mercredi 24 juillet 2013

La suffah ou les pionniers de la mystique musulmane - Muhammad Hamidullah

Dès son arrivée à Médine, Mohammed se soucia de construire un bâtiment pour les offices religieux quotidiens et l'enseignement islamique. Il acheta un terrain convenable, le fît aplanir et y fit construire un édifice en briques. Non seulement Mohammed prit part à la construction comme un ouvrier ordinaire, mais il y montra aussi ses capacités d'ingénieur-architecte : c'est lui en effet qui y détermina la direction de la qiblah. On sait que les musulmans se tournent, pendant les prières, vers un point unique, où qu'ils se trouvent dans le monde. Ce point central, la qiblah, était fixé auparavant au temple de Jérusalem; mais quelques mois après l'arrivée à Médine, la Ka'bah - temple construit par Abraham et Ismaël à la Mecque, longtemps avant celui de Jérusalem, et dédié au culte du DIEU Unique - fut choisie comme qiblah. Les traces de la direction de Jérusalem sont encore conservées dans une mosquée à Médine, qu'on appelle " mosquée des deux qiblahs" (qiblatain), dans le quartier des Banû Salamah, quand le Prophète reçut la révélation du nouvel ordre de DIEU. Il est à remarquer que la direction vers la Mecque, marquée par le Prophète dans la mosquée de Médine, sans boussole ni autres instruments scientifiques, était parfaitement exacte. Rappelons que Mohammed avait déjà travaillé, dans sa jeunesse, à la construction de la Ka'ba. Nous connaissons même le chant de travail des ouvriers lors de la construction de la mosquée-école de Médine. Des troncs, et des palmes de dattiers, servirent de colonnes et de toit à édifice.



Dans cette mosquée - appelée aujourd'hui Masjid an Nabî - il y avait trois parties distinctes : une grande salle pour les offices, une Suffah ou Zullah (espace couvert) pour l'école, et quelques petites chambres pour la famille du Prophète.

La Suffah a été la première " université " islamique.
Le Prophète lui-même y donnait l'enseignement; mais il s'adjoignit d'autres instituteurs pour enseigner aux débutants l'art de l'écriture, pour leur apprendre le Coran, etc. 'Ubâdah ibn as-Sâmit en fut un, et enseigna l'écriture et le Coran.
Abdallâh ibn Sa'îd ibn al-As, un calligraphe, fut nommé par le Prophète comme "instituteur de la sagesse". L'importance que Mohammed attachait à la lecture et à l'écriture peut être jugée par le fait que les prisonniers de la guerre de Badr étaient rançonnés chacun pour 4.000 dirhams, mais tous ceux qui savaient écrire purent, sur l'ordre du Prophète, se libérer en enseignant chacun cet art à dix garçons musulmans de Médine. Un auteur musulman  a donné comme titre à ce récit : " La permission aux Musulmans d'avoir des instituteurs polythéistes ". Un de ces instituteurs frappait beaucoup ses élèves, probablement pour se venger de sa défaite militaire.

Les leçons de Coran consistaient à en apprendre par cœur plusieurs chapitres, pour les besoins cultuels, et aussi à les réciter avec le ton voulu, sans parler de l'explication du texte, pour en appliquer les directives dans la vie de chaque jour, car, si le Coran parle des dogmes et des notions  théologiques, il parle aussi des lois et de la moralité. Certaines personnes récitaient le Coran comme ils parlaient, sans bien prononcer la vocalisation des mots, ni observer les règles de la psalmodie : où il faut faire la pause, et où il ne faut pas, etc. le Prophète interdit ce genre de lecture. D'autres récitaient trop rapidement, comme un devoir mécanique; ils furent avertis de lire peu mais bien, tout en méditant et en réfléchissant.

