" La sentence laissée pour la fin et la perle gardée", sur la connaissance des serviteurs les plus purs, et ce qu'il faut croire et répandre à leur sujet.
J'atteste avec une certitude catégorique que nos guides et nos chefs pour cette fonction (de l'imâma) sont ceux dont DIEU nous a informés dans Sa Révélation et nous a parlé dans Sa Récitation de leur état prédestiné, alors qu'ils étaient repliés dans le Néant, couchés dans les berceaux du Non-manifesté, comme des jeunes gens dans la caverne de la générosité Divine(1), par ces mots : " et fais de nous un guide (imâm) pour les pieux!" (2), c'est à dire : " pour que, par nous, ils trouvent la voie vers Toi". Et ils sont les guides des hommes promis à la béatitude, "ceux qui ont reçu par avance de Nous la Très Belle (Récompense) "(3), c'est à dire d'entrer, avec ceux qui les suivent, au Paradis dans la Foi. Nous allons parler, dans ce chapitre fondamental, de l'Imâma, de la communication de son caractère obligatoire et de ceux pour qui cette fonction est nécessaire.
Sachez que les hommes " qui se tournent vers la qibla "(4) sont en désaccord sur cette question (de l'Imâma). Des gens affirment que le caractère nécessaire de cette fonction est une nécessité rationnelle. D'autres disent que c'est une nécessité traditionnelle. C'est pourquoi ils ont eu des opinions différentes sur les modes de transmission de l'Imâma. Selon certains, son mode de transmission aurait été le "texte explicite" et la "désignation", émanant de l'Envoyé et concernant celui qui le remplacerait (comme chef de la communauté), qui précisaient son nom et sa personne. Selon eux, également, il devait être infaillible, ce qui était admissible pour ses sujets ne l'étant pas pour lui. Il n' y a pas d'autre mode de transmission (de l'Imâma) à un homme de cette nature que la communication confirmée par la tradition du texte explicite le désignant personnellement, ou d'une action miraculeuse manifestée en sa présence. Selon d'autres, il fallait que l'Imâm ayant cette nature infaillible désignât son successeur qui aurait le même privilège, parce que le " texte explicite " lui en avait fait une obligation, et ainsi de suite pour le deuxième, le troisième, le quatrième, jusqu'à la fin des temps. Telle est l'opinion des Imâmiyya et de toutes les sectes (firaq) sur la personne de celui que le texte de l'Envoyé avait désigné explicitement. Les Râwandiyya et leurs partisans tenaient pour l'Imâma d'al-' Abbâs Ibn 'Abd al-Muttalib, l'oncle du Prophète, et prétendaient qu'il l'avait désigné par un texte, lui, ainsi que son fils, le fils de ce dernier, etc... jusqu'à la fin des temps. Certains ont soutenu la thèse du texte désignant Ali, puis al-Hasan, puis al-Husayn, ensuite l'Imâma, sous forme consultative (shûrâ), se transmettrait jusqu'à la fin des temps du plus âgé au plus âgé. D'autres sectes des Imâmiyya ont déclaré que le Prophète avait désigné par un texte Abû Bakr le Juste (al çiddîq). Ceux qui soutiennent cette opinion portent le nom de Bakriyya parce qu'ils sont les disciples de Bakr ibn Abd Allâh Ibn Abd al-Wâhid, le premier qui l'ait énoncée. C'est également la thèse des Bayhasiyya, disciples de Bayhas ibn Hayçam, ainsi que d'al-Hasan ibn al-Hasan al-Baçrî et de ses disciples et d'un grand nombre de " gens du Hadith".
La "fraction sauve" / farîq al-salâma (des Musulmans) et les docteurs de cette communauté (umma) ont soutenu la thèse de l'"élection", et ils ont repoussé celle de la désignation, par un texte explicite émanant du Prophète, d'une personne déterminée. Il aurait seulement dit ceci : "Je ne sais combien de temps je resterai parmi vous, suivez donc ceux qui me suivront après moi : Abû Bakr et Umar !" Il avait recommandé de les suivre, comme s'il les désignait comme ses successeurs l'un après l'autre, mais, par miséricorde de sa part envers la communauté, il ne l'avait pas dit nettement, puisqu’ensuite il devait déclarer : " Si je vous désignais mon successeur et qu'ensuite vous lui désobéissiez, le châtiment tomberait sur vous."(5)
Selon eux l'Imâma est de nécessité traditionnelle, comme toutes les obligations religieuses, car pour ces gens la raison ne saurait conférer un caractère obligatoire à rien. La raison est uniquement un instrument de discernement, rien d'autre, tandis que la tradition seule, sans la raison, a force de nécessité.
