre et ne croit pas en l'autre partie, il est mécréant pour de vrai (al-kâfiru haqqan), car Allâh a dit : "Ils disent : " Nous croyons en une partie du livre et ne croyons pas en l'autre ! Et ils cherchent à se trouver une voie intermédiaire. Ceux-là sont les mécréants pour de vrai". (cor. 4, 150-151). Or "les mécréants d'entre les gens du livre sont les "littéralistes" (ashâbu-r-rusûm) et la plupart des "gens de spéculation rationnelle" d'entre les philosophes et les théologiens, qui reconnaissent une partie seulement de ce que les Saints d'Allâh (Awliya'uLLâh) apportent en conséquence de ce qu'ils ont réalisé en fait de stases spirituelles (mawâ jîd) et de secrets (asrâr) qu'ils ont contemplés et trouvés. Ce qui s'en accorde avec leurs propres opinions et connaissances, ces littéralistes et ces spéculatifs l'acceptent comme vrai et ce qui ne s'en accorde pas, ils le repoussent et le contestent, en déclarant : "Ceci est faux en raison de son désaccord avec notre preuve à nous !" Or il se peut que la "preuve" de ces pauvres ne jouisse pas de parfaites assises, alors qu'ils se l'imaginent parfaitement établie.
Dans ces conditions ne vaudrait-il pas mieux s'abstenir de s'occuper de la parole en question et de la  laisser à la responsabilité de son auteur, sans d'ailleurs que cela implique qu'on la reconnaisse comme vraie ? S'ils procédaient ainsi ils recueilleraient le fruit de la non-ingérence. 


Moi, par Allâh, je crains beaucoup pour ceux qui contredisent les Gens de notre Ordre (at-Tâ'ifa) ! L'un d'entre eux (vraisemblablement Ru'aym) a dit : " Celui qui siège avec eux - c'est à dire avec les Connaissants des réalités essentielles d'entre les Soufis - et les contredit en quelque chose qu'ils ont réalisé sûrement (mimmâ yatahaqqaqûna bihi), Allâh lui enlève du cœur la Lumière de la foi !" L'un des gens de spéculation rationnelle qui avait des prétentions à la sagesse vint poser une question à l'un des Muhaqqiqûn. J'étais présent, et les disciples de celui-ci assis. Le Muhaqqiq commença à traiter de la question posée. Le dialecticien dit : " Ceci n'est pas une chose valable selon moi. Explique-moi, peut-être suis-je dans l'erreur". Le Muhaqqiq vit que sa parole serait vaine et se tut, devant la contradiction et l'hostilité rencontrée, car les êtres de cette condition n'acceptent pas des situations pareilles en raison de l'impolitesse ainsi que de la privation de baraka qui en résulte. C'est ainsi que le Prophète - qu'Allâh prie sur lui et le salue ! - a dit ses Compagnons qui se trouvaient chez lui, et entre lesquels venait de se produire une contestation : " Chez moi, la contestation est inadmissible !" Une autre fois, il avait dit : " On me faisait voir la Nuit du Destin (Laylatu-l-Qadr), mais à ce moment-là deux hommes se disputaient (à côté de moi), et la "Nuit" fut enlevée". La voie de dévoilement et de contemplation n'admet pas qu'on contredise et réfute celui qui parle au nom de celle-ci. Un tel sacrilège se retourne contre le contestateur, alors que l'homme de réalisation reste heureux avec ce qu'il connaît. - Un des disciples de ce Cheikh se releva et dit à l'importun : "Le point dont parlait notre maître d'une façon si claire est certain, même si je ne puis en donner moi-même l'explication". Le juriste (al-faqîh) répliqua : " Une bonne parole, exprimée dans une bonne forme, les intelligences peuvent la recevoir dès le premier moment. Si, quand on l'examine avec la pierre de touche de la logique, et qu'on la sonde avec les preuves existantes, elle s'en va sans consistance, c'est qu'elle est purement fausse, comme cette question qu'a exposée notre maître tout à l'heure". Le Cheikh ne parla plus de cette question, le spéculatif n'ayant pas compris ce qu'il avait formulé et ce que sa langue avait exprimé. Ce fut pour le Muhaqqiq une instruction au sujet de ce qu'il y avait dans l'âme de ce spéculatif, et il vit qu'il convenait de s'abstenir de parler avec lui de ce genre de choses.

Ensuite, sache que la Foi appuyée sur les œuvres vertueuses se tient dans la Main de la Présence Très-Sainte (al-Hadratu-l-Muqaddasa), et pendant qu'elle s'y applique à sa tâche, elle voit jaillir entre les Doigts de cette Main les rivières des sciences et des connaissances, des règles de sagesse et des secrets, et elle voit ce que détient cette Main pour les compagnons des stations initiatiques muhammadiennes. C'est de là que se nourrit la spiritualité (rûhâniyya) du résident au niveau de cette Présence qui est une des quatre Présences fondamentales, car les résidents des différentes Présences sont tous associés (quoi qu’à des degrés différents) à cette Station Sanctissime  (à laquelle ils puisent les grâces correspondantes).