La Suffah servait également de dortoir, pendant la nuit, pour ceux des élèves qui n'avaient pas de maison à Médine. On y installait aussi les visiteurs étrangers, venus pour apprendre les éléments de l'Islam; ils y passaient un certain temps avant de rentrer chez eux. On y logea une fois jusqu'à 80 Tamîmites.
Le généreux Médinois Sa'd ibn Ubâdah donnait à manger chaque jour à 80 élèves. On a évalué à 400 le nombre des élèves de la Suffah à une époque. Ce nombre inclut probablement les internes et les externes. Le Prophète faisait appel à la générosité des Médinois en faveur des internes, dont beaucoup travaillaient pour gagner leur vie, portaient de l'eau, coupaient du bois, etc. Les charitables y suspendaient des régimes de dattes, pour qu'on en mangeât. Selon Samhûdî (I, 458), au temps du Prophète, c'est Mu'âd ibn Jabal qui les surveillait.
Qastallânî (Irchâd, I, 425) rapporte : Un jour le Prophète y vit un régime de très mauvaise qualité, et murmura : " L'auteur de cette charité pouvait quand même donner quelque chose de mieux". Le Prophète partageait toujours avec eux ce qu'il avait.



Un jour il reçut une certaine somme; sa fille Fâtimah vint lui demander de lui acheter un esclave, pour l'aider parce que son mari souffrait en tirant de  l'eau du puits, et qu'elle n'avait pas la force de moudre les grains. Le Prophète lui répondit : " Je ne veux pas vous donnez ce que vous demandez en laissant les gens de la Suffah avec l'estomac vide; je vais consacrer tout cet argent à leur profit. Les élèves de la Suffah se préparaient sans cesse à se rendre dans les différentes régions de l'Arabie comme missionnaires, comme instituteurs, comme porteurs de la foi. C'est parmi eux qu'on trouve les premiers mystiques musulmans. Ils ont laissé un tel souvenir de l'idéal islamique que plusieurs auteurs ont dressé des listes et des dictionnaires biographiques des élèves de la Suffah. On y rencontre les noms les plus célèbres, tels le grand juriste Ibn Mas'ûd, le grand savant Abdallâh (fils du calife Umar), le noir, Bilal, muezzin du Prophète, Hanzalah (fils du moine Abû Amir), le grand mystique Abû Dharr, le Grec Suhaib, le Persan Salmân, le célèbre traditionniste Abû Hurairah, le conquérant de la Mésopotamie Sa'd ibn Abî Waqqâs, entre autres. On cite parmi eux des ressortissants des tribus les plus lointaines de l'Arabie, et il n'y a rien d'étonnant.

Le Prophète nommait un président parmi les élèves; à une époque, Abû Hurairah remplit cette fonction.

Les élèves de la Suffah étudiaient principalement le Coran, d'où leur nom de qârî. Un grand nombre d'entre eux s'adonnaient à la vie spirituelle : ils priaient pendant la nuit et jeûnaient pendant le jour, et pratiquaient d'autres devoirs de piété : certains ne voulaient rien dire de profane, d'autres ne voulaient pas posséder d'argent, un autre ne riait jamais, un autre pleurait tout le temps.

Bientôt la Suffah ne put plus suffire, et pour éviter la congestion, le Prophète organisa des écoles primaires ou préparatoires dans les différents quartiers de la capitale. Déjà en l'an 2 H., on parle d'une école Coranique Dâr al-Qurrâ, installée dans la maison de Makhramah ibn Naufal, à Médine.
On parle également de l'école à la mosquée de Qubâ (banlieue sud  de Médine), où le Prophète se rendait souvent et surveillait l'enseignement. A part la grande mosquée du Prophète, Balâdhurî nous parle de neuf autres petites mosquées à Médine du vivant du Prophète. Evidemment toutes servaient en même temps d'écoles, le Prophète ayant recommandé d'étudier dans la mosquée voisine...

source : Le Prophète de l'Islam : sa vie, son oeuvre (Muhammad Hamidullah)

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