jeudi 20 juin 2013

Le livre de l'extinction dans la contemplation (1ère partie ) - Ibn'Arabi

Au Nom d'Allâh, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux !

Louange à Allâh qui prononce synthétiquement un décret immuable et qui assigne distinctivement un destin à toute chose, qui décide et exécute Ses décisions, qui reçoit satisfaction et accorde Sa satisfaction, qui est trop Saint dans Sa magnificence et Sa Majesté pour être contre-partie de ce qu'Il transcende, de même qu'Il est trop transcendant pour être "substance" ou "accident" !

Il a purifié les cœurs de ceux qu'Il a préférés d'entre Ses serviteurs, et n' y a pas mis les maladies des doutes et des illusions. Il n' a pas placé ces serviteurs comme cibles pour les flèches de la contractions et de l'hostilité, mais a fait briller pour eux, par l'Essence Illuminative, le sabre dégainé de la Direction, de sorte qu'ils envahirent toutes les étendues !
Parmi eux, il y' en a qui, ayant été revêtus, se sont dévêtus.

Ceux qui portent leurs revêtement considèrent ce qui leur a été ainsi conféré comme prêt, et ceux qui les ont ôtés, leur oeuvre surérogatoire se trouve convertie pour eux en obligatoire. Il les présente ainsi, comme un titre de gloire devant le Plérôme Suprême, et établit leur autorité dans les Mondes supérieur et inférieur, en leur accordant l'héritage du Ciel et de la Terre ainsi ils parcourent avec le pied intrépide de la précellence, l'Exaltation et l'Ampleur, et gouvernent de leurs sièges, en liant et en déliant !



Et que la Prière (dispensatrice de Grâce) soit sur celui (Prophète Mohammed) auquel il fut dit : " Peut-être ton Seigneur te fera-t-il des dons et tu seras ainsi satisfait" (Coran 93, 5), de sorte qu'il fut distingué de celui  (Moïse) qui disait: " Je m'empresse vers Toi " ô Seigneur pour que Tu sois satisfait (Coran 20, 84). Que cette Prière soit permanente dans la langue de l'éternité et ne connaisse donc jamais de fin, et qu'elle s'étende aussi sur les membres de sa famille, les purs, et sur ses compagnons, les favorisés de la Satisfaction Divine, ainsi que sur ses frères (les autres Prophètes) qui l'ont reconnu comme véridique, depuis leur station élevée et agréée !

La Réalité Divine Essentielle (al-Haqîqatu - l - IIâhiyya) est trop élevée pour être contemplée par l' "œil" qui doit contempler, tant que subsiste une trace de la condition de créature dans l' "œil" du contemplant. Mais lorsque "s'éteint ce qui n'a pas été" - et qui est (par nature) périssant - "et reste ce qui n'a jamais cessé d'être" - ce qui est (par nature) permanent - alors se lève le Soleil de la preuve décisive pour la Vision par soi (al-Iyân). Alors se produit la sublimation absolue (at-tanazzuhu-l-mutlaq) effective dans la Beauté Absolue (al-Jamâlu-l-Mutlaq), et c'est cela l' "Œil de la synthèse et de la Réalisation par excellence" (Aynu-l-Jam'i wa-l-Wujûd) et la "Station de la Quiétude et de la suffisance Immuable" (Maqâm-Sukûni wa-l-Jumûd). Cet Œil voit alors les Nombres comme étant un "Unique", le nombre "Un" (Wâhid), qui, cependant voyage dans des degrés numéraux et qui par ce voyage manifeste les entités des nombres. C'est à cette station contemplative que se produit la glissade de celui qui professe (la doctrine de) l' "unification" (al-ittihâd), Celui-ci, voyant que l'Unique voyage dans des degrés numéraux dont l'existence est purement estimative, où Il reçoit toutefois des noms qui varient avec les degrés, ne voit pas les Nombres comme étant autre chose que l'Un (al-Ahad) : alors il dit qu'il y a eu "unification", or (l'Unique, ou l'Un) ne paraît avec son propre nom (ism), en même temps qu'avec son essence (dhât), dans aucun autre degré que dans celui de l'Unité première (al-Wahdâniyya); toutes les fois qu'il paraît dans d'autres degrés que celui-là avec son essence, il ne fait pas paraître son propre nom, mais est nommé alors d'après ce que confère la réalité des degrés numéraux respectifs. Ainsi, par son "nom" propre, il produit l'extinction (yufnî) et par son "essence", il produit la permanence : quand tu dis "un" (ou "unique") (wâhid) s'éteint ce qui est autre que Lui, par la vertu de ce nom, et quand tu dis "deux", l'entité du "deux" paraît par la présence de l'essence de l'Un à ce degré numéral, mais évidemment pas en raison du nom de Celui-ci, car ce nom est contradictoire avec l'existence dudit degré numéral, alors que son essence n' y fait aucune opposition.