La première est la susmentionnée Présence de l'Application à la Table (Hadratu-l-Iqâma);
La deuxième est la Présence de l'Intellect (Hadratu-l-'Aql);
La troisième est la Présence de l'Homme (Hadratu-l-Insân) qui est la plus complète sous le rapport existentiel (Wujûdan).

Quand le serviteur accède à la Hadratu-l-Iqâma, il boit à la rivière de la Permanence (nahru-d-Daymûmiyya), et la  résidence à cette "présence" lui confère le maqâm de la "crainte du Seigneur", la crainte sous le rapport spécial du nom Divin "Le Seigneur", (ar-Ridâ'u-l-ilâhî), car pour ce qui est du maqâm de la "crainte de DIEU" sous le rapport du nom Suprême "ALLAH", celui-ci lui résulte d'une autre "présence" différente de celle dont il est question ici, et qui sera traitée parmi les Demeures Initiatiques exposées dans nos "Révélations de la Mecque" (al-Futûhâtu-l-Makkiya). Nous y parlerons également de la "crainte du Soi" sous le rapport du Pronom Divin Huwa = Lui), dont nous ne pouvons traiter ici.



La Demeure initiatique dont nous avons parlé dans le présent écrit inclut les "Demeures de l'Extinction et du lever des Soleils" : c'est à cette Demeure que correspond le degré de l'Ihsân (l'Accomplissement parfait de l'adoration). Il s'agit de l'Ihsân par lequel "Lui te voit" non de celui par lequel "tu Le vois", l'Ange Gabriel - sur lui le salut ! - avait demandé au Prophète - qu'Allâh prie sur lui et le salue ! - " Qu'est ce que l'Ihsân ?" Il répondit : " Que tu adores (ou serves) Allâh comme si tu Le voyais (1er Ihsân dont il ne sera plus question ici); car si tu ne Le vois pas, Lui te voit (2ème Ihsân qu'il s'agira seulement d'interpréter d'une façon spéciale) : cette dernière phrase comporte une acception à l'intention des Gens qui saisissent les significations subtiles (Ahlu-l-Ishârât), car découpée ainsi : fa-in lam takun: tarâ-H, elle signifie : "si tu n'es pas : tu Le vois (effectivement)", ce qui revient au sens : " Sa vision n'a lieu que par ton extinction à toi-même".

L'alif du mot tarâ-H (représenté dans la transcription par le seul accent circonflexe) a été maintenu (car, dans la phrase découpée comme on le propose, on devrait avoir, compte tenu de la règle de l'attraction modale, tara-H, sans l'alif), afin que la vision (ar-ru'ya) s'appuie sur lui : si l'alif avait été retranché, la "vision" n'aurait pas été possible, car la lettre l (= H de tarâ-H) est un symbole de ce qui est "absent", et l'absent n'est pas vu: en retranchant l'alif, on devrait "voir sans vision", ce qui est une idée contradictoire.
Telle est la raison de son maintien.

Quand à la sagesse qui a présidé à la présence du dans tarâ-H (car la phrase aurait pu être : fa-in lam takun: tarâ = "si tu n'es pas: tu vois"), c'est qu'on voulait signifier: "Lorsque tu vois" par l'existence de l'alif, tu ne peux dire : " J'ai enveloppé (tout) (ahattu) !" car Allâh est trop majestueux et trop glorieux pour être "enveloppé"; alors le H (= Lui), qui est pronom de ce qui t'échappe (ou de ce qui reste "absent" pour toi) en fait de Réalité du Vrai, lors de la Vision, se tient là pour te prouver l'irréalité de l'Enveloppement (al-Ihâ. ta).

C'est ALLAH qui est le Guide. Pas de Seigneur autre que Lui.
Ici finit ce qui nous fut destiné à rapporter au sujet de cette Demeure initiatique.
Le Livre est fini dans la louange du Roi Donateur.


source : Le livre de l'extinction dans la contemplation (Kitab al fana' fi al muchahada)

                                                                                 Le Cheikh al Akbar, Muhi-Din Ibn ' Arabi.

mercredi 26 juin 2013

LE LIVRE DE L'EXTINCTION DANS LA CONTEMPLATION (2ème partie)-IBN'ARABI

...
Le propos Divin a apporté dans la langue la plus sainte la notion de "Pureté adorative"(al-Ikhlas) :
celui qui purifie son adoration en l'affranchissant du pouvoir de l'idée de "rétribution", étant ainsi de conception "hanifienne" et de voie directe, celui-là s'acquitte du devoir de conformité au commandement et appartient au "monde de la lumière" (âlamu-n-Nûr), et non pas au "monde du salaire" (alamul-Ajr).

" Allâh est la Lumière des Cieux et de la Terre" (coran 24, 35).
" Ils auront aussi bien leur salaire que leur lumière" (coran 66, 8).
" Leur Lumière court devant eux" (coran 57, 12).
" La Lumière leur dit : " Je suis votre Seigneur !" et ils  la suivent.