Les Compagnons du Prophète étaient unanimes sur le caractère obligatoire de l'Imâma, car il fait partie des obligations communes qui sont imposées à tous, le vulgaire ou l'élite. Il faut donc à chaque époque un Imâm, qui soit le refuge de l'affligé, le recours du faible, qui protège la Communauté, applique les peines légales et fasse exécuter les lois, prélève l'impôt foncier, répartisse les butins et les aumônes, soumette les oppresseurs et prenne la défense du faible contre le puissant.
Il prend en charge la Communauté en tout cela et représente l'ensemble des fidèles. Il doit être bon musulman, et parmi ceux qui savent parfaitement commander et diriger seuls. Il doit être de pure et bonne ascendance quraïshite et non d'une autre ascendance.
Mais il ne lui est pas demandé d'être infaillible, dont on n'admettrait pas la moindre négligence ni la moindre erreur; il lui est permis, comme aux autres hommes, de se tromper et de faire des fautes, de poser des questions en cas de difficulté, de consulter sur les affaires à régler, et de s'en remettre à l'avis de quelqu'un d'autre dont il connait le jugement sain et la loyauté.
Il lui est permis aussi de prendre une décision et de revenir sur celle-ci pour une autre qu'il estime plus convenable. En tout cela la Communauté et lui sont égaux.
La preuve sur laquelle s'appuient ceux-ci (les Musulmans de saine opinion), pour affirmer le caractère obligatoire de la fonction de l'Imâm, est Sa parole : " Le voleur et la voleuse, tranchez-leur les mains ! (6)" et : " La fornicatrice et le fornicateur, flagellez chacun d'eux... ! (7) et d'autres cas semblables pour lesquels le Livre et la Tradition du Prophète exigent l'application des peines légales. La preuve (scripturaire ou traditionnelle) suppose qu'il n'appartient pas au commun d'appliquer les peines, car cela mènerait aux contestations et à la sédition. La nécessité réclamait donc que quelqu'un fût chargé de cela pour la Communauté et qu'il entendît les témoignages nécessaires pour faire appliquer les lois comme elles l'exigent, et pour qu'il ne fût pas possible d'entraver les peines légales et les lois dans leur force contraignante.
Le Prophète est mort sans avoir installé un Imâm pour la Communauté, ni d'avoir désigné personne par un texte explicite. Selon eux (les Musulmans de saine opinion), la preuve qu'il n'avait désigné personne est le fait que l'Imâma a été installé après lui par élection, et qu'il y eut à son sujet discussion entre Abû Bakr et les Ançar le "jour de la Saqîfa", où il leur montra leur erreur dans les prétentions qu'ils lui opposaient (8). C'est lui qui, le premier, discuta avec eux (pour leur montrer) la nécessité de l'Imâma et (leur dit) que c'était un devoir obligatoire et qu'il était réservé uniquement aux quraïchites. Ils se rangèrent alors à son avis et à sa décision. Leur revirement est dû à ce que leur dit alors Umar au milieu du tumulte : " O assemblée des Ansâr ! Je vais vous poser une question. Répondez-moi, et, après cela, vous déciderez si vous avez raison ou tort ! - Parle ! lui dirent-ils. - Je vous adjure de me dire, au nom de DIEU, si vous saviez que l'Envoyé de DIEU avait confié la direction de la prière à Abû Bakr, de préférence à vous et à tous les autres, et qu'Abû Bakr avait dirigé la prière à sa place pendant neuf jours, alors que l'Envoyé de DIEU était encore en vie ? - Par DIEU, assurément ! répondirent-ils - Qui donc accepterait de bon cœur qu'Abû Bakr soit mis à l'arrière et qu'on lui passe devant ? - Tous s'écrièrent : Personne d'entre nous n'accepterait cela de bon cœur, et nous demandons pardon à DIEU !"