Ce genre de dévoilement (kashf) et de science ('ilm) doit être caché à la plupart des créatures, en raison de ce qu'il y a en cela de trop élevé; au-dessous de cela, il y a un abîme profond, où la chute est beaucoup à craindre. En effet, si quelqu'un ne possède  pas la connaissance des  réalités  propre des choses (haqâ'iq) et ignore la continuité infinitésimale des attaches universelles, en abordant cet ordre de doctrine contemplative, tombe sur quelque propos émanant d'un être qui a possédé effectivement une telle connaissance, alors que lui-même n'en a jamais eu quelque  l'expérience directe il pourrait (s'autoriser à) (lui aussi) : "Je suis Celui que j'aime, Celui que j'aime est moi". C'est pour cette raison que nous voilons ce genre d'enseignement.

Hassan al-Basrî - qu'Allâh lui fasse miséricorde ! (qui donnait régulièrement un enseignement public), lorsqu'il voulait parler de ces mystères qui ne doivent pas se trouver sur le chemin de ceux qui n'en sont pas dignes, appelait à part Farqad as-Sabakhî et Mâlik Ibn Dinâr, ainsi que les autres présents d'entre les gens du "goût" initiatique (ahlu-dhawq), et fermant la porte aux autres, traitait de ces matières en séance intime. S'il n'y avait pas eu une nécessité d'observer le secret, il n'aurait pas procédé de cette façon. De même Abû Hurayra - qu'Allâh soit satisfait de lui ! - a dit, selon ce que rapporte al - Bukhâri dans son recueil de Hadith: "J'ai porté de la part du prophète - qu'Allâh prie sur lui et le salue ! - deux "sacs" : l'un, je l'ai dispensé entre vous tous; l'autre, si j'agissais de même, on me  couperait cette gorge". De son côté, Ibn Abbas, - qu'Allâh soit satisfait de lui ! - en parlant du verset : " Allâh qui a créé sept voûtes célestes et autant de terres; le commandement descend entre elles" (Coran 65, 12), déclarait: "Si je vous disais quelle en est l'interprétation (ésotérique), vous me lapiderez en disant que je suis un infidèle". D'autre part, Alî ben Tâlib - sur lui la paix ! - frappait sa poitrine et disait : "Ah ! En vérité, ici il y a force et science ! Si seulement je trouvais des êtres qui puissent les porter !" Enfin, l'Envoyé d'ALLAH - qu'Allâh prie sur lui et le salue ! - disait : "Abû Bakr vous est supérieur, non pas par le nombre des  prières ou des jeûnes, mais par quelque chose qui est survenu dans sa poitrine", et il n'expliqua pas ce qu'était cette chose, mais se tut là-dessus. Toute science ne doit pas être expliquée par celui qui la possède, et le prophète - qu'Allâh prie sur lui et le salue ! disait : "Parlez aux hommes selon la capacité de leurs intelligences".

De ce fait, quand quelqu'un trouve un livre traitant d'une science qu'il ignore et dont il n'a pas pris la voie, il ne doit pas s'en mêler, mais remettre le livre à ceux qui s'y entendent, sans se considérer tenu d'y croire ou de n'y pas croire, ou même d'en parler.

" Tout porteur de science religieuse n'est pas nécessairement savant véritable" (hadith).
" Mais ils traitent de mensonge ce dont ils ne possèdent pas la science" (Coran 10, 39).
" Pourquoi disputez-vous au sujet de ce dont vous n'avez pas une science" (Coran 3, 66).

Ainsi, nous sommes instruits que les hommes sont blâmés quand ils parlent sur une chose sans avoir parcouru la voie qui y mène.