Les Muhaqqiqûn (les connaissants Compétents) ont abandonné le salaire chez Allâh; il ne leur est pas possible de Lui réclamer car le temps leur fait défaut, tant ils sont préoccupés de Lui - qu'Il soit exalté ! - Celui qui laisse lui échapper son lot concernant Allâh Lui-Même, celui-là est le perdant. Les œuvres  qui sont les moyens par lesquels on s'acquitte des obligations et de ce qui est proposé par la tradition prophétique, attirent par leur simple existence la récompense : ne te soucie pas donc pas de celle-ci. Les mouvements des corps auront nécessairement leurs fruits sensibles : ne demande donc pas ce que les mouvements comportent par eux-mêmes, car tu gaspilles inutilement ton temps. Allâh - qu'Il soit glorifié ! - a dit au sujet de Soi-Même : " Il est chaque jour à une Oeuvre" (coran 55, 29), or le "jour" est l'unité de temps, et l' "oeuvre du jour" en ce qui te concerne fut existenciée pour toi, non pas pour Allâh, car Il n'a pas de "besoins", et rien ne peut Lui revenir de la part de Ses créatures qu'Il n'ait de  Lui-même. Ce qu'Il crée, c'est pour toi qu'Il le crée; tiens-toi donc ici en relation de correspondance avec Lui et occupe-toi, de ton côté, de Lui. Sois toi-même chaque jour à l'oeuvre pour ton Seigneur, tout comme Lui est à l'oeuvre pour toi. En vérité, " Il ne t'a créé que pour que tu L'adores", et pour que tu te réalises par Lui, non pas que tu te soucies de ce qui est autre que Lui. Ce qui est autre que toi et autre que Lui est cependant un don qui doit te parvenir. Allâh a dit au sujet de Soi-Même : " Je ne leur demande pas des vivres ! Je ne demande pas qu'ils me nourrissent ! C'est Allâh, celui qui donne les vivres !" (coran 51, 57-58). Et s'Il te dit : "Prends !", réponds : " C'est à Toi de prendre !" S'Il te dit ; "Retourne !", réponds : " De Toi vers Toi". S'Il te demande "comment, lorsque Je te dis : "Prends !" me réponds-tu : " C'est à Toi de prendre !", alors que Moi Je n'ai pas à prendre pour Moi ?", réponds-Lui : " De même, moi en vérité, je ne saurais "prendre", car la prise est un acte, et moi je n'ai pas d' "acte". C'est Toi Celui qui prend, car c'est Toi l'Agent (al-Fâ il). Prends Toi-Même pour moi ce que Tu me donnes, et ne me dis pas : " Prends, toi (créature) qui ne peut prendre !", car si Tu me parles ainsi, par l'idée de Toi Tu mets un voile sur moi. Je ne puis rien prendre; comme Tu n'es pas à moi, et que je n'ai aucun pouvoir de prise, si je tâchais de prendre, j'obtiendrais le néant, ce qui est le pire des maux ! Sinon... mais je demande plutôt à être exempté et pardonné de cet entretien dangereux, ô Celui qui saisit et n'est pas saisi, qui possède et n'est pas possédé !"




Il peut arriver que dans l'un de ces "lieux" (mawâtin) on te présente la Religion Droite instituée d'autorité par un organe prophétique, voie d'élection et de pureté et la religion non-droite, sapientale, mélangée, spéculative et intellectuelle, tu discerneras entre les deux voies, et tu considéreras la fin ultime de chacune d'elles, qui est le Vrai (al-Haqq) - exalté soit-Il ! -, selon ce qui fait ton bonheur et non le malheur. Prends alors la voie de la Religion d'élection et pureté, de mode prophétique, car elle est plus élevée et plus profitable. Bien que l'autre soit d'une très haute luminosité (rafi u-l-manâr), et qu'elle soit également "vraie" selon un aspect, cependant  sa trace s’efface du fait de l'existence de la voie prophétique. Si le fondateur d'une voie sapientale était maintenant du monde des vivants et présents, il rejoindrai peut-être  lui-même la Religion d'élection prophétique. Nous voyons déjà que la "Religion d'élection" elle-même (formulée par les Prophétiques antérieurs) peut être ramenée à un égard ou à plusieurs égards à la "Religion d'élection et pureté" par l'effet des abrogations (que la Loi de cette dernière, la muhammadienne, a apportées à l'égard des lois religieuses antérieures).

N'est-il pas vrai que les législations (ash-sharâ'i, sing. ash-shâria) sur lesquelles reposaient les communautés religieuses antérieures, comme celles de Moïse et de Jésus - sur eux le salut ! - ont été, à certains égards, abrogées par la Loi de Mohammed - qu'Allâh prie sur lui et le salue ! - Le prophète a même dit : " Si Moïse était vivant, il ne pourrait faire autrement que de me suivre". A plus forte raison en sera - t- il ainsi de la législation sapientale qui procède de l' "initiative personnelle" (ibtidâ î) et qui est de mode spéculative (fikrî), car elle plus propre à être "enlevée", bien qu'elle aussi soit "vraie" selon un aspect, ainsi que nous l'avons dit.