Après s'être ainsi repentis, tous s'avancèrent vers Abû Bakr en lui demandant pardon et en s'excusant, et lui confièrent le soin de choisir un Imâm. " Tu es le remplaçant (khalîfa) de l'Envoyé de DIEU pour nous dans la prière, lui dirent-ils, choisis donc pour nous et pour la Communauté !" Il leur répondit : " Vous avez le choix entre deux hommes : Abû Ubayda, car il est "l'homme sûr de cette Communauté", ou bien Umar car "la Vérité est dans sa bouche et dans sa main", allez donc vers celui que vous voulez choisir !" Mais Abû Ubayda et Umar refusèrent d'être élus, estimant qu'Abû Bakr en était plus digne qu'eux, puisque l'Envoyé de DIEU l'avait préféré pour diriger la prière, à eux et à tous les autres membres de la Communauté. Ils le reconnurent donc comme chef de la Communauté, par une sorte "d'interprétation et d'opinion personnelles".
Si donc le Prophète avait désigné quelqu'un par un texte explicite, il n'y aurait pas eu de divergences après lui, et Abû Bakr, ni personne d'autre, n'aurait pu indiquer quelqu'un d'autre que la personne désignée par le texte en question, car cela aurait été - à Dieu ne plaise ! - de la rébellion contre DIEU et Son Envoyé, une preuve de désaccord vis-à-vis d'eux, et cela aurait été outrepasser leurs ordres. Mais DIEU les a protégés; Il a placé tellement haut leurs mérites et Il les a rendus tellement purs qu'on ne saurait leur attribuer ce qui est indigne de leurs vertus, car ils sont, après l'Envoyé de DIEU, les Elus parmi Ses Saints et " la meilleure communauté apparue pour les hommes" (Cor. III, 110). DIEU a fait leur éloge en de nombreux endroits de Son Livre. Il est ainsi bien établi, par ce que nous avons expliqué et montré, que l'Imâma, après l'Envoyé de DIEU, a été établi par élection, non par un texte, et que le texte n'a aucune réalité.
Il faut noter également que les Ançar étaient nombreux et occupaient un rang élevé dans l'Islam; DIEU, dans Son Livre, avait révélé leur gloire et avait fait leur éloge. Si donc le (prétendu) texte avait eu quelque réalité pour eux, il ne leur aurait pas été possible de ne pas tenir compte de celui qu'il aurait désigné, car ils étaient trop haut et trop nobles pour faire une pareille chose. Mais comme le texte n'avait aucun fondement pour eux, ils crurent à la possibilité que l'un des leurs fût investi de l'Imâma. Ils mirent à leur tête Sa'd et le reconnurent comme chef en disant : " Un chef de chez nous, et un chef de (chez vous) les Quraïshites !"(9) Lorsqu'on leur eut rappelé les paroles de l'Envoyé de DIEU et sa désignation explicite de la tribu de Quraïsh, ils surent quelle était la vérité, à savoir que l'Imâma appartenait aux Quraïshites et non à eux, ni à tous les autres (membres de la Communauté). Ils se rendirent alors à la vérité avec soumission, ce qui était tout à fait digne d'eux et concordait parfaitement avec leurs vertus.
Ce qui confirme ce que nous venons de dire concernant la fausseté de la thèse du texte désignant nommément une personne, c'est la tradition suivante.
Al Abbâs avait dit à Ali, au cours de la maladie où l'Envoyé de DIEU devait trouver la mort : " Mon neveu ! je vois sur le visage de l'Envoyé de DIEU les signes précurseurs de la mort, allons ensemble l'interroger sur cette question (de la direction suprême de la Communauté) après lui." Mais Ali s'y était montré réfractaire et avait répondu : " Puisse-je ne pas être celui qui entrera auprès de l'Envoyé de DIEU pour lui annoncer qu'il va mourir !"
