lundi 9 juillet 2012

Le Prophète initiateur et les deux pèlerins - 5 - (Moïse & Jupiter) - Ibn'Arabi

Sixième ciel : Moïse et Jupiter

La théophanie Divine accordée à Moïse

Puis tous deux repartent en quête du sixième ciel. L'adepte est reçu par Moïse - la paix soit sur lui - avec lequel se trouve son vizir, Jupiter. Le théoricien ne connaît point Moïse, alors Jupiter le prend en charge et lui offre l'hospitalité, tandis que l'adepte fait halte chez Moïse. Ce dernier le gratifie de " douze mille sciences" relevant de la science Divine, autres que les sciences ayant trait aux cycles et aux mégacycles cosmiques dont il était déjà instruit. Et Moïse lui apprend que la "théophanie Divine" se produit en vérité "sous les formes des croyances  auxquelles on est lié", et dans les cas de besoin impérieux. Alors l'adepte se le tient pour dit. Sur ce, Moïse lui remémore "le feu qu'il était allé quérir pour les siens" (coran: 20. 10; 27. 7), et lui fait observer que DIEU ne s'était révélé à lui que dans le feu, car de cela Moïse avait pressant besoin. DIEU ne se rend visible qu'en cas d'indigence radicale. En effet, tout solliciteur souffre d'indigence à l'égard de l'objet qu'il réclame de toute nécessité.

L' irréversibilité des essences et l' ontologie des formes de manifestation .   

En ce ciel, Moïse enseigne à l'adepte comment les formes de manifestation sont évacuées (retirées) de la substance qui s'en dépouille pour revêtir d'autres formes, afin de lui faire comprendre que les individualités concrètes, (qui sont) celles des formes manifestées, ne se modifient point. Car cela entraînerait la modifications des essences métaphysiques. Les facultés de perception, en effet, dépendent des objets qu'elles perçoivent, lesquels objets ont une authenticité dont on ne saurait douter. Celui qui ignore les essences métaphysiques s'imagine que les individualités concrètes (qui procèdent) se modifient, alors qu'il n'en est rien. Par là même, on peut comprendre que la théophanie de l' Être Divin au "Jour de la Résurrection" assume une forme de manifestation telle que les hommes qui y feront face la récuseront (comme mensongère), protestant que DIEU s'en tient à l’écart. Et ils chercheront refuge auprès de LUI contre cette forme théophanique alors que c'est pourtant l' Être Divin, nul autre que LUI - du moins dans leur propre vision - car en vérité DIEU transcende toute  altération et toute modification.
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Illustration de la "science prodigieuse" : le bâton de Moïse changé en serpent.


Moïse et son bâton
De ce ciel on apprend la "science prodigieuse" que bien peu d'hommes peuvent connaître. D'ailleurs il vaut mieux que la masse n'en ait pas connaissance. Et tel est le sens du propos dans lequel DIEU déclare à Moïse : "Nul ne connaît ce que DIEU veut, excepté Moïse et ceux que DIEU a privilégiés". "Qu'est-ce là dans ta main droite, ô Moïse ? Il répondit : c'est mon bâton" (20. 17, 18). La question porte sur les nécessités premières. Elle ne peut être résolue par l’intéressé (Moïse) qu'à travers une notion confuse, lointaine. Puis, Moïse ayant réalisé qu'il s'agit d'un bâton, dit : " C'est mon bâton sur lequel je m'appuie et avec lequel j'abats du feuillage pour mes moutons; il me sert encore à d'autres usages" (20. 18). Tout cela en tant qu'il s'agit d'un simple bâton ! 
Avez-vous remarqué que Moïse informe DIEU d'une chose qui n'est point connue a parte Dei ? Eh bien, voilà justement une réponse à la "science nécessaire" provoquée par une question concernant un objet familier immédiatement saisi (appréhendé) grâce à son caractère de première nécessité. DIEU  lui dit : " Jette-le ô Moïse !" (20. 19) - c'est-à-dire : ôte-le de ta main, bien que tu aies réalisé qu'il s'agit d'un bâton. " Moïse le jeta, et le voici - c'est à dire le bâton - devenu un serpent qui rampait" (20. 20).

Lorsque DIEU eut subtilisé le bâton - je veux dire la substance qui est celle du bâton -, celui-ci revêtit l'aspect du serpent dont la condition vitale est de ramper, de telle sorte qu'en le voyant ramper, Moïse se rendit compte que c'était un serpent. Et si Moïse n'en avait pas eu peur - puisque l'homme a peur des serpents -, nous aurions pu en conclure que DIEU a donné existence au serpent à travers un simple bâton qui s'est transformé en serpent dès l'instant où il a pris vie, et que, devenu vivant, il s'est mis à ramper sur le ventre, puisque assurément, une telle reptation n'est point le fait d'un homme. Au vrai, la forme du bâton, pour ce qui est de l'apparence extérieure, ressemble exactement à la forme des serpents. Aussi, lorsque Moïse en eut peur à cause de son apparence, DIEU lui dit : "Saisis-le et n'aies pas peur..." - c'était la crainte devant l'imprévu, puisque la chose était vraiment imprévisible. Et DIEU ajouta : " Nous allons le - pronom qui se rapporte au bâton - ramener à son premier état" (20. 21).  