Nous avons été amené à mettre en avant tout cela, du fait que les livres des gens de notre voie sont pleins de mystères, et que les spéculatifs (ahlu-l-afkâr) s'en saisissent et les considèrent selon leurs points de vue spécifiques, et de même les exotéristes (ahlu-l-Zâhir) les interprètent selon les acceptions les plus latérales, pour se mettre ensuite à en médire. Or, si on demande à tous ceux-là simplement les acceptions véritables des termes techniques qu'emploient, d'un commun accord, les initiés (al-Qawm) dans leurs formulations, on constate qu'ils les  ignorent ! Comment s'autorisent-ils alors à se prononcer sur des questions dont ils ne possèdent pas le principe ? Peut-être même, quand ils voient les gens de cette voie s'entretenir à l'écart avec leurs compagnons au sujet de leurs expériences, leur arrive-t-il de dire: "Une religion cachée est une religion mauvaise"; or, ils ignorent les différents aspects de la Religion. Les initiés cachent, non pas la Religion, mais certaines conséquences de celle-ci et ce que le Vrai - qu'Il soit exalté ! leur a accordé pendant leur vie sous la règle d'obéissance et au moment même où ils Lui ont obéi. Ainsi, en matière de hadiths portant sur les règles religieuses, il se peut que pour eux soit "valide" un hadith que les exotéristes sont d'accord pour déclarer "faible" et de "transmission défectueuse"; or les initiés peuvent tenir comme "valide" un tel hadith, en tant qu'ils l'ont obtenu de leur côté par saisie intuitive (kashf), directement de celui qui l'a prononcé; de ce fait, ils en tiennent compte pour leurs pratiques spirituelles, autrement que ce n'est établi chez les savants littéralistes, et ces derniers les classent alors parmi ceux qui sont sortis de la religion, en quoi ils sont injustes, car la vérité peut être atteinte sous différents aspects, et celui-ci en est un. Inversement, il se peut qu'un hadith considéré par les littéralistes d'un commun accord comme "valide", ne le soit pas en fait à la lumière du dévoilement intuitif, et les initiés n'en tiennent pas compte pour leurs pratiques.

Alors, combien est louable celui qui, dans de telles situations, s'abstient d'intervenir et, cherchant la direction salutaire, s'occupe de soi-même, de sorte que chacun se tiendra à la place qui est la sienne. Un tel homme est  heureux, et s'assure la faveur de l'ordre total des réalités.



Ceux qui couvrent les mystères sous des expressions techniques emploient celle-ci conventionnellement, par précaution à l'égard des profanes, et ceux qui professent l’efficacité des "aspirations (ou énergies) spirituelles" (al himam, sing. al-himma), ne cessent de se tenir sur leurs voies claires et précises jusqu'à ce que des panneaux annonciateurs brillent pour eux, portés par les mains des Esprits Supérieurs qui résident au Degré de la Proximité à la Station de la Parole Bouche-à-Bouche (al-Fahwâniyya), panneaux sur lesquels des "Écritures" bien tracées et saintes se lèvent pour eux, comme "témoins" de la réalisation qu'ils ont obtenue, et leur confèrent le transfert de ce mode (wasf) à un autre mode, par voie de sublimation (instiqâlam munazzahan). Alors le voile est enlevé, et ce qui avait été caché est mis à découvert ! Alors est défait le bandeau, retiré le verrou, ouverte la serrure ! Alors les "aspirations-énergies" propres à cet autre mode s'unifient pour scruter la Réalité Une (al-Haqîqatu-l-Ahadiyya), et l'être ne conçoit plus qu'une seule aspiration " (hamm Wâhid) et rien d'autre. De cette "aspiration" unique procèdent des influences qui portent effet sur la Réalité Pure (al-Haqîqa).

Ainsi, tantôt ces influences procèdent par abstraction de "l'aspiration unique", tantôt elles procèdent des dites aspirations au moment même où elles se produisent, mais c'est toujours Lui qui est le Visé selon toute face, même s'Il n'est pas connu, c'est Lui le cherché par toute aspiration, même s'Il n'est pas atteint, de même que Lui l'énoncé par toute langue, même s'Il reste ineffable ! Et quelle formidable stupeur on éprouve et quel immense soupir de soulagement on pousse lorsque "le bandeau est enlevé, et que la vue (basar) est devenue pénétrante". Lorsque "le soleil s'unit à la lune", et que l'influent paraît dans son influence (effet) (al-athar) pour être saisi par l’œil de l'homme ! Alors Il se montre à eux (les "spectateurs") sous diverses Formes, alors se produit la ruse à l’égard de ceux qui ont rusé, alors gagne celui qui a la foi et perd celui qui ne l'a pas !

à suivre...

source: le livre de l'extinction dans la contemplation (Ibn'Arabi) 


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