Si (la théorie du) "texte" avait quelque fondement, al-Abbâs n'aurait pas dit à Ali ce qu'il lui a dit. On rapporte également qu'al Abbâs alla seul chez le prophète pour l'interroger sur cette fonction (de l'Imâma), et que le prophète se tut et ne lui répondit rien, puis sortit ayant retrouvé un peu de la fermeté qu'il avait avant l'aggravation de son mal et il fit ses dernières recommandations aux Muhâjirûn et aux Ançar ensuite. Al-Abbâs demanda alors à un homme de dire au prophète : " O Envoyé de DIEU ! adresse tes recommandations aux Quraïshites !" C'est ce que fit l'homme, et le prophète déclara : " Je recommande seulement aux Quraïshites les Musulmans; les Musulmans suivront fidèlement les Quraïshites dans cette direction (suprême de la Communauté) (10)". Voilà qui réfute (la thèse) du texte désignant une personne déterminée ! Toujours à propos d'al-Abbâs, on rapporte qu'après le départ d'Abû Bakr, Umar et Abû Ubayda, se rendant auprès des "gens de la Saqîfa", tandis que Ali et lui étaient occupés à laver le corps de l'Envoyé de DIEU , il dit à Ali : " Étends ta main ! pour que je te fasse serment d'allégeance et que je sois le premier oncle qui ait fait acte d'obédience à son neveu, et qu'ainsi personne ne s'oppose à toi." Ali répondit : " Nous sommes occupés à faire quelque chose de plus important que régler la question de la succession de l'Envoyé de DIEU, pour son enterrement." Si le "texte" avait eu une base réelle, il n'en aurait pas été ainsi.
Une autre preuve de la fausseté (de la thèse) du texte explicite, est que la question de l'Imâma est une question très importante, dont l'information a dû être répandue et rendue publique tout autant que celle de la Nubuwwa (fonction, ou nature, prophétique). Si donc le prophète avait désigné dans un texte explicite une personne déterminée, cela se serait passé au grand jour, car le cas de l'Imâma est comme celui de la Nubuwwa, puisque la fonction d'Imâm remplace (khâlifa) celle de prophète. Les raisons d'en transmettre l'information étaient multiples comme celles motivant qu'on transmette les marques de la prophétie et les dispositions de la Loi, selon une transmission de commune renommée, de notoriété confirmée et répandue sur laquelle il y a accord et qui ne donne pas prise aux divergences, que connaissent également le commun et l'élite sans distinction, comme les dispositions de la Loi, telles que la prière, l'aumône légale (zakât), le pèlerinage et la guerre sainte, ainsi que toutes les autres dispositions religieuses et les paroles du prophète, sur lesquelles s'est réalisée l'unanimité et que connaissent également l'élite des Musulmans et le commun sans distinction. Il n'est pas possible d'admettre qu'une telle information ait été tenue secrète, comme cela était impossible pour les obligations religieuses, sans qu'il y ait eu contestations et querelles. Or nous avons vu qu'il y a eu divergence au sujet de l'Imâma, et que chaque groupe de la Communauté y prétendait selon son point de vue propre et sa tendance; nous savons donc que la thèse de la désignation par le texte explicite est fausse et totalement inexacte.
Si les Compagnons avaient été liés par cette prétendue désignation, il n' y aurait pas eu désaccord à ce sujet et aucun ne se serait permis de passer outre, de la même façon qu'il n'y avait pas eu désaccord sur la désignation, reconnue à l'unanimité, de Umar par Abû Bakr, et ensuite celle des " Hommes du Conseil" (ahl al-Shûra) par Umar, au nombre de six : Uthmân, Ali, Talha, al-Zubayr, Abd al-Rahman ibn Awf et sa'd ibn Mâlik.