L' identité foncière de la substance et la substitution des formes.

Par conséquent, les substances primitives des choses se typifient et se modalisent par le truchement des formes et accidents de la manifestation, tandis que la substance reste une et identique. C'est-à-dire, en l'occurrence, qu'elle retourne à l'état de bâton, telle qu'elle était en son essence et telle que ton oeil la percevait. De même pour le serpent qui était serpent en son essence et que ton oeil percevait comme tel, afin que Moïse sache bien : Qui voit ? Qu'est-ce qui est vu ? Et par qui cela est vu ? C'est donc un avertissement Divin à l'intention de Moïse et à notre intention, celui qu'exprima pareillement 'Alîm al-Aswad, à savoir que : "les individualités concrètes (des choses) ne se modifient point". Le bâton n'est pas un serpent, ni le serpent un bâton. Simplement la substance assume la forme du bâton avant d'assumer celle du serpent, car ce sont là des formes que DIEU - le Tout-Puissant, le Créateur - enlève à la substance primitive quand il Lui plaît pour y substituer d'autres formes.

"Les transmutations sont une absurdité"; l'alchimie de la vision et le rôle de la faculté "imaginale".
Jupiter

Si tu es perspicace, te voilà désormais initié à la science concernant "les formes des existants que tu vois". Tu conviendras que cette science est de première nécessité, puisque tu ne saurais t'en passer en la dédaignant. Il t'apparaît évident que "Les transmutations sont une absurdité".
C'est DIEU qui scrute du regard à travers quelques-uns de ses serviteurs, en vertu de quoi ils perçoivent le bâton comme étant un serpent, alors même que c'est un bâton. C'est un acte de perception Divine qui chez nous autres, est "imaginale". Il en va pareillement de tous les existants (que l'on voit). Regarde donc ! Sans la faculté des sens, tu ne dirais pas : ceci est une pierre inerte, insensible, incapable de parler, dépourvue de vie. Tu ne dirais pas : voici un végétal, voilà un animal doué de sensation et de perception, voilà un homme doué de raison. Car tout cela, c'est ton regard qui te l'apprend.


Suppose que vienne un autre individu et qu'il se mette à observer avec toi. Celui-ci voit et entend les salutations que lui adressent les pierres, les végétaux, les animaux. Les deux expériences sont vraies cependant, et la faculté dont tu uses pour nier ce que prétend l'autre est la même faculté dont il se sert lui. Chacun des deux s'appuie sur une preuve identique, pourtant leur jugement est différent. Par DIEU ! Le bâton de Moïse aurait toujours été un serpent sans cesser d'être un bâton, tout cela simultanément dans le même objet ? En fait, la vision de chacun des deux hommes ne peut enregistrer ce qu'est l'objet en soi. Nous l'avons déjà constaté et nous avons réalisé ainsi en quoi consiste la vision d'une individualité concrète. C'est la vision de l'un et de l'autre à partir d'une essence unique, immanence à la première manifestation et à aucune autre, immanence à la seconde manifestation et à aucune autre.

L'alternance des rapports d'identité.

Dis alors : DIEU ! Dis : le monde ! Dis : c'est moi ! C'est toi ! C'est lui ! C'est tout cela ensemble dans le domaine des pronoms personnels. Cela continue indéfiniment, sans interruption. Zayd s’écrie au fond de toi même : c'est lui ! Et c'est Omar ! Et lui dit de toi-même : c'est toi ! Toi tu dis de toi-même : c'est moi ! Je suis donc identique à toi (l'oeil de lui même); et cependant ce n'est point moi qui m'identifie à toi, ni à lui. De sorte que les rapports d'identité alternent, indéfiniment. Ce sont là des mers débordantes, sans fond ni rivage. La sublimité de mon Seigneur est enfouie dans ces "paillettes d'or", et si vous parvenez à connaître ce que j'ai compris, vous goûterez la délectation de l'éternité, vous éprouverez la crainte qui ne laisse aucune trêve à personne. L'effondrement de la montagne était la preuve même de sa fermeté, et le fait que Moïse ait repris conscience est la preuve qu'il s'était évanoui (coran 7. 143).

Recommandation à l'adepte; instruction du théoricien par Jupiter.

(distique) Contemple sa Face en toute occasion et ne prétends  pas en instruire quiconque.
O toi, l' "adepte mohammadien", ne méconnais point ce que j'enseigne et ne cesse jamais de Le contempler en toute forme que tu perçois, car en vérité le voile théophanique est suprêmement révélateur ! Enfin Jupiter prend l'adepte par la main et se porte avec lui au-devant du théoricien. A ce dernier elle révèle la portion de science qui dépend d'elle et que l'adepte a obtenu de la science de Moïse; du moins le lot de science relatif aux influx des sphères célestes agissant au sein des êtres constitués de la nature élémentaire. Cela et rien d'autre.

à suivre prochainement : Abraham et Saturne au septième ciel
source : l'Alchimie du bonheur parfait - Ibn'Arabi

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