Enfin, sache que le plus  misérable des êtres est celui qui a un "livre" et qui s'égare "en suivant ses  passions", quoiqu'il ait une foi dans son livre. Mais ici il y' a un point que je désire élucider, car on l'a peu relevé, et il est possible que certains s'y soient trompés quand ils ont examiné cette question sous le rapport de la "possibilité (d'exister ou de ne pas exister) de ce qui se trouve à l'état de potentialité" (al jawâzu-l-imkânî); l'état existenciel (al-wujûd) s'établissant sur l'une des deux solutions de l'alternative qui conditionne l'être possible (al-mumkin), il n' y a plus moyen de faire revenir l'être existencié (à l'état de simple possibilité indifférente).  Il en est effectivement de même lorsque le Vrai - qu'Il soit exalté ! - se révèle à une chose, car alors Il ne se voile plus jamais à elle, et également quand Il "inscrit" (kataba) la foi dans un cœur, Il ne l’efface plus. Or si quelqu'un dit : " Il s'est caché à moi après qu'Il s'est révélé", c'est qu'Allâh ne s'est aucunement révélé à lui, mais qu'Il lui a seulement montré quelque clarté; celui-ci a cru pouvoir dire alors : "C'est Lui !" (Huwa Huwa). Ensuite, comme l'être créé n'a aucune stabilité dans un état, lorsque l'état change, il dit qu'il y'a "voile" (hi jâb). Or, de même, l' "inscription" de la Foi et l'attribution des "Signes" (al-Âyat) et des "Évidences" (al-Bayyinât) ne cessent jamais lorsqu'elles sont des dons faits "dans les cœurs", et que dans ces cœurs se dressent les Témoins de réalisation. Si des choses qui ressemblent à ces réalités viennent à être retirées à quelqu'un, sache que ces choses n'avaient pas été "inscrites" dans la Table (al-Lawh) de son coeur, et l'être ne les "enveloppait" pas, mais était "enveloppé" par elles comme par un manteau; cet être n'avait reçu leurs "réalités" mêmes; de tels dons peuvent être repris et ils peuvent donc cesser. C'est ainsi qu'Allâh a mentionné : "Récite - leur l'affaire de celui auquel  Nous avons donné Nos signes et qui s'en est dépouillé" (coran 7, 174). Les paroles "s'en est dépouillé" expriment un fait analogue à l'enlèvement de l'habit par l'homme ou à l'abandon par le serpent de sa vieille peau. Les signes en question étaient comme un habit sur le personnage (anonyme auquel se rapporte la mention coranique), dans le sens que nous venons de préciser; celui-ci ne détenait que le pouvoir de "prononcer" certaines formules opératives; quand il prononçait celles-ci, paraissait l'aspect caché du Nom (Maknûm-l-Ism) qui entrait dans ces formulations, ainsi que son effet produit par vertu spéciale. Dans le cas des moyens exceptionnelles à vertu opérative, il n'est requis aucune condition de pureté rituelle, ou de sainteté personnelle, ni de conscience, ni de concentration, pas plus qu'il n'est question de foi ou de manque de foi : il ne s'agit que d'une simple prononciation de lettres déterminées, et l'effet se produit même si celui qui les prononce est distrait par rapport à ce qu'il articule. Une chose analogue arriva à l'un de nos compagnons qui, récitait le Coran et parcourant un certain verset, constata que ce verset lui occasionnait un certain effet; il s'en étonna sans pouvoir se l'expliquer. Alors il reprit la récitation depuis les versets antérieurs, et lorsqu'il arriva au dit verset il constata de nouveau lui-même l'effet. Et chaque fois qu'il le répétait, il observait cet effet. Ainsi, il connut que ce verset qui s'était "ouvert" par hasard, pendant sa récitation, est un des "Lieux" Coraniques à vertu spéciale; par la suite, il le prit comme "nom" (à invoquer opérativement) et produisait l'effet respectif chaque fois qu'il le voulait. Toutefois, une chose de ce genre ne séduit pas un Connaissant Véritable (Muhaqqiq), car celui-ci ne saurait se réjouir que de ce qu'il réalise effectivement en soi. C'est ainsi que lorsqu'on demanda à Abû Yazîd (al-Bitâmi) : " Quel est le Nom Suprême (al-Ismu-l-A'zam) d'Allâh ?", il répondit : " C'est la Sincérité ! Sois sincère et prends n'importe Nom Divin que tu voudras !" Par cette réponse, il engagea à la réalisation effective, non pas à une simple prononciation de formule.

à suivre...
source: Le livre de l'extinction dans la contemplation (IBN'ARABI)

jeudi 20 juin 2013

Le livre de l'extinction dans la contemplation (1ère partie ) - Ibn'Arabi

Au Nom d'Allâh, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux !

Louange à Allâh qui prononce synthétiquement un décret immuable et qui assigne distinctivement un destin à toute chose, qui décide et exécute Ses décisions, qui reçoit satisfaction et accorde Sa satisfaction, qui est trop Saint dans Sa magnificence et Sa Majesté pour être contre-partie de ce qu'Il transcende, de même qu'Il est trop transcendant pour être "substance" ou "accident" !

Il a purifié les cœurs de ceux qu'Il a préférés d'entre Ses serviteurs, et n' y a pas mis les maladies des doutes et des illusions. Il n' a pas placé ces serviteurs comme cibles pour les flèches de la contractions et de l'hostilité, mais a fait briller pour eux, par l'Essence Illuminative, le sabre dégainé de la Direction, de sorte qu'ils envahirent toutes les étendues !
Parmi eux, il y' en a qui, ayant été revêtus, se sont dévêtus.