Chacun était d'un mérite trop grand et d'un rang trop élevé, et la désignation était trop claire et trop manifeste (pour qu'il y eût désaccord et contestation). Et il est indiscutable que le prophète était d'un rang plus élevé et plus grand qu'Abû Bakr, Umar et les hommes du Conseil, que dis-je ? il les surpassait tous, et s'il avait désigné quelqu'un, cette désignation aurait été nécessairement tout aussi manifeste et transmise tout aussi bien que sa désignation de la tribu de Quraïsh d'une façon formelle pour assurer l'Imâma en ces termes : " Les Imâms seront de Quraïsh" et " cette fonction de commandement (amr) ne sera exercée que par Quraïsh" et " Ce commandement ne cessera pas (d'être exercé) par Quraïsh" et " Les Musulmans (devront suivre) fidèlement Quraïsh" (11). De la même façon que nous ont été transmises ses désignations de gouverneurs et de juges, tels que Ja'far ibn Abi Tâlib, Zayd ibn Hâritha, Mu'âdh ibn Jabal, Usâma ibn Zayd et Abd Allâh ibn Rawâda, entre autres. Il en va de même pour le caractère manifeste de cette désignation de Umar par Abû Bakr et celle des hommes du Conseil par Umar. L'élite de cette Communauté et les grands Docteurs repoussent la thèse selon laquelle le prophète aurait désigné explicitement une personne déterminée; il a désigné seulement la tribu de Quraïsh dans son ensemble et sans précision. Puisqu'il en est ainsi, on sait que cette désignation personnelle d'une personne déterminée est sans le moindre fondement. Celui qui prétendrait malgré tout qu'elle avait été faite en faveur de quelqu'un, a tort, et il doit être sévèrement traité, réprimandé et blâmé, pour avoir attribué aux Compagnons le fait d'être de connivence pour cacher cette nomination, dans l'intention de faire passer le commandement de la Communauté à quelqu'un d'autre que celui qui était désigné. Celui qui soutient une pareille chose à l'égard des Compagnons, suit une voie qui n'est pas celle des Croyants, et il fait preuve de rébellion envers ceux qui, après l'Envoyé de DIEU, le Sceau des Prophètes, sont les Elus du Seigneur des Monde !
à suivre...
source : La profession de Foi (Ibn'Arabi)
La "fraction sauve" / farîq al-salâma (des Musulmans) et les docteurs de cette communauté (umma) ont soutenu la thèse de l'"élection", et ils ont repoussé celle de la désignation, par un texte explicite émanant du Prophète, d'une personne déterminée. Il aurait seulement dit ceci : "Je ne sais combien de temps je resterai parmi vous, suivez donc ceux qui me suivront après moi : Abû Bakr et Umar !" Il avait recommandé de les suivre, comme s'il les désignait comme ses successeurs l'un après l'autre, mais, par miséricorde de sa part envers la communauté, il ne l'avait pas dit nettement, puisqu’ensuite il devait déclarer : " Si je vous désignais mon successeur et qu'ensuite vous lui désobéissiez, le châtiment tomberait sur vous."(5)
Selon eux l'Imâma est de nécessité traditionnelle, comme toutes les obligations religieuses, car pour ces gens la raison ne saurait conférer un caractère obligatoire à rien. La raison est uniquement un instrument de discernement, rien d'autre, tandis que la tradition seule, sans la raison, a force de nécessité.
Les Compagnons du Prophète étaient unanimes sur le caractère obligatoire de l'Imâma, car il fait partie des obligations communes qui sont imposées à tous, le vulgaire ou l'élite. Il faut donc à chaque époque un Imâm, qui soit le refuge de l'affligé, le recours du faible, qui protège la Communauté, applique les peines légales et fasse exécuter les lois, prélève l'impôt foncier, répartisse les butins et les aumônes, soumette les oppresseurs et prenne la défense du faible contre le puissant.
Il prend en charge la Communauté en tout cela et représente l'ensemble des fidèles. Il doit être bon musulman, et parmi ceux qui savent parfaitement commander et diriger seuls. Il doit être de pure et bonne ascendance quraïshite et non d'une autre ascendance.
Mais il ne lui est pas demandé d'être infaillible, dont on n'admettrait pas la moindre négligence ni la moindre erreur; il lui est permis, comme aux autres hommes, de se tromper et de faire des fautes, de poser des questions en cas de difficulté, de consulter sur les affaires à régler, et de s'en remettre à l'avis de quelqu'un d'autre dont il connait le jugement sain et la loyauté.
Il lui est permis aussi de prendre une décision et de revenir sur celle-ci pour une autre qu'il estime plus convenable. En tout cela la Communauté et lui sont égaux.
La preuve sur laquelle s'appuient ceux-ci (les Musulmans de saine opinion), pour affirmer le caractère obligatoire de la fonction de l'Imâm, est Sa parole : " Le voleur et la voleuse, tranchez-leur les mains ! (6)" et : " La fornicatrice et le fornicateur, flagellez chacun d'eux... ! (7) et d'autres cas semblables pour lesquels le Livre et la Tradition du Prophète exigent l'application des peines légales. La preuve (scripturaire ou traditionnelle) suppose qu'il n'appartient pas au commun d'appliquer les peines, car cela mènerait aux contestations et à la sédition. La nécessité réclamait donc que quelqu'un fût chargé de cela pour la Communauté et qu'il entendît les témoignages nécessaires pour faire appliquer les lois comme elles l'exigent, et pour qu'il ne fût pas possible d'entraver les peines légales et les lois dans leur force contraignante.
Le Prophète est mort sans avoir installé un Imâm pour la Communauté, ni d'avoir désigné personne par un texte explicite. Selon eux (les Musulmans de saine opinion), la preuve qu'il n'avait désigné personne est le fait que l'Imâma a été installé après lui par élection, et qu'il y eut à son sujet discussion entre Abû Bakr et les Ançar le "jour de la Saqîfa", où il leur montra leur erreur dans les prétentions qu'ils lui opposaient (8). C'est lui qui, le premier, discuta avec eux (pour leur montrer) la nécessité de l'Imâma et (leur dit) que c'était un devoir obligatoire et qu'il était réservé uniquement aux quraïchites. Ils se rangèrent alors à son avis et à sa décision. Leur revirement est dû à ce que leur dit alors Umar au milieu du tumulte : " O assemblée des Ansâr ! Je vais vous poser une question. Répondez-moi, et, après cela, vous déciderez si vous avez raison ou tort ! - Parle ! lui dirent-ils. - Je vous adjure de me dire, au nom de DIEU, si vous saviez que l'Envoyé de DIEU avait confié la direction de la prière à Abû Bakr, de préférence à vous et à tous les autres, et qu'Abû Bakr avait dirigé la prière à sa place pendant neuf jours, alors que l'Envoyé de DIEU était encore en vie ? - Par DIEU, assurément ! répondirent-ils - Qui donc accepterait de bon cœur qu'Abû Bakr soit mis à l'arrière et qu'on lui passe devant ? - Tous s'écrièrent : Personne d'entre nous n'accepterait cela de bon cœur, et nous demandons pardon à DIEU !"
Après s'être ainsi repentis, tous s'avancèrent vers Abû Bakr en lui demandant pardon et en s'excusant, et lui confièrent le soin de choisir un Imâm. " Tu es le remplaçant (khalîfa) de l'Envoyé de DIEU pour nous dans la prière, lui dirent-ils, choisis donc pour nous et pour la Communauté !" Il leur répondit : " Vous avez le choix entre deux hommes : Abû Ubayda, car il est "l'homme sûr de cette Communauté", ou bien Umar car "la Vérité est dans sa bouche et dans sa main", allez donc vers celui que vous voulez choisir !" Mais Abû Ubayda et Umar refusèrent d'être élus, estimant qu'Abû Bakr en était plus digne qu'eux, puisque l'Envoyé de DIEU l'avait préféré pour diriger la prière, à eux et à tous les autres membres de la Communauté. Ils le reconnurent donc comme chef de la Communauté, par une sorte "d'interprétation et d'opinion personnelles".
Si donc le Prophète avait désigné quelqu'un par un texte explicite, il n'y aurait pas eu de divergences après lui, et Abû Bakr, ni personne d'autre, n'aurait pu indiquer quelqu'un d'autre que la personne désignée par le texte en question, car cela aurait été - à Dieu ne plaise ! - de la rébellion contre DIEU et Son Envoyé, une preuve de désaccord vis-à-vis d'eux, et cela aurait été outrepasser leurs ordres. Mais DIEU les a protégés; Il a placé tellement haut leurs mérites et Il les a rendus tellement purs qu'on ne saurait leur attribuer ce qui est indigne de leurs vertus, car ils sont, après l'Envoyé de DIEU, les Elus parmi Ses Saints et " la meilleure communauté apparue pour les hommes" (Cor. III, 110). DIEU a fait leur éloge en de nombreux endroits de Son Livre. Il est ainsi bien établi, par ce que nous avons expliqué et montré, que l'Imâma, après l'Envoyé de DIEU, a été établi par élection, non par un texte, et que le texte n'a aucune réalité.
Il faut noter également que les Ançar étaient nombreux et occupaient un rang élevé dans l'Islam; DIEU, dans Son Livre, avait révélé leur gloire et avait fait leur éloge. Si donc le (prétendu) texte avait eu quelque réalité pour eux, il ne leur aurait pas été possible de ne pas tenir compte de celui qu'il aurait désigné, car ils étaient trop haut et trop nobles pour faire une pareille chose. Mais comme le texte n'avait aucun fondement pour eux, ils crurent à la possibilité que l'un des leurs fût investi de l'Imâma. Ils mirent à leur tête Sa'd et le reconnurent comme chef en disant : " Un chef de chez nous, et un chef de (chez vous) les Quraïshites !"(9) Lorsqu'on leur eut rappelé les paroles de l'Envoyé de DIEU et sa désignation explicite de la tribu de Quraïsh, ils surent quelle était la vérité, à savoir que l'Imâma appartenait aux Quraïshites et non à eux, ni à tous les autres (membres de la Communauté). Ils se rendirent alors à la vérité avec soumission, ce qui était tout à fait digne d'eux et concordait parfaitement avec leurs vertus.
Ce qui confirme ce que nous venons de dire concernant la fausseté de la thèse du texte désignant nommément une personne, c'est la tradition suivante.
Al Abbâs avait dit à Ali, au cours de la maladie où l'Envoyé de DIEU devait trouver la mort : " Mon neveu ! je vois sur le visage de l'Envoyé de DIEU les signes précurseurs de la mort, allons ensemble l'interroger sur cette question (de la direction suprême de la Communauté) après lui." Mais Ali s'y était montré réfractaire et avait répondu : " Puisse-je ne pas être celui qui entrera auprès de l'Envoyé de DIEU pour lui annoncer qu'il va mourir !"
Si (la théorie du) "texte" avait quelque fondement, al-Abbâs n'aurait pas dit à Ali ce qu'il lui a dit. On rapporte également qu'al Abbâs alla seul chez le prophète pour l'interroger sur cette fonction (de l'Imâma), et que le prophète se tut et ne lui répondit rien, puis sortit ayant retrouvé un peu de la fermeté qu'il avait avant l'aggravation de son mal et il fit ses dernières recommandations aux Muhâjirûn et aux Ançar ensuite. Al-Abbâs demanda alors à un homme de dire au prophète : " O Envoyé de DIEU ! adresse tes recommandations aux Quraïshites !" C'est ce que fit l'homme, et le prophète déclara : " Je recommande seulement aux Quraïshites les Musulmans; les Musulmans suivront fidèlement les Quraïshites dans cette direction (suprême de la Communauté) (10)". Voilà qui réfute (la thèse) du texte désignant une personne déterminée ! Toujours à propos d'al-Abbâs, on rapporte qu'après le départ d'Abû Bakr, Umar et Abû Ubayda, se rendant auprès des "gens de la Saqîfa", tandis que Ali et lui étaient occupés à laver le corps de l'Envoyé de DIEU , il dit à Ali : " Étends ta main ! pour que je te fasse serment d'allégeance et que je sois le premier oncle qui ait fait acte d'obédience à son neveu, et qu'ainsi personne ne s'oppose à toi." Ali répondit : " Nous sommes occupés à faire quelque chose de plus important que régler la question de la succession de l'Envoyé de DIEU, pour son enterrement." Si le "texte" avait eu une base réelle, il n'en aurait pas été ainsi.
Une autre preuve de la fausseté (de la thèse) du texte explicite, est que la question de l'Imâma est une question très importante, dont l'information a dû être répandue et rendue publique tout autant que celle de la Nubuwwa (fonction, ou nature, prophétique). Si donc le prophète avait désigné dans un texte explicite une personne déterminée, cela se serait passé au grand jour, car le cas de l'Imâma est comme celui de la Nubuwwa, puisque la fonction d'Imâm remplace (khâlifa) celle de prophète. Les raisons d'en transmettre l'information étaient multiples comme celles motivant qu'on transmette les marques de la prophétie et les dispositions de la Loi, selon une transmission de commune renommée, de notoriété confirmée et répandue sur laquelle il y a accord et qui ne donne pas prise aux divergences, que connaissent également le commun et l'élite sans distinction, comme les dispositions de la Loi, telles que la prière, l'aumône légale (zakât), le pèlerinage et la guerre sainte, ainsi que toutes les autres dispositions religieuses et les paroles du prophète, sur lesquelles s'est réalisée l'unanimité et que connaissent également l'élite des Musulmans et le commun sans distinction. Il n'est pas possible d'admettre qu'une telle information ait été tenue secrète, comme cela était impossible pour les obligations religieuses, sans qu'il y ait eu contestations et querelles. Or nous avons vu qu'il y a eu divergence au sujet de l'Imâma, et que chaque groupe de la Communauté y prétendait selon son point de vue propre et sa tendance; nous savons donc que la thèse de la désignation par le texte explicite est fausse et totalement inexacte.
Si les Compagnons avaient été liés par cette prétendue désignation, il n' y aurait pas eu désaccord à ce sujet et aucun ne se serait permis de passer outre, de la même façon qu'il n'y avait pas eu désaccord sur la désignation, reconnue à l'unanimité, de Umar par Abû Bakr, et ensuite celle des " Hommes du Conseil" (ahl al-Shûra) par Umar, au nombre de six : Uthmân, Ali, Talha, al-Zubayr, Abd al-Rahman ibn Awf et sa'd ibn Mâlik.
Chacun était d'un mérite trop grand et d'un rang trop élevé, et la désignation était trop claire et trop manifeste (pour qu'il y eût désaccord et contestation). Et il est indiscutable que le prophète était d'un rang plus élevé et plus grand qu'Abû Bakr, Umar et les hommes du Conseil, que dis-je ? il les surpassait tous, et s'il avait désigné quelqu'un, cette désignation aurait été nécessairement tout aussi manifeste et transmise tout aussi bien que sa désignation de la tribu de Quraïsh d'une façon formelle pour assurer l'Imâma en ces termes : " Les Imâms seront de Quraïsh" et " cette fonction de commandement (amr) ne sera exercée que par Quraïsh" et " Ce commandement ne cessera pas (d'être exercé) par Quraïsh" et " Les Musulmans (devront suivre) fidèlement Quraïsh" (11). De la même façon que nous ont été transmises ses désignations de gouverneurs et de juges, tels que Ja'far ibn Abi Tâlib, Zayd ibn Hâritha, Mu'âdh ibn Jabal, Usâma ibn Zayd et Abd Allâh ibn Rawâda, entre autres. Il en va de même pour le caractère manifeste de cette désignation de Umar par Abû Bakr et celle des hommes du Conseil par Umar. L'élite de cette Communauté et les grands Docteurs repoussent la thèse selon laquelle le prophète aurait désigné explicitement une personne déterminée; il a désigné seulement la tribu de Quraïsh dans son ensemble et sans précision. Puisqu'il en est ainsi, on sait que cette désignation personnelle d'une personne déterminée est sans le moindre fondement. Celui qui prétendrait malgré tout qu'elle avait été faite en faveur de quelqu'un, a tort, et il doit être sévèrement traité, réprimandé et blâmé, pour avoir attribué aux Compagnons le fait d'être de connivence pour cacher cette nomination, dans l'intention de faire passer le commandement de la Communauté à quelqu'un d'autre que celui qui était désigné. Celui qui soutient une pareille chose à l'égard des Compagnons, suit une voie qui n'est pas celle des Croyants, et il fait preuve de rébellion envers ceux qui, après l'Envoyé de DIEU, le Sceau des Prophètes, sont les Elus du Seigneur des Monde !
à suivre...
source : La profession de Foi (Ibn'Arabi)
- Allusion symbolique aux sept dormants de la caverne, Coran XVII, 13.
- Coran, XXV, 74.
- Coran, XXI, 101.
- C'est une façon de désigner les Musulmans, parce que la Prière en direction de la Mecque symbolise bien ce qui les unit en dépit de leurs divergences.
- On trouvera ces traditions dans les recueils canoniques, en particulier chez Tirmidhi: Kitâb al-manâqib, bâb 16, 37, 38.
- Coran V, 38.
- Coran XXIV, 2.
- Voir Tabarî, Ta'rîkh, I, I840-2.
- Voir par exemple Bukhâri v, 8. Il s'agit de Sa'd Ibn Ubâda; cf. Ibn Sa'd, Tabaqât, III/II, 142 et sq.
- Voir Bukhâri , IV, 217.
- On trouvera ces traditions dans Bukhâri, p. ex. : II, 77-78, et Ibn Hanbal, Musnad, p. ex: II, 29,93 , 128, 261; etc.
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