Ceux qui portent leurs revêtement considèrent ce qui leur a été ainsi conféré comme prêt, et ceux qui les ont ôtés, leur oeuvre surérogatoire se trouve convertie pour eux en obligatoire. Il les présente ainsi, comme un titre de gloire devant le Plérôme Suprême, et établit leur autorité dans les Mondes supérieur et inférieur, en leur accordant l'héritage du Ciel et de la Terre ainsi ils parcourent avec le pied intrépide de la précellence, l'Exaltation et l'Ampleur, et gouvernent de leurs sièges, en liant et en déliant !



Et que la Prière (dispensatrice de Grâce) soit sur celui (Prophète Mohammed) auquel il fut dit : " Peut-être ton Seigneur te fera-t-il des dons et tu seras ainsi satisfait" (Coran 93, 5), de sorte qu'il fut distingué de celui  (Moïse) qui disait: " Je m'empresse vers Toi " ô Seigneur pour que Tu sois satisfait (Coran 20, 84). Que cette Prière soit permanente dans la langue de l'éternité et ne connaisse donc jamais de fin, et qu'elle s'étende aussi sur les membres de sa famille, les purs, et sur ses compagnons, les favorisés de la Satisfaction Divine, ainsi que sur ses frères (les autres Prophètes) qui l'ont reconnu comme véridique, depuis leur station élevée et agréée !

La Réalité Divine Essentielle (al-Haqîqatu - l - IIâhiyya) est trop élevée pour être contemplée par l' "œil" qui doit contempler, tant que subsiste une trace de la condition de créature dans l' "œil" du contemplant. Mais lorsque "s'éteint ce qui n'a pas été" - et qui est (par nature) périssant - "et reste ce qui n'a jamais cessé d'être" - ce qui est (par nature) permanent - alors se lève le Soleil de la preuve décisive pour la Vision par soi (al-Iyân). Alors se produit la sublimation absolue (at-tanazzuhu-l-mutlaq) effective dans la Beauté Absolue (al-Jamâlu-l-Mutlaq), et c'est cela l' "Œil de la synthèse et de la Réalisation par excellence" (Aynu-l-Jam'i wa-l-Wujûd) et la "Station de la Quiétude et de la suffisance Immuable" (Maqâm-Sukûni wa-l-Jumûd). Cet Œil voit alors les Nombres comme étant un "Unique", le nombre "Un" (Wâhid), qui, cependant voyage dans des degrés numéraux et qui par ce voyage manifeste les entités des nombres. C'est à cette station contemplative que se produit la glissade de celui qui professe (la doctrine de) l' "unification" (al-ittihâd), Celui-ci, voyant que l'Unique voyage dans des degrés numéraux dont l'existence est purement estimative, où Il reçoit toutefois des noms qui varient avec les degrés, ne voit pas les Nombres comme étant autre chose que l'Un (al-Ahad) : alors il dit qu'il y a eu "unification", or (l'Unique, ou l'Un) ne paraît avec son propre nom (ism), en même temps qu'avec son essence (dhât), dans aucun autre degré que dans celui de l'Unité première (al-Wahdâniyya); toutes les fois qu'il paraît dans d'autres degrés que celui-là avec son essence, il ne fait pas paraître son propre nom, mais est nommé alors d'après ce que confère la réalité des degrés numéraux respectifs. Ainsi, par son "nom" propre, il produit l'extinction (yufnî) et par son "essence", il produit la permanence : quand tu dis "un" (ou "unique") (wâhid) s'éteint ce qui est autre que Lui, par la vertu de ce nom, et quand tu dis "deux", l'entité du "deux" paraît par la présence de l'essence de l'Un à ce degré numéral, mais évidemment pas en raison du nom de Celui-ci, car ce nom est contradictoire avec l'existence dudit degré numéral, alors que son essence n' y fait aucune opposition.



Ce genre de dévoilement (kashf) et de science ('ilm) doit être caché à la plupart des créatures, en raison de ce qu'il y a en cela de trop élevé; au-dessous de cela, il y a un abîme profond, où la chute est beaucoup à craindre. En effet, si quelqu'un ne possède  pas la connaissance des  réalités  propre des choses (haqâ'iq) et ignore la continuité infinitésimale des attaches universelles, en abordant cet ordre de doctrine contemplative, tombe sur quelque propos émanant d'un être qui a possédé effectivement une telle connaissance, alors que lui-même n'en a jamais eu quelque  l'expérience directe il pourrait (s'autoriser à) (lui aussi) : "Je suis Celui que j'aime, Celui que j'aime est moi". C'est pour cette raison que nous voilons ce genre d'enseignement.

Hassan al-Basrî - qu'Allâh lui fasse miséricorde ! (qui donnait régulièrement un enseignement public), lorsqu'il voulait parler de ces mystères qui ne doivent pas se trouver sur le chemin de ceux qui n'en sont pas dignes, appelait à part Farqad as-Sabakhî et Mâlik Ibn Dinâr, ainsi que les autres présents d'entre les gens du "goût" initiatique (ahlu-dhawq), et fermant la porte aux autres, traitait de ces matières en séance intime. S'il n'y avait pas eu une nécessité d'observer le secret, il n'aurait pas procédé de cette façon. De même Abû Hurayra - qu'Allâh soit satisfait de lui ! - a dit, selon ce que rapporte al - Bukhâri dans son recueil de Hadith: "J'ai porté de la part du prophète - qu'Allâh prie sur lui et le salue ! - deux "sacs" : l'un, je l'ai dispensé entre vous tous; l'autre, si j'agissais de même, on me  couperait cette gorge". De son côté, Ibn Abbas, - qu'Allâh soit satisfait de lui ! - en parlant du verset : " Allâh qui a créé sept voûtes célestes et autant de terres; le commandement descend entre elles" (Coran 65, 12), déclarait: "Si je vous disais quelle en est l'interprétation (ésotérique), vous me lapiderez en disant que je suis un infidèle". D'autre part, Alî ben Tâlib - sur lui la paix ! - frappait sa poitrine et disait : "Ah ! En vérité, ici il y a force et science ! Si seulement je trouvais des êtres qui puissent les porter !" Enfin, l'Envoyé d'ALLAH - qu'Allâh prie sur lui et le salue ! - disait : "Abû Bakr vous est supérieur, non pas par le nombre des  prières ou des jeûnes, mais par quelque chose qui est survenu dans sa poitrine", et il n'expliqua pas ce qu'était cette chose, mais se tut là-dessus. Toute science ne doit pas être expliquée par celui qui la possède, et le prophète - qu'Allâh prie sur lui et le salue ! disait : "Parlez aux hommes selon la capacité de leurs intelligences".

De ce fait, quand quelqu'un trouve un livre traitant d'une science qu'il ignore et dont il n'a pas pris la voie, il ne doit pas s'en mêler, mais remettre le livre à ceux qui s'y entendent, sans se considérer tenu d'y croire ou de n'y pas croire, ou même d'en parler.

" Tout porteur de science religieuse n'est pas nécessairement savant véritable" (hadith).
" Mais ils traitent de mensonge ce dont ils ne possèdent pas la science" (Coran 10, 39).
" Pourquoi disputez-vous au sujet de ce dont vous n'avez pas une science" (Coran 3, 66).

Ainsi, nous sommes instruits que les hommes sont blâmés quand ils parlent sur une chose sans avoir parcouru la voie qui y mène.

Nous avons été amené à mettre en avant tout cela, du fait que les livres des gens de notre voie sont pleins de mystères, et que les spéculatifs (ahlu-l-afkâr) s'en saisissent et les considèrent selon leurs points de vue spécifiques, et de même les exotéristes (ahlu-l-Zâhir) les interprètent selon les acceptions les plus latérales, pour se mettre ensuite à en médire. Or, si on demande à tous ceux-là simplement les acceptions véritables des termes techniques qu'emploient, d'un commun accord, les initiés (al-Qawm) dans leurs formulations, on constate qu'ils les  ignorent ! Comment s'autorisent-ils alors à se prononcer sur des questions dont ils ne possèdent pas le principe ? Peut-être même, quand ils voient les gens de cette voie s'entretenir à l'écart avec leurs compagnons au sujet de leurs expériences, leur arrive-t-il de dire: "Une religion cachée est une religion mauvaise"; or, ils ignorent les différents aspects de la Religion. Les initiés cachent, non pas la Religion, mais certaines conséquences de celle-ci et ce que le Vrai - qu'Il soit exalté ! leur a accordé pendant leur vie sous la règle d'obéissance et au moment même où ils Lui ont obéi. Ainsi, en matière de hadiths portant sur les règles religieuses, il se peut que pour eux soit "valide" un hadith que les exotéristes sont d'accord pour déclarer "faible" et de "transmission défectueuse"; or les initiés peuvent tenir comme "valide" un tel hadith, en tant qu'ils l'ont obtenu de leur côté par saisie intuitive (kashf), directement de celui qui l'a prononcé; de ce fait, ils en tiennent compte pour leurs pratiques spirituelles, autrement que ce n'est établi chez les savants littéralistes, et ces derniers les classent alors parmi ceux qui sont sortis de la religion, en quoi ils sont injustes, car la vérité peut être atteinte sous différents aspects, et celui-ci en est un. Inversement, il se peut qu'un hadith considéré par les littéralistes d'un commun accord comme "valide", ne le soit pas en fait à la lumière du dévoilement intuitif, et les initiés n'en tiennent pas compte pour leurs pratiques.

Alors, combien est louable celui qui, dans de telles situations, s'abstient d'intervenir et, cherchant la direction salutaire, s'occupe de soi-même, de sorte que chacun se tiendra à la place qui est la sienne. Un tel homme est  heureux, et s'assure la faveur de l'ordre total des réalités.



Ceux qui couvrent les mystères sous des expressions techniques emploient celle-ci conventionnellement, par précaution à l'égard des profanes, et ceux qui professent l’efficacité des "aspirations (ou énergies) spirituelles" (al himam, sing. al-himma), ne cessent de se tenir sur leurs voies claires et précises jusqu'à ce que des panneaux annonciateurs brillent pour eux, portés par les mains des Esprits Supérieurs qui résident au Degré de la Proximité à la Station de la Parole Bouche-à-Bouche (al-Fahwâniyya), panneaux sur lesquels des "Écritures" bien tracées et saintes se lèvent pour eux, comme "témoins" de la réalisation qu'ils ont obtenue, et leur confèrent le transfert de ce mode (wasf) à un autre mode, par voie de sublimation (instiqâlam munazzahan). Alors le voile est enlevé, et ce qui avait été caché est mis à découvert ! Alors est défait le bandeau, retiré le verrou, ouverte la serrure ! Alors les "aspirations-énergies" propres à cet autre mode s'unifient pour scruter la Réalité Une (al-Haqîqatu-l-Ahadiyya), et l'être ne conçoit plus qu'une seule aspiration " (hamm Wâhid) et rien d'autre. De cette "aspiration" unique procèdent des influences qui portent effet sur la Réalité Pure (al-Haqîqa).

Ainsi, tantôt ces influences procèdent par abstraction de "l'aspiration unique", tantôt elles procèdent des dites aspirations au moment même où elles se produisent, mais c'est toujours Lui qui est le Visé selon toute face, même s'Il n'est pas connu, c'est Lui le cherché par toute aspiration, même s'Il n'est pas atteint, de même que Lui l'énoncé par toute langue, même s'Il reste ineffable ! Et quelle formidable stupeur on éprouve et quel immense soupir de soulagement on pousse lorsque "le bandeau est enlevé, et que la vue (basar) est devenue pénétrante". Lorsque "le soleil s'unit à la lune", et que l'influent paraît dans son influence (effet) (al-athar) pour être saisi par l’œil de l'homme ! Alors Il se montre à eux (les "spectateurs") sous diverses Formes, alors se produit la ruse à l’égard de ceux qui ont rusé, alors gagne celui qui a la foi et perd celui qui ne l'a pas !

à suivre...

source: le livre de l'extinction dans la contemplation (Ibn'Arabi) 


mercredi 5 juin 2013

Choix du Prophète Mohammed pour la haute Mission Divine (suite et fin) - M. Hamidullah

...
Ibn-Habib (1) nous a laissé un intéressant travail  sur les aïeuls féminines du Prophète, pendant une vingtaine de générations. Nous lisons dans cet ouvrage, ainsi que dans d'autres sources (2), que les oncles maternelles du Prophète, les 'Abd Yâlil, gouvernaient à Taïf, la mère de 'Abd al-Muttalib, grand-père du prophète, descendait de la famille qui a fourni la dynastie des Lakhmides à  Hîrah; et parmi ces aïeules féminines, nous rencontrons les tributs les plus variées de la Péninsule arabique, telles que Kinânah, Azd, Khuzâ'ah, Qudâ'ah, Sulaim, 'Adwân, et d'autres (Cf. infra § 1100-1119).

'Abd am- Muttalib était un des dix "ministres" de l'oligarchie mecquoise. Il eut dix fils, dont Abdallah le père du Prophète, qui n'était pas l'aînée, et qui mourut du vivant de son père; et Mohammed lui-même naquit quelques semaines après la mort de son propre père. Dans ces conditions, Mohammed n'avait aucune chance d'accéder à une dignité quelconque dans sa cité natale. Les qualités de cœur et de d'esprit se propagent dans la postérité, mais pas nécessairement d'aîné en aîné; il semble même plus souvent chez un cadet qu'on retrouve maintes des qualités qu'on à la royauté, et peu de ses vices : orgueil, précipitation, amour du luxe, mépris du travail etc.
De plus, un prince héritier est souvent corrompu par ses parents eux-mêmes, ainsi que par son entourage de flatteurs; un cadet ou un orphelin a plus de chances d'être élevé convenablement.

Mohammed perdit ses gardiens l'un après l'autre : après la mort de sa mère, il resta chez son vieux grand-père; à la mort de ce dernier, lorsqu'il   n'avait encore que huit ans, il habita chez son oncle Abû Tâlib, généreux mais ayant peu de ressources. Il dut immédiatement gagner sa vie comme berger. A l 'âge de neuf ans, il accompagna son oncle dans un voyage de commerce en Palestine, où il ira encore une fois tout seul, avec les marchandises d'une riche Mecquoise. Nous le trouvons également à Hubâchah (Yémen), et dans le pays des Abd al-Qais (Bahrain'Umân, de l'Arabie orientale) toujours en qualité de commerçant. Si le seul silence  des sources n'est pas une preuve de son existence, il y' a lieu de penser qu'il est allé même une fois en Abyssinie, peut être par la voie de mer.



Tout ces voyages de commerce l'avaient obligé à apprendre les lois et les coutumes administratives et commerciales de Byzance, de la Perse, du Yémen et de l'Abyssinie. A l'âge mûr, à quarante ans, cet homme si expérimenté entrepris la réforme de son peuple. Dans sa ville natale, il avait reçu l'épithète d'al-Amîn (l’honnête). Les veuves et les orphelins de la ville trouvaient chez  lui le meilleur asile; et les commerçants étrangers aussi, lorsqu'ils venaient à la Mecque, cherchaient en dernier  lieu son appui pour obtenir un règlement de compte chez les Mecquois retardataires. Son oncle Abû Tâlib n'exagéra point lorsqu'il composa un poème pour chanter les vertus de son neveu, en disant :
Le blond visage, au nom duquel on prie pour obtenir les pluies, 
Protecteur des veuves, asile des orphelins.



source : Le Prophète de l'Islam : sa vie, son oeuvre (Muhammad Hamidullah)







1. Ummahât at-Nabî, Bagdad, 1952.
2. Par ex. Abû-Nu'aim, Dalâ'il an-Nubûwah, ch. 20.

mardi 4 juin 2013

Choix du Prophète Mohammed pour la haute mission Divine (M. Hamidullah) 1

DIEU peut choisir n'importe qui pour une fonction quelconque : Sa puissance est sans limite, et Sa volonté sans bornes. Mais comme Il a de Son propre choix, créé ce monde, comme une chaîne de causes et d'effets, on peut voir certaines de ces causes à l'oeuvre dans le choix de Mohammed (saw) pour la mission Divine, et de cette ville de la Mecque, si admirablement placée au milieu de la terre habitée, pour le lieu de cette mission.

A la veille de l'islam, la ville de la Mecque était peuplée et gouvernée par les Arabes de la tribu de Quraich, et le nombre des habitants atteignait environ dix mille, esclaves et clients d'origine étrangère compris.Au lieu d'une monarchie, c'était l’oligarchie de dix principales familles qui régnaient dans la Cité-Etat. Parmi ces dix familles, les Banû-Umaiyah détenaient le pouvoir militaire, et les Banû-Hâchim le pouvoir religieux, constituant les deux clans rivaux les plus en vue. Mohammed appartenait aux Banû-Hâchim.

Les Quraichites se disent  descendants d'Abraham, originaire de l'Iraq. Lorsqu'il quitta son pays natal, par suite de la persécution religieuse, Abraham se rendit d'abord en Egypte, puis en Palestine où il épousa Hagar (1), mère de son premier fils Ismaël. Plus tard, Hagar et Ismaël durent quitter le foyer d'Abraham, pour séjourner dans un désert, " près de la source qui est sur le chemin de Schur". Aux dires des Quraichites, il s'agit là de la région de la Mecque, et de la source de Zamzam.
Ismaël épousa une Arabe, de la tribu de Jurhum. Abraham visitait Ismaël de temps en temps, venant de la Syrie, et il construisit, avec l'aide de son fils Ismaël, un temple dédié au culte du DIEU Unique, la Ka'bah, la Maison d'ALLAH. A la veille de l'Islam, cet édifice était déjà devenu un lieu de pèlerinage pour toute l'Arabie. Plus ancienne que le temple de Jérusalem, le Coran ( 3 : 96) ne semble point exagéré en qualifiant la Ka'abah de "première Maison" de DIEU dans le monde.


La famille de Mohammed avait hérité non seulement de la tradition la plus ancienne du culte monothéiste, mais avait également dans ses veines le sang des différentes races humaines : babylonienne, égyptienne, arabe, fait qui la mettait au-dessus des préjugés étroits. Parmi les proches parents de Mohammed (saw), nous avons même une Grecque (2) : en effet le généalogiste Mus'ab (3) signale que la mère d'Abu'r-Rûm ibn 'Umair fut une Grecque. Le frère de cet Abu'r-Rûm, Mus'ab ibn 'Umair, un Quaraichite, un Mecquois, un proche parent du Prophète, avait, en outre épousé la fille de la tante du Prophète. (Cette épouse s'appelait Hamnah bint Jahch, dont la mère fut Umaimah bint ' Abd al-Muttalib). Nous verrons, par la suite, que Mohammed accentuait cette réunification de la race humaine, et nous rencontrerons dans sa propre maison des femmes, non seulement d'origine arabe, mais également juive et copte.
à suivre...

source : Le Prophète de l'Islam : sa vie, son oeuvre (Muhammad Hamidullah)








1. Selon Bukhâri, 60 : 11, le Pharaon avait donné Hagar pour servante à Sârah (akhdamahâ). cf Genèse 16 : 1, "servante égyptienne". Il ne faut pas en   conclure qu'elle fut une esclave : loin de là, car nous lisons chez le Rabbin le plus réputé, Salomon b. Isaac de Troyes (1040-1105), dans son commentaire du Pentateuque (Genèse, 16 : 1) :
" (Agar) était la fille de Pharaon. Lorsque celui-ci vit les miracles qui s'étaient produits en faveur de Sârah, il dit :  Mieux vaut pour ma fille d'être servante dans cette maison (d'Abraham) que maîtresse dans une autre." - Je dois la traduction à l'obligeance de M.G. Vajda.
En outre, il est à noter que Hagar, même si elle était esclave, ne l'était pas à Abraham, mais à Sârah. Selon la loi talmoudique, la seule possibilité pour Abraham était de la prendre en mariage, avec la permission de la "propriétaire", Sârah, et non en concubinage. La Bible ne parle pas du don de Sârah, mais "donna pour femme/gabsie ihm zum Weib/gave her to be his wife" (Genèse 16/3).
2. Est-ce selon la loi de Mendel sur l'hérédité que 'Abd al-Muttalib était blond argentin ? (Cf. § 66, infra).
3. Nasab Quraich, p